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Intervention de Constance Le Grip

Réunion du mercredi 20 mars 2024 à 15h00
Commission des affaires européennes

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaConstance Le Grip, rapporteure :

Nous voici réunis pour débattre du sujet de la lutte contre les ingérences étrangères à la faveur de la discussion prochaine dans notre hémicycle d'une proposition de loi initiée par le Président de la commission des lois Sacha Houlié, le Président de la commission de la défense Thomas Gassilloud et moi-même.

Cette proposition de loi est le fruit direct des travaux de la délégation parlementaire au renseignement dans laquelle siègent Sacha Houlié et Thomas Gassilloud. Cette délégation avait consacré son rapport annuel de l'année 2022-2023 au sujet de la prévention de la lutte contre les ingérences étrangères, en formulant plusieurs préconisations, dont certaines de nature législative.

La dangerosité des ingérences étrangères est un sujet que nous ne saurions ignorer dans sa dimension européenne tant la nature du phénomène l'ampleur touche l'ensemble des démocraties des États membres de l'Union européenne. Ce sujet concerne évidemment notre pays au premier chef, mais tous les pays de l'Union européenne sont concernés. La dimension européenne de ce phénomène rend son examen par la commission des Affaires européennes nécessaire.

À votre initiative Monsieur le Président, la commission des Affaires européennes s'était déjà penchée sur le sujet avec des chercheurs, des journalistes, des enseignants, dans le cadre d'une table ronde. Ce rapport d'information portant observations, se veut la mise en perspective européenne de la proposition de loi Houlié-Gassilloud et autres cosignataires.

Notre Parlement s'est déjà penché à plusieurs reprises sur le sujet des ingérences étrangères, notamment dans le cadre de la commission d'enquête sur les ingérences étrangères dans laquelle j'ai été rapporteure et dans le cadre du rapport de la délégation parlementaire au renseignement publié en novembre 2023. Ce rapport soulignait l'ampleur de ce phénomène, qui touche tous les intérêts fondamentaux de notre nation et ceux des démocraties européennes.

Les ingérences étrangères se définissent comme des immixtions d'un État étranger dans les affaires intérieures d'une autre nation, avec des pratiques, attitudes, vecteurs, qui se caractérisent par leurs aspects malveillants, insidieux, parfois dissimulés et qui portent atteinte au fonctionnement normal de la société visée, à sa vie démocratique et informationnelle et qui de ce fait cherche à fragiliser, déstabiliser, vulnérabiliser de l'intérieur une nation.

Les ingérences étrangères ont de nombreux vecteurs comme, pour rappeler quelques opérations récentes, des campagnes de cyberattaques, l'espionnage industriel, ou encore la manipulation de l'information venant influer sur le débat public. S'agissant de ces types d'ingérences, des campagnes récentes massives se sont déroulées dans notre pays, notamment la campagne de désinformation Doppelgänger officiellement attribué par l'État français à la Russie. Cette opération a utilisé des mécanismes de fabrication de sites miroirs et a ciblé de nombreux médias français comme Le Monde, 20 Minutes, mais aussi des médias allemands comme Frankfurter Allgemeine Zeitung. Plus récemment également, l'opération russe Matriochka qui a consisté à saturer l'activité de fact-checking des médias traditionnels ou encore l'opération Portal kombat en février 2024, documentée par l'agence Viginum.

Ces campagnes sont bien évidemment appréhendées entre les gouvernements européens. En effet, le ministre de l'Europe et des Affaires étrangères Stéphane Séjourné a récemment réuni à Paris son homologue allemande et son homologue polonais pour mettre en œuvre une riposte commune contre les campagnes de désinformation.

Cette proposition de loi visant à prévenir les ingérences étrangères comprend 4 articles. Le premier article instaure un dispositif législatif rendant obligatoire l'enregistrement des acteurs influent sur la vie publique française pour le compte d'une puissance étrangère. Le deuxième article prévoit la remise par le Gouvernement au Parlement d'un rapport faisant l'état précis de la menace en matière d'ingérence étrangère. Ce rapport peut être suivi d'un débat dans les deux chambres du Parlement.

Le troisième article permet d'élargir à la lutte contre les ingérences étrangères, le recours à la technique de l'algorithme, jusqu'à maintenant réservée par les lois Renseignement de 2015 et de 2021 à la lutte contre le terrorisme et à la prévention des actes de terrorisme.

Le quatrième et dernier article de cette proposition de loi modifie le code monétaire et financier pour élargir aux influences étrangères le périmètre de la procédure de gels des avoirs, aujourd'hui encore limitée à l'objet de la lutte contre le terrorisme.

L'article le plus innovant de cette proposition de loi est l'article premier. Il institue un dispositif de type FARA, ou Foreign Agence Registration Act, similaire à la législation américaine instituée en 1938. Cette législation instaure une obligation de transparence et de déclaration pour les représentants d'intérêts qui ont des mandants étrangers.

