Vos prises de parole attestent de la prise de conscience, et de la sensibilisation renforcée, au sein de notre institution parlementaire, de la réalité du phénomène que nous vivons.
Je vais d'abord répondre à Madame Lysiane Métayer. C'est écrit noir sur blanc dans le rapport d'information, et également dans les travaux précédents écrits collectivement. Tous nos services de renseignement le disent clairement : ce sont la Russie et la Chine qui sont identifiées comme étant les principales menaces à l'heure actuelle en ce qui concerne les ingérences étrangères. Vous avez également souligné le rôle de VIGINUM, agence nouvellement créée, chargée de lutter contre les ingérences numériques étrangères, rattachée au Secrétariat général de la Défense et de la Sécurité nationale (SGDSN), qui joue un rôle important, et particulièrement quand on approche d'une période de campagne électorale. Il faut féliciter les agents de VIGINUM, même si la question du renforcement de leurs moyens se pose.
Vous avez également abordé le sujet de nos dispositifs de nature économique, et notamment le dispositif européen en matière de filtrage des investissements directs étrangers. Vous avez parfaitement raison d'insister sur la dimension économique que la prévention et la lutte contre les ingérences étrangères doivent également prendre en compte. En la matière, l'Union européenne a été assez attentiste, voire négligente, et la prise de conscience des ingérences dans notre tissu économique européen est assez récente. Les instruments de défense commerciale (IDC) ont longtemps été un vaste combat, mais ils existent désormais au plan européen. Ils doivent être renforcés, encouragés, et il faut surtout déployer ces fameux IDC puisqu'il y a eu trop longtemps un peu de déni ou de la naïveté en matière de relations économiques entre l'Union européenne et les pays tiers, y compris vis-à-vis de nos partenaires économiques. Le sujet du filtrage des investissements directs étrangers a abouti mais après des années de combat. Nous avons encore beaucoup à faire pour renforcer cela. C'est également une réflexion qui est menée à l'échelle internationale, puisqu'à travers les groupes de travail de l'OCDE, une réflexion très intéressante est menée. De plus l'OCDE a récemment écrit un rapport sur les sujets de désinformation et de manipulation des informations. Enfin, l'OCDE travaille sur ce sujet de gouvernance en matière de lutte contre les ingérences, y compris dans le domaine économique, vous avez donc bien fait de les évoquer.
Je vais répondre à Madame Mélin, qui formule des appréciations moins enthousiastes, mais j'observe que vous estimez que certaines agences et certains dispositifs européens mériteraient d'être renforcés, ce qui est un acte de foi tout à fait bienvenu en la pertinence de l'échelon européen. Beaucoup de travaux ont été menés au niveau législatif afin de renforcer la coordination, la coopération et la réponse européenne commune face aux cyberattaques. Je suis d'avis qu'il faut continuer, mais en même temps être attentif à ce que la capacité souveraine de nos agences nationales ne soit pas trop bridée. À ce sujet, l'ANSSI a des choses très intéressantes à dire.
Il semblerait que dans le rapport je parle trop de la Russie, mais il me semble que j'ai également évoqué d'autres pays : la République Populaire de Chine, l'Iran, l'Azerbaïdjan, la Turquie, entre autres. Ces puissances, selon des intensités variables et selon des momentums différents, démontrent la volonté de nous déstabiliser, de nous agresser ou de nous inonder de fausses nouvelles. Vous avez également évoqué Julian Assange et Edward Snowden, permettez-moi d'être extrêmement réservée quant à ces deux personnes. Je ne veux pas aller plus loin, mais je ne pense pas qu'il faille accorder trop de crédits à tous ces « leaks -là ».
Vous avez également indiqué que je ne mentionnais pas assez les États-Unis, notamment l'application du principe d'extraterritorialité du droit américain. Il faut reconnaître que ce sujet est abordé dans d'autres rapports. De plus, je me suis focalisée sur les quatre articles de la proposition de loi de Sacha Houilé et de Thomas Gassilloud qui ne concernent pas ce sujet. Nous sommes dans le cadre de cette proposition de loi sur l'élargissement de l'algorithme et le registre d'intérêt par lequel tous les mandants étrangers devront se signaler, des États-Unis à la Norvège. Ainsi, le sujet de l'extraterritorialité du droit américain et plus généralement de la pratique de « Law Fair » pratiquée par une multitude d'acteurs étatiques est déjà traité par d'autres rapports d'information. C'est un sujet passionnant sur lequel les juristes débattent beaucoup.
Sur la question des enjeux industriels, j'essaye de ne pas refaire ce qui a déjà été fait précédemment au vu de la durée impartie. Ainsi, la Commission d'enquête présidée par le Président Marleix, sur les décisions en matière de politiques industrielles en 2018 a déjà largement traité et analysé les tenants et aboutissants de la stratégie industrielle. Ce n'est donc pas à la faveur de la Commission des Affaires européennes que j'allais refaire ce travail.
