Intervention de Lisa Belluco

Réunion du mercredi 27 mars 2024 à 9h00
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaLisa Belluco, rapporteure :

Merci à tous. Je vais essayer de répondre à quelques inquiétudes en partageant avec vous ce que m'ont appris ces travaux.

Madame Boyer, selon vous, nous voudrions donner à tout le monde le droit d'aller partout. Ce n'est pas tout à fait l'objet de ce texte qui vise à revenir au droit existant avant le 2 février 2023. Il me semble que le 1er février 2023, tout le monde n'avait pas le droit d'aller partout pour faire n'importe quoi. Ce n'est pas comme si la loi était venue nous sauver d'un chaos où les gens détruisaient tout et faisaient n'importe quoi.

Il ne s'agit pas non plus d'un recul concernant le respect de la propriété privée : celle-ci est protégée, et tous les préjudices subis par les propriétaires sont réprimés par la loi. En revanche, le nouvel article introduit dans la loi l'année dernière a bouleversé notre philosophie pénale en ce sens que le code pénal sanctionne désormais un acte qui ne nuit pas à la société. En France, le code pénal sanctionne des actes qui nuisent à la société. Traverser une propriété privée peut éventuellement nuire au propriétaire, mais pas à la société. À la limite, si vous voulez vraiment traiter le sujet, faites-le dans le code civil.

J'entends votre souci de protéger la nature des promeneurs. Nous ne mettons pas sous le tapis le fait que certains d'entre eux la dégradent, même s'ils ne sont pas la majorité. Il s'agirait plutôt d'accompagner les promeneurs, de les sensibiliser et de les former à un meilleur respect de la nature, car ce n'est pas en les empêchant d'y accéder que nous leur permettrons d'apprendre à mieux s'y comporter. Cette proposition de loi n'est donc qu'un premier pas pour favoriser l'accès à la nature.

Je le répète, ce n'est parce que vous aurez ajouté un article à la loi que les fraudeurs se mettront subitement à la respecter. Les gens qui volent des champignons, du bois ou des fruits, qui dégradent la nature ou qui laissent divaguer leur animal de compagnie sont déjà punis par la loi, et je ne pense pas qu'ils mettront fin à ces comportements illégaux parce que nous aurons imposé une contravention aux promeneurs. Il s'agit moins d'empiler les lois que de nous donner les moyens de les faire respecter.

Vous dites, par ailleurs, que les chemins balisés existants suffisent mais, en Chartreuse ou dans la vallée de la Doller, par exemple, ce sont des chemins balisés qui ont été fermés, car ces chemins, entretenus par des associations de randonneurs, ne sont absolument pas protégés par cet article : la propriété privée est au-dessus de tout le reste. Dans les ballons des Vosges, on ferme des chemins historiques que les gens empruntaient pour accéder à un site touristique où se trouve un lac. Peut-être, me direz-vous, cela permettra-t-il de protéger la nature de l'excès de randonneurs, mais il existe d'autres moyens de le faire que de tout fermer – ce qui, du reste, renverra cet excès de randonneurs dans les 25 % de forêts publiques.

Madame Paris, puisque vous évoquez nos textes fondateurs, n'oubliez pas que le droit de chasser pour le peuple est un acquis de la Révolution française. Les chasseurs qui chassaient gratuitement, par exemple dans le massif de la Chartreuse, ne peuvent plus le faire sans payer. Quelque position personnelle que l'on puisse avoir à propos de la chasse – et vous savez que je n'en suis pas une grande amatrice –, il faut respecter et n'encadrer qu'avec prudence cette chasse populaire, que cet article du code pénal ne protège pas.

Par ailleurs, l'article 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, que vous citez, affirme aussi que la propriété peut être limitée en cas de nécessité publique. Aucune propriété n'est absolue : à nous de juger si l'accès à la nature fait nécessité publique – ce que, pour ma part, je crois.

Le même article évoque certes aussi une « indemnité », mais n'oublions pas non plus que les forestiers utilisent souvent des chemins publics pour accéder à leurs parcelles et bénéficient d'exonérations fiscales pour entretenir ces dernières, ainsi que de diverses aménités publiques qui pourraient justifier qu'ils laissent sur ces parcelles un libre passage ne causant aucun préjudice – les préjudices étant, du reste, punis par la loi.

