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Intervention de Pierre Moscovici

Réunion du mercredi 28 septembre 2022 à 9h30
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Pierre Moscovici, président du Haut Conseil des finances publiques :

Je vous remercie de m'avoir invité devant votre commission, en tant que président du Haut Conseil des finances publiques, et non comme Premier président de la Cour des comptes, afin de vous présenter les principales conclusions de ces deux avis.

Mes propos seront sans doute assez proches de ceux qu'a tenus hier le gouverneur de la Banque de France, ce qui n'est guère surprenant de la part de deux représentants d'institutions dont les fonctions sont certes différentes mais les analyses souvent convergentes.

Nous sommes à un moment charnière pour nos finances publiques. Avec la crise sanitaire, celles-ci ont subi une détérioration inédite, en raison à la fois du repli de l'activité économique et des mesures de soutien d'urgence adoptées pour y faire face. Ces mesures dites du « quoi qu'il en coûte », la Cour ne les a jamais jugées négativement : elle les a soutenues, parce qu'elles étaient nécessaires. Elles ont préservé la situation des ménages et des entreprises et permis de maintenir la cohésion sociale. Elles ont rendu possible un rebond économique rapide et puissant en 2021. Cependant, revers de la médaille, nos niveaux de déficit et de dette sont très élevés et constituent, à nos yeux, des freins pour l'avenir.

Je dis souvent que je ne suis pas un ayatollah de la dette ou une Cassandre de l'austérité. Je suis toutefois convaincu qu'un pays endetté se prive des capacités d'investissement et des marges de manœuvre nécessaires pour préparer l'avenir. Or, notre environnement économique et géopolitique est incertain et la réponse aux défis de demain – transition énergétique, santé, éducation – mettra nécessairement les finances publiques à contribution. Autrement dit, nous avons besoin de ressources publiques importantes pour investir, et la dette réduit notre capacité à les déployer.

Dans ce contexte, vous avez à examiner le projet de loi de programmation des finances publiques, dont la vocation est de constituer une ancre pour notre trajectoire budgétaire au cours des prochaines années. Elle est l'occasion de se projeter sur le long terme en fixant des objectifs étayés par des réformes documentées et de préserver notre crédibilité, notamment vis-à-vis de nos partenaires européens. Vous avez souligné que c'était une des missions du Haut Conseil des finances publiques.

Certes, la crise sanitaire a conduit la Commission européenne à déclencher la clause dérogatoire générale du pacte de stabilité et de croissance, qui autorise les membres de l'Union européenne à s'écarter, en raison de circonstances exceptionnelles, des exigences budgétaires normalement applicables – autrement dit, les règles sont suspendues. Mais n'oublions pas que cette clause devrait être désactivée en 2024 : nous ne sommes donc pas exonérés de bâtir une trajectoire de finances publiques soutenable et nous ne devons pas considérer que ces règles n'existent plus. Elles devront être réformées, et ce sera une excellente chose, mais nous avons besoin de règles ; ces traités continueront à s'appliquer.

Les deux avis du Haut Conseil s'inscrivent, pour la première fois, dans le cadre du nouveau mandat que le législateur a bien voulu lui confier lors de l'adoption de la loi organique du 28 décembre 2021, laquelle doit énormément aux travaux de votre commission. Désormais, non seulement le Haut Conseil est saisi des prévisions macroéconomiques, mais il doit apprécier le réalisme des prévisions de recettes et de dépenses des projets de lois de finances et de financement de la sécurité sociale. Je m'en réjouis car je suis convaincu que le Haut Conseil peut ainsi mieux jouer son rôle, au service du Parlement et des citoyens. Nous travaillons avec vous, pour vous et pour les citoyens. Un Haut Conseil dont le mandat est étendu contribue davantage à votre information.

Permettez-moi de vous présenter d'abord notre avis sur les PLF et PLFSS pour l'année 2023, en commençant par un rapide retour sur la situation économique internationale, qui se rapprochera sans doute des analyses de la Banque de France.

L'environnement économique international s'assombrit. L'économie mondiale subit de plein fouet les conséquences de la guerre en Ukraine, qui se sont notamment traduites par de très fortes tensions sur les marchés des matières premières. Alors que le prix de certaines d'entre elles recule à mesure que les craintes de récession augmentent – le baril de Brent a ainsi retrouvé son prix de février, proche de 90 dollars – ceux du gaz et de l'électricité se sont envolés, poussés à la hausse par le risque d'une rupture complète d'approvisionnement en gaz russe. Les chaînes d'approvisionnement restent perturbées, notamment en raison des mesures de confinement régulièrement imposées en Chine, même si, progressivement, ces difficultés sont en voie d'atténuation.