Monsieur Le Gall évoque la question de l'algorithme. Ce débat a déjà eu lieu en Commission des Lois et votre groupe s'est exprimé à ce sujet. Des réponses précises ont été apportées par le président rapporteur. Je peux tout de même apporter quelques précisions. La loi dite RENS de 2015 puis de 2021 explique que tout ce qui concerne l'utilisation de cette technique et par extension la capacité à automatiser le traitement de ces données sont soumises à l'avis de la Commission Nationale des Techniques de Renseignements dont deux députés et deux sénateurs sont membres de droit avec des magistrats du Conseil d'État et de la Cour de Cassation. Cette instance exerce un réel contrôle parlementaire et démocratique sur la manière dont nos services de renseignements travaillent et émet des avis extrêmement appuyés et vigilants. La CNCTR publie un rapport annuel et elle est assez transparente si l'on prend en compte le respect de confidentialité lié aux informations « secret-défense ».
Monsieur Dumont, je vous remercie de souligner la nécessité, pour nos démocraties, de prévenir le risque des ingérences étrangères. Je partage votre constat. La Chine reste à ce stade moins impliquée que la Russie dans des opérations massives de manipulation de l'information, de désinformation et d'entrisme dans nos médias. Elle peut développer d'autres formes d'ingérences comme l'espionnage dans nos centres universitaires. Ces pratiques sont explicitées dans le rapport d'information du sénateur André Gattolin qui est sans complaisance avec ces pratiques. La Russie reste donc, en raison du contexte géopolitique et des élections prochaines, notre principal sujet. Je cite tout de même dans mon rapport d'autres sources de désinformation dont l'Iran, l'Azerbaïdjan. Je partage également votre position bienveillante et préoccupée à l'égard de la République d'Arménie. Notre commission des Affaires européennes a voté, récemment, une résolution européenne portée par Anne Laurence Petel afin de soutenir la souveraineté territoriale de l'Arménie et de dénoncer les agissements à l'égard des populations arméniennes de la part de l'Azerbaïdjan.
Monsieur Esquenet-Goxes, vous étiez le vice-président de la Commission d'enquête sur les ingérences étrangères dans laquelle vous étiez très actif. Vous pointez, à juste titre, la nécessaire exigence de transparence et la nécessité de l'implication de l'ensemble des acteurs de la société civile. À ce titre, je suis heureuse de savoir que vous allez conduire une mission d'information sur la situation de nos médias et de leurs éventuelles vulnérabilités. Il est vrai que nombre de chercheurs mettent en avant le sujet de la guerre de l'information. Les politiques actuelles à Taïwan, dans les pays baltes, en Suède et en Finlande sont des enseignements précieux. Je faisais allusion à un rapport de l'OCDE qui recense les moyens à notre disposition et qui peut être une ressource nécessaire.
Madame Karamanli, vous avez insisté sur la cybersécurité et la nécessité d'une information précise sur les experts qui interviennent dans nos débats mais aussi au sein de think tanks. Vous avez raison car il s'agit d'une vraie préoccupation dûment identifiée par le sénateur André Gattolin et qui devrait nécessiter des mesures législatives. Je me félicite des États généraux de l'information lancés à l'automne - qui vont remettre leurs travaux à l'été - et qui comprennent un groupe de travail « Souveraineté et Ingérences étrangères : la mondialisation de l'information ou comment protéger la souveraineté et la démocratie ? ».
Monsieur Chassaigne, j'entends vos réflexions sur l'extraterritorialité du droit américain mais je ne partage pas votre obsession teintée d'antiaméricanisme. De nombreux éléments de réponse se trouvent dans les travaux auxquels je faisais allusion plus tôt. Je souhaite aussi souligner que, malgré les critiques faites au principe d'extraterritorialité du droit américain, l'extraterritorialité du droit européen existe. Le RGPD, le DSA, le DMA sont des réglementations qui s'imposent aux acteurs extra-européens. Nous en sommes fiers et nous pouvons montrer que des règles et des principes que nous portons à travers nos instruments de régulation européens sont appliqués. Soyons alors lucides et réalistes sur ce que nous faisons en particulier lorsque nos normes européennes s'imposent à tous.
Monsieur Plassard, je vous remercie de votre intervention. Dans notre pays, l'ANSI, Viginum et d'autres services d'État comme le ministère des Armées, le ministère des Affaires étrangères et le ministère de l'Intérieur déploient des capacités de protection et d'identification du danger. Je ne suis pas certaine que tous les autres pays européens soient suffisamment outillés pour faire face aux tentatives d'ingérence. C'est pourquoi dans le rapport j'appelle à des réponses européennes plus concertées et éventuellement à des instruments européens nouveaux comme un Viginum européen. Nous pourrions également envisager une HATVP européenne avec des obligations communes. Je suis optimiste concernant le déroulement du scrutin européen en France. Nous avons la capacité de détecter les ingérences. Viginum, créé par décret en 2021 a listé dès l'élection présidentielle de 2022 toutes les actions détectées et signalées en amont des élections, assurant la bonne tenue de la campagne.