Intervention de Aude Luquet

Réunion du mercredi 28 septembre 2022 à 9h30
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAude Luquet, rapporteure :

Toutes les études le montrent, la séparation des deux parents entraîne un appauvrissement de celui qui a la garde des enfants du couple : perte d'un logement, sacrifice de la vie professionnelle, augmentation des frais de garde… D'après les chiffres les plus récents, la garde des enfants revient dans près de 70 % des cas à leur mère. Un rapport du Haut Conseil de la famille, de l'enfance et de l'âge (HCFEA) explique qu'une contribution à l'entretien et à l'éducation de l'enfant est versée pour sept enfants sur dix, et que cette pension est payée par le père, qui a un revenu supérieur, dans 97 % des cas. Selon une récente étude de l'INSEE, la moitié des femmes isolées ayant la garde de leurs enfants connaissent, l'année de leur séparation, une baisse de leur niveau de vie d'au moins 24 % par rapport à l'année qui précède la rupture.

J'insiste sur le fait que ma proposition de loi n'a qu'un seul but : agir dans l'intérêt de l'enfant. Elle ne vise en aucun cas à résoudre les questions liées à la répartition, entre le père et la mère, de la garde de l'enfant, ou plus largement à la séparation du couple.

La contribution à l'entretien et à l'éducation de l'enfant versée par le parent non gardien au parent gardien a normalement vocation à compenser la perte de niveau de vie pour l'enfant. Si de nombreux efforts ont été réalisés par notre majorité lors de la précédente législature, et aujourd'hui encore dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2023, pour faciliter et garantir le versement effectif de cette contribution ou rehausser l'allocation de soutien familial (ASF), nous conviendrons tous qu'une pension d'un montant moyen de 170 euros par mois ne permet pas de couvrir l'ensemble des besoins d'un enfant.

En outre, le traitement socio-fiscal des contributions à l'entretien et à l'éducation de l'enfant est incohérent et injuste, comme le montre une étude sur les ruptures de couples avec enfants mineurs réalisée par le HCFEA en 2019. En effet, les pensions versées sont aujourd'hui incluses dans le revenu imposable des parents qui en bénéficient, après un abattement de 10 %. Cela augmente leur quotient familial, avec des répercussions multiples : augmentation du montant de l'impôt, augmentation de la tarification des services proposés par les collectivités territoriales – crèches, cantines, activités périscolaires – et diminution de certaines prestations familiales et sociales comme les aides personnelles au logement (APL) et la prestation d'accueil du jeune enfant (PAJE). Cela paraît d'autant plus absurde que la plupart des parents gardiens concernés sont des femmes qui ont un niveau de vie inférieur à celui de leur ex-conjoint, puisque nous n'avons pas encore tout à fait résolu le problème de l'inégalité salariale entre les femmes et les hommes.

J'aimerais d'ailleurs insister sur ce point : ce qui est improprement appelé « pension alimentaire » est en réalité une contribution à l'entretien et à l'éducation de l'enfant. Cette contribution ne constitue pas, pour le parent bénéficiaire, un revenu de remplacement mais correspond à un partage des charges d'entretien de l'enfant, qui prend parfois même la forme d'une aide directe en nature. Il s'agit en quelque sorte d'une péréquation, d'un rééquilibrage des dépenses en fonction des capacités contributives de chaque parent. Le Conseil d'État a précisé, dans un arrêt du 14 avril 2022, que la contribution à l'entretien et à l'éducation de l'enfant ne participait pas des ressources du parent qui en bénéficie. Fiscaliser cette contribution, c'est faire peser un impôt sur l'enfant en limitant le montant disponible qui lui est destiné ; par conséquent, c'est agir contre son intérêt. Cette contribution n'étant pas un revenu du parent gardien, il faudrait presque la concevoir, comme au Canada, comme un remboursement par le parent non gardien des frais engagés par le parent gardien. En ce sens, elle est bien différente de la prestation compensatoire, qu'on confond souvent sous le même terme de « pension alimentaire ».

