Nous avions souligné, lors de notre audition du 20 décembre 2023, l'opportunité de cette commission d'enquête, à un moment de l'histoire de la TNT qui invite à repenser la façon dont les conventions sont conclues et contrôlées. La décision rendue à notre demande par le Conseil d'État le 13 février 2024 vient en effet rebattre les cartes. On ne peut que se féliciter de l'intérêt renouvelé de nos concitoyens – votre commission en donne l'exemple – pour les enjeux de pluralisme et d'indépendance.
On a entendu beaucoup de choses sur cette décision du 13 février. Elle a été caricaturée, de manière parfois intéressée, ou simplement fait l'objet d'une mauvaise information : on est allé jusqu'à dénoncer un gouvernement des juges. Je tiens à vous rassurer : notre volonté n'est que de voir appliquée la loi, rien que la loi et toute la loi. Nous sommes satisfaits de la position adoptée par le Conseil constitutionnel à propos du cadre de la régulation. La loi à laquelle je me réfère est celle du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication, dont l'article 1er prévoit que l'exercice de la liberté de communication peut être limité par le « caractère pluraliste de l'expression des courants de pensée et d'opinion » et dont l'article 3-1 dispose que l'Arcom « garantit l'honnêteté, l'indépendance et le pluralisme de l'information et des programmes qui y concourent ».
Sur la décision du Conseil d'État, des propos très malheureux ont été tenus à l'antenne par certains présentateurs. Si, lors des auditions du groupe Canal+, des excuses n'ont pas été présentées à ce sujet, au moins y a-t-on reconnu une mauvaise compréhension ou une mauvaise interprétation de cette décision, qui a été à bien des égards dénaturée et a fait l'objet d'une campagne de désinformation qui a pu paraître scandaleuse.
Nous pouvons tirer quelques enseignements des auditions que vous avez conduites. L'étrange conception que les présentateurs et les dirigeants du groupe Canal+ se font de la sanction est d'abord clairement apparue. La gradation progressive des mises en demeure de l'Arcom peut donner le sentiment qu'il n'y a pas de sanction ; mais il est évident qu'on ne peut pas parler d'absence de sanction quand on est mis en demeure des dizaines de fois pour des comportements à l'antenne. Il faut donc repenser la façon dont ces mises en demeure sont prononcées et l'effet qu'elles peuvent avoir. Certains acteurs anticipent même les sanctions en envisageant, dès l'amont, un partage du montant des amendes à payer avec les producteurs de contenu, ce qui rend le système partiellement ineffectif.
Ensuite, si le débat sur le pluralisme, d'ailleurs partie intégrante de la décision du 13 février 2024, est nécessaire, il ne saurait s'envisager sans ses corollaires : l'indépendance et l'honnêteté de l'information. On a pu entendre des discours laissant penser que le boycott de certains groupes politiques impliquerait un défaut de pluralisme. Mais il faut aussi regarder comment la conversation est organisée, comment l'information circule, et ne pas occulter, comme on le fait trop souvent dans ce débat, les questions relatives à l'indépendance.
La question de l'économie de la TNT doit aussi être reconsidérée. Des éditeurs feignent d'ignorer le prix des fréquences alors même qu'il est bien discuté et prévu lors des cessions de chaînes. Si ces chaînes sont déficitaires, de belles plus-values ou « culbutes » ont été réalisées, et je sais que les députés auront suffisamment de jugement pour ne pas se laisser berner par certains discours. Cette question de la valorisation d'un canal public – on oublie trop souvent que c'est le fondement de la régulation audiovisuelle – peut présenter des apparences trompeuses.
Contrairement à ce qui a pu être dit lors de certaines auditions, la diversité des chaînes d'information n'offre aucune garantie contre la polarisation de l'audience. Des études comme celle que Julien Labarre a publiée en ce début d'année montrent bien que la question n'est pas celle de l'orientation politique ou de la ligne éditoriale d'une chaîne, mais de ce qu'on pourrait appeler, du côté du public, un effet de couloir : plus vous regardez une chaîne, plus vos opinions se confortent, sans que vous n'alliez regarder les autres chaînes.