Cette législation a d'ailleurs récemment inspiré d'autres pays, notamment l'Australie en 2018 et encore le Royaume-Uni à travers le National Security Act.

Cette déclinaison française du Foreign Agence Registration Act serait administrée par la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique. Cet article s'inscrit dans un besoin de transparence pour mettre la lumière sur les intérêts étrangers en France.

Le mécanisme proposé par la proposition de loi est similaire à certaines initiatives législatives récentes proposées par l'Union européenne, à la suite de nombreux scandales au sein des institutions européennes, notamment le Qatargate, le Russiagate, ou encore des scandales de députés travaillant pour les services secrets russes.

Ces scandales ont progressivement amené la Commission européenne à prendre des initiatives en la matière. La plus récente est une proposition de directive déposée en décembre 2023 visant à établir des exigences harmonisées au sein du marché intérieur en matière de transparence de la représentation d'intérêts exercés pour le compte de pays tiers. L'objet de cette directive est similaire à la proposition de loi examinée.

Cette initiative législative de la Commission européenne découle d'un paquet européen global faisant suite à des engagements pris par la Présidente de la Commission Ursula von der Leyen en 2019. Cette initiative s'insère dans un travail commencé il y a plusieurs années au niveau européen afin de renforcer notre lutte contre ce fléau commun qui frappe les États européens avec une intensité variable. Je pense aux cyberattaques ayant pris pour cible les pays baltes ou la Pologne. Pour lutter contre cela, il existe une agence européenne chargée de la coordination de la cyber sécurité au sein de l'Union européenne, l'ENISA, qui coordonne par ailleurs les activités de l'ANSSI.

Il y a eu également des initiatives non-législatives, notamment de la part du Service européen pour l'action extérieure. Celui-ci a très tôt pris la mesure de la dangerosité des ingérences étrangères en instaurant un système d'alerte rapide qui constitue un maillon d'échange et d'information dans la lutte contre la désinformation entre les différents États membres et les institutions européennes. Son objectif est de repérer et d'analyser les menaces en matière de désinformation afin d'apporter une riposte commune.

Le SEAE a aussi mis en place une Task force nommée StratCom, qui fait de la stratégie en matière de communication et lutte contre la désinformation. StratCom apporte une riposte à la désinformation et est surtout orienté sur l'Europe centrale et orientale. C'est un embryon européen de contre-ingérence.

Enfin, pour conclure cette description du panorama européen d'instruments en matière de lutte contre les ingérences, je souhaite évoquer les deux règlements européens que sont le Digital Services Act et le Digital Markets Act, tous deux pleinement en vigueur depuis février 2024. Le DSA présente un intérêt pour notre sujet, celui-ci ayant pour objectif de lutter contre les contenus illégaux divers en ligne et notamment les contenus propageant de la désinformation. Pour cela, il impose des obligations aux différents intermédiaires en ligne, comme les réseaux sociaux. En matière de détection et de retrait de contenus en ligne manifestement faux et mensongers, le DSA commence à produire des effets contre les vecteurs de désinformation sur les réseaux sociaux.

La proposition de directive sur la transparence de la représentation d'intérêts effectuée pour le compte de pays tiers de la Commission européenne fait écho à la proposition de loi visant à lutter contre les ingérences étrangères, examinée par la Commission des lois le 13 mars 2024 et débattue en séance publique le 26 mars 2024. Les discussions sur cette proposition de directive publiée le 12 décembre 2023 ont débuté en COREPER. La proposition, bienvenue, est un outil intéressant. Cependant, en l'état, nous considérons qu'il présente des inconvénients majeurs au regard de l'intérêt que nous portons à la proposition de loi de Sacha Houlié.

La clause d'harmonisation maximale introduite par la proposition de directive manque d'ambition. Si adoptée, un État membre ne pourrait pas aller au-delà en introduisant des préconisations et une protection supérieures sur les thèmes concernés par l'application de la directive. Par exemple, les sanctions prévues par la directive en cas de non-accomplissement de l'obligation de transparence déclarative sont de nature administrative, alors que la proposition de loi portée par Sacha Houlié, Thomas Gassilloud et moi-même introduit des sanctions de nature pénale en cas de manquement de déclaration auprès de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) par des représentants d'intérêt qui auraient des mandants étrangers.

La proposition de directive et la proposition de loi prévoient également des exemptions, pour les diplomates par exemple. Cependant, nous considérons trop large le périmètre des exemptions prévu par la proposition de directive, notamment sur les activités de conseil juridique ou de conseil professionnel.

Le rapport d'information portant observation s'inscrit dans un contexte doublement intéressant. Géopolitique d'une part, puisque le ciblage des démocraties et de leur fonctionnement s'intensifie et les élections européennes offrent une fenêtre de vulnérabilité évidente. Temporelle d'autre part, en raison de l'amorce du débat européen et du processus parlementaire sur la directive européenne, qui porte la même intentionnalité que la proposition de loi que nous examinons.

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