L'ensemble des contraintes sur l'offre alimentent la hausse des coûts de production et, dans son sillage, celle des prix à la consommation. L'inflation atteint des niveaux très élevés : 8,3 % sur un an aux États-Unis, 9,1 % en zone euro, en août, ce qui conduit les banques centrales à relever à marche forcée leurs taux d'intérêt. Aux États-Unis, la réserve fédérale (Fed) a ainsi relevé de 300 points de base la fourchette de ses taux directeurs. De manière plus tardive et plus graduelle, la Banque centrale européenne (BCE) a tout de même augmenté ses taux de base de 125 points depuis le mois de juillet et a procédé le mois dernier à une hausse importante de 75 points de base. La BCE tout comme la Fed ont clairement annoncé leur volonté de poursuivre le cycle de resserrement monétaire au cours des prochains mois, dans le but de lutter contre l'inflation, conformément à leur mandat.

Le cumul de chocs extérieurs, le maintien de l'inflation à des niveaux élevés sous l'effet de la diffusion progressive des hausses des coûts de production, le durcissement des politiques monétaires engagées par les banques centrales, tout cela devrait peser sur l'activité mondiale au cours des prochains trimestres.

Au-delà des risques sanitaires qui n'ont pas totalement disparu, des incertitudes entourent les approvisionnements énergétiques des pays de la zone euro et les risques financiers se sont accrus. Les réglages de politique monétaire face à un choc inflationniste sont un art délicat. D'expérience, le soft landing, l'atterrissage en douceur des économies visé par les banques centrales, retenu dans les organisations internationales comme dans les prévisions du Gouvernement, est assez difficile à réussir.

Ne nous le cachons pas, le resserrement monétaire en cours comporte un risque de récession économique. Pour ma part, je pense plutôt que nous allons vers une croissance faible, mais ce risque est évoqué par plusieurs organisations internationales et hier encore par la directrice générale de l'Organisation mondiale du commerce (OMC). Le président de la Fed a été clair sur ce sujet, même si la situation américaine n'est pas tout à fait comparable à la situation européenne.

Dans ce contexte, notre avis contient deux grands messages.

En premier lieu, concernant le scénario macroéconomique du Gouvernement, le Haut Conseil considère que le taux de croissance retenu pour 2023 est un peu élevé. En revanche, il estime que les prévisions d'inflation – 4,2 % – et de masse salariale dans les branches marchandes – 5 % – sont plausibles.

En second lieu, le Haut Conseil estime que, bien que fondé sur des hypothèses un peu optimistes, le redressement des finances publiques prévu par le Gouvernement pour 2023 s'annonce lent et incertain. Selon une hypothèse optimiste du Gouvernement, le déficit budgétaire serait stable, l'amélioration du solde structurel très limitée et le ratio de dette quasi stable.

Entrons dans les détails.

Selon le scénario du Gouvernement, la croissance du PIB s'établirait à 2,7 % en 2022 et 1 % en 2023. Le Haut Conseil considère que l'hypothèse de croissance du Gouvernement pour 2022 est plausible, d'autant que les résultats sont plus favorables que prévu initialement. En revanche, pour 2023, elle s'écarte assez sensiblement de celle du consensus des prévisionnistes. Les instituts auditionnés par le Haut Conseil prévoient une croissance pour 2023 comprise entre 0 et 0,6 %, ce qui traduirait un net ralentissement, voire une baisse de l'activité au cours de l'hiver prochain, suivie d'un rebond très modéré. La prévision des économistes publiée dans le traditionnel Consensus Forecast de septembre affiche une forte baisse, à 0,6 %. Les dernières prévisions relatives à l'économie allemande, comme celles de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) parues ce lundi, anticipent désormais une récession pour 2023 alors que le scénario international du Gouvernement prévoit une croissance de 0,8 % – or l'Allemagne est, de loin, notre principal partenaire.

Disons-le, la dégradation du contexte international risque de peser davantage sur les exportations françaises que ce qu'a prévu par le Gouvernement.

De plus, les hypothèses sur lesquelles sont construites les prévisions de consommation et d'investissement sont, à notre sens, fragiles, dans un contexte marqué par une inflation qui se maintiendrait à des niveaux élevés et des taux d'intérêt en forte hausse.