Vous l'avez compris, le système actuel ne protège pas l'intérêt des enfants, et il est injuste envers les parents qui en assurent la garde. Aussi notre proposition de loi vise-t-elle à défiscaliser les contributions à l'entretien et à l'éducation d'un enfant mineur, dans la limite de 4 000 euros par an et par enfant et de 12 000 euros par an quel que soit le nombre d'enfants. Ces plafonds permettraient de concentrer l'effort sur les parents gardiens appartenant à la classe moyenne, qui sont imposables et qui bénéficient d'une contribution à l'entretien et à l'éducation inférieure à 340 euros par mois. Selon les informations transmises par la direction de la législation fiscale (DLF), cela représenterait un gain moyen de 497 euros par an pour quelque 150 000 foyers. Très concrètement, pour un parent seul avec un enfant mineur à charge, percevant des revenus de 2 000 euros par mois et une pension de 300 euros, l'adoption de notre proposition de loi permettrait d'économiser 513 euros d'impôt sur le revenu par an.

Si ce texte a vocation à toucher les familles monoparentales appartenant à la classe moyenne, il n'oublie pas les familles les plus modestes. En effet, le calcul et l'attribution d'un nombre important de prestations sociales et familiales dépendent des revenus imposables du contribuable : défiscaliser la contribution à l'entretien et à l'éducation de l'enfant revient donc aussi à augmenter le montant des APL que le parent perçoit.

En contrepartie de la défiscalisation de la contribution reçue par le parent ayant la garde de l'enfant, l'article 2 prévoit que le parent non gardien ne pourra plus déduire de son revenu imposable la pension alimentaire versée.

Toutefois, les éléments chiffrés transmis par la DLF montrent qu'une adoption de notre proposition de loi, en l'état, aurait des effets redistributifs puissants au détriment des débiteurs de la contribution à l'entretien et à l'éducation de l'enfant, y compris ceux de la classe moyenne et de la classe moyenne inférieure. Je constate également, avec regret, qu'il n'y a pas aujourd'hui de consensus pour faire évoluer notre conception de cette contribution. Un compromis possible aurait été d'imposer un partage égalitaire, entre les deux parents, des frais engagés pour l'enfant, ce qui aurait nécessité un partage des parts fiscales entre les deux parents même en cas de garde exclusive par l'un des deux. Mais il semblerait que cette option soit peu avantageuse pour les parents gardiens, notamment quand les contributions versées sont d'un faible montant.

En conséquence, je vous proposerai plusieurs amendements de repli. Il s'agira de maintenir la possibilité, pour les débiteurs, de déduire les contributions versées de leur revenu imposable, et donc de maintenir aussi l'imposition des contributions reçues par les parents créanciers – ce qui est contraire à ce que propose notre texte initial – mais en permettant à ces derniers de déduire les contributions reçues de leur revenu fiscal de référence.

Cette solution peut paraître éloignée des principes fiscaux les plus classiques, mais le revenu fiscal de référence est aujourd'hui pris en compte pour l'attribution et le calcul d'un certain nombre de prestations, comme le chèque énergie, ainsi que pour la tarification de services locaux tels que les crèches, les activités périscolaires, les cantines ou les transports. Dans un contexte de forte inflation qui alourdit jour après jour la charge d'élever seul ses enfants, cette mesure constituerait un premier message envoyé à l'ensemble des familles monoparentales de classe moyenne et modeste.

Si cette proposition de compromis ne règle pas totalement la question du traitement fiscal des familles, notamment monoparentales, qui ont la charge des enfants après une séparation, elle permet de leur porter une plus grande attention. Je rappelle encore une fois que cette proposition de loi est motivée par l'intérêt des enfants et qu'elle vise à permettre aux parents gardiens de leur offrir des conditions de vie meilleures. Je serais étonnée que nous ne trouvions pas une majorité autour de cet intérêt.

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