On a enfin beaucoup entendu, lors de ces auditions, à quel point le groupe Canal+ était légaliste et faisait, je cite, « une application bête et disciplinée des règles ». Tout cela dissimule une opération de tricherie et de contournement d'une partie des obligations de l'éditeur. La complexité des règles ne doit pas servir de paravent à ces pratiques.
Nous nous étions engagés, en décembre, à vous faire part de dix points qu'il serait selon nous intéressant d'inclure dans les futures conventions passées avec les chaînes, pour tous les éditeurs.
Si un canal est consacré à l'information, il faudrait préciser par une indication chiffrée la part que les énoncés d'informations, ou hard news, doivent occuper dans les programmes : on le fait bien pour des questions comme celles de la part réservée à l'expression en langue française, ou à la fiction.
On pourrait exiger des animateurs qu'ils se conforment au devoir de diligence journalistique, tel qu'il ressort des études comparatives des différents dispositifs européens.
Une distinction devrait être opérée à l'antenne entre les différents intervenants, en fonction de leur statut. Un doute peut en effet exister, notamment sur les chaînes d'information, à propos d'une personne qui s'exprime : est-elle un invité, intervenant alors sans rémunération, ou bien un chroniqueur, sous contrat avec la chaîne ? Il serait opportun d'éclairer sur ce point le jugement du téléspectateur.
Le rapport de la mission d'information de la commission des affaires culturelles sur l'évaluation de la loi du 14 novembre 2016 visant à renforcer la liberté, l'indépendance et le pluralisme des médias, dite « loi Bloche », apporte des solutions à deux déficiences souvent constatées. Tout d'abord, les chartes déontologiques faisant souvent l'objet d'un contournement, il serait opportun que la convention passée avec la chaîne établisse que ces chartes doivent faire l'objet d'une élaboration collective et obéir aux standards déontologiques de la profession. Les députés ont également formulé dans ce rapport des propositions très intéressantes pour éviter que ne siègent dans les comités d'éthique de certains groupes des personnalités dont la qualification est douteuse, au regard de questions aussi complexes et sérieuses que celles de l'indépendance, de l'honnêteté ou du pluralisme de l'information.
Quel que soit le dispositif choisi pour garantir l'indépendance de la rédaction – tel le droit d'agrément – et l'associer à la gouvernance des titres ou à la conduite de l'action journalistique, il pourrait entrer dans le champ de l'appréciation de l'Arcom lors de l'évaluation des candidatures des chaînes.
Dans le domaine de la transparence des pratiques journalistiques, RSF défend, comme vous le savez peut-être, la norme du label JTI – Journalism Trust Initiative.
L'Arcom gagnerait également à prendre en compte la question de la soutenabilité économique des projets dans l'appréciation des propositions qui lui sont soumises lors de l'appel à candidatures.
On pourrait concevoir, dans les conventions passées avec les chaînes, une clause à l'image de celle qui, dans le domaine de la presse, conditionne les aides à l'existence d'une rédaction avec des journalistes.
Le dernier point, et non des moindres, consiste à revenir sur la caducité quinquennale des sanctions et des mises en demeure, pour qu'elles puissent être prises en compte lors de l'examen d'une candidature à un renouvellement de fréquence. S'il serait irréaliste d'exiger d'un acteur une absence de condamnation, ce dernier devrait au moins apporter la preuve de sa diligence à faire corriger les manquements constatés par le régulateur.
Ces propositions très concrètes pourraient renforcer le pouvoir de contrôle de l'Arcom. Certaines d'entre elles peuvent se faire à droit constant, d'autres nécessiteront une évolution législative. Presque vingt ans après son lancement, l'évolution de la TNT doit nous inviter à repenser la façon dont les obligations qui s'y rapportent sont discutées, imposées et contrôlées.