C'est aussi le cas de la perte de savoir-vivre, du braconnage, du vol et des dégradations. En outre, je le répète, un contrevenant ne se mettra pas subitement à respecter la loi parce qu'on y aura ajouté des sanctions. Ce qui compte, c'est d'avoir les moyens de la faire appliquer. Il faut des agents de l'État, des fonctionnaires pour sanctionner, mais ce n'est pas le sujet de cette proposition de loi.

Monsieur Fernandes, il est bon de rappeler que les espaces dont l'accès est aujourd'hui restreint n'étaient pas engrillagés et que l'article que nous voulons abroger n'est donc pas une contrepartie au désengrillagement, très bénéfique pour la faune sauvage, que nous avons voté.

Monsieur Breton, vous avez raison de souligner que nous sommes en train de discuter du rapport de l'homme à la nature et du besoin que nous avons de cette dernière. Vous avez rappelé l'historique de la loi contre l'engrillagement, qui visait notamment à limiter les enclos de chasse. Toutefois, si cette loi interdit les grillages imperméables à la faune sauvage, il reste autorisé d'en poser s'ils lui sont perméables : les propriétaires qui tiennent absolument à s'enclore en ont encore le droit – le bien-fondé de ce droit n'étant pas l'objet du texte que nous examinons. Je ne pense donc pas qu'en supprimant la sanction, on supprime l'équilibre trouvé dans cette loi : puisqu'il n'est pas interdit de s'enclore, il n'est pas vraiment besoin de contreparties pour protéger la propriété privée, qui n'est pas atteinte par les dispositions du texte relatif au désengrillagement.

Vous demandez également combien de personnes ont été verbalisées et nous invitez à prendre le temps d'évaluer cette loi. Elle n'avait pas fait l'objet d'une évaluation antérieure et, à notre connaissance, personne n'a été verbalisé à ce titre, ce qui pose d'ailleurs question quant à l'applicabilité de la contravention. Avons-nous vocation à introduire dans une multitude de codes une multitude d'articles non applicables, nous exposant à la critique de faire une loi bavarde et des amendements qui l'alourdissent ? Si cet article n'est pas applicable, pourquoi le conserver ?

Je conviens avec vous qu'il ne s'agit pas d'opposer les méchants propriétaires et les gentils promeneurs. Je le répète, je n'occulte pas le fait que certains promeneurs provoquent des dégradations, mais je suis persuadée qu'il s'agit d'une minorité. Les élus de la Fédération nationale des communes forestières, à qui j'ai demandé s'ils trouvaient que, concrètement, les incivilités et les dégradations étaient plus nombreuses qu'auparavant, m'ont répondu qu'elles existaient bel et bien et qu'il fallait les traiter, mais qu'elles n'étaient pas plus nombreuses. Peut-être ce jugement ne concerne-t-il que les forêts et faut-il aller voir ailleurs ce qu'il en est, mais je note au moins que ces dérives ne sont pas si nombreuses et je rappelle qu'il existe déjà dans la loi tout ce qu'il faut pour les sanctionner. Donnons-nous-en les moyens.

Monsieur Ott, nous reviendrons à votre proposition lorsque nous examinerons votre amendement.

Madame Poussier-Winsback, vous soulignez que la liberté d'aller et venir doit se concilier avec le droit de propriété et, de fait, c'était le cas dans le droit coutumier et il ne semble pas que la propriété privée ait été dégradée par cette liberté des promeneurs.

Vous nous reprochez d'alourdir l'arsenal législatif, alors que supprimer un article inapplicable n'est pas alourdir, mais alléger.

Monsieur Iordanoff, la coutume a en effet valeur de droit dans certaines circonstances, comme c'était le cas auparavant. Certains ont pu évoquer un flou juridique, mais il s'agit en réalité de la coutume, sur la base de laquelle on peut juger.

Enfin, comme Mme Faucillon, je suis pleinement d'accord pour dire que cette proposition de loi n'est qu'un premier pas. Nous devons en effet travailler à définir notre nouveau rapport au vivant, à fixer des restrictions en vue de la préservation de la nature et à établir des usages. Il ne s'agit pas seulement de posséder, car cela ne nous affranchit pas de l'obligation de respecter le reste du vivant – ce qui, du reste, nous permet d'être vivants nous aussi.

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