La prévision est aussi entourée d'aléas baissiers importants puisque le scénario du Gouvernement n'intègre pas de difficultés majeures en matière d'approvisionnement en gaz et en électricité, ni la perspective d'une récession qui pourrait résulter de tensions énergétiques ou d'un durcissement brutal des conditions financières.

Enfin, on ne peut pas totalement exclure des conditions sanitaires un peu moins favorables que prévu.

Par conséquent, le Haut Conseil considère que la prévision du Gouvernement à 1 % est pour le moins volontariste, voire un peu optimiste. Selon le Gouvernement, la moyenne annuelle de progression de l'indice des prix à la consommation serait de 5,3 % en 2022. Cette prévision proche du consensus des économistes est jugée crédible par le Haut Conseil. L'inflation attendue en 2023 est révisée en forte hausse, à 4,2 % de moyenne annuelle, contre 3,2 % dans le programme de stabilité que vous avez examiné il y a quelques mois.

Plusieurs facteurs continuent de jouer en sens contraire l'année prochaine. La hausse des prix devrait être soutenue par l'accélération des salaires, notamment dans les services, ainsi que par les hausses déjà décidées des prix du gaz et de l'électricité. À l'inverse, l'affaiblissement de la croissance mondiale pourrait conduire à un reflux rapide du cours des matières premières, et le tassement de la demande en France pourrait limiter la capacité des entreprises à répercuter des hausses de coûts dans les prix pratiqués.

Au total, en présence de facteurs à la hausse et à la baisse assez conséquents, nous estimons que cette prévision d'inflation est crédible. Le Haut Conseil considère également que la prévision de masse salariale et d'emploi pour 2022 et 2023 est plausible.

En résumé, nous considérons la prévision de croissance un peu élevée, la prévision d'inflation crédible, les prévisions d'emploi et de masse salariale plausibles.

J'en viens aux prévisions sur les finances publiques.

Le scénario du Gouvernement prévoit un solde public effectif de -5 points de PIB en 2022 et 2023, après -6,5 points en 2021.

En 2022, la prévision de recettes nous paraît un peu basse compte tenu des rentrées fiscales très positives observées et de l'évolution de la masse salariale. Autrement dit, la prévision de solde public à -5 points de PIB est un peu prudente et l'on pourrait avoir un déficit public légèrement inférieur.

Pour 2023, les prévisions sont très incertaines, comme l'est toujours la prévision du cadre macroéconomique. Les recettes pour 2023 pourraient pâtir de l'effet négatif d'une croissance moins forte que prévu mais bénéficier d'un effet de base des recettes pour 2022. Le niveau des dépenses publiques paraît très incertain, les risques étant plus orientés à la hausse qu'à la baisse, au regard de l'évolution de la crise énergétique mais aussi des potentialités de la situation sanitaire.

S'agissant des recettes, pour entrer dans le détail, le Gouvernement prévoit pour 2022 une très forte hausse des prélèvements obligatoires, de 7,8 %, qui les porterait à 1 194 milliards d'euros, montant qui pourrait même être dépassé au vu des rentrées fiscales disponibles jusqu'en juillet. En 2023, la prévision est de 1 234 milliards d'euros, soit 3,3 % de plus qu'en 2022. Cette prévision est inférieure de 4,6 % à la croissance du PIB en valeur, soit une élasticité inférieure à l'unité, due au net ralentissement de quelques grands impôts qu'attend le Gouvernement, ce qui nous paraît justifié. C'est le cas de l'impôt sur le revenu. La baisse du bénéfice fiscal des entreprises, prévue en 2022, se traduirait aussi en 2023 par une diminution significative des recettes de l'impôt sur les sociétés.

Bref, pour 2022 comme pour 2023, le Haut Conseil estime que les prévisions de prélèvements obligatoires sont cohérentes avec le scénario macroéconomique retenu. Les données sur les rentrées fiscales peuvent toutefois permettre d'envisager des recettes un peu plus élevées en 2022, tandis que pour 2023 les aléas sont plus équilibrés.

Pour ce qui est des dépenses, en 2022, les dépenses publiques hors crédits d'impôt devraient progresser de 4,2 % pour atteindre 57,6 points de PIB. Corrigées du déflateur du PIB, indice des prix pertinent pour l'analyse des finances publiques, elles progresseraient de 1,4 % en volume.

Cette croissance est très soutenue, en dépit du fort repli des dépenses de soutien face à la crise sanitaire – 15,9 milliards d'euros en 2022, après 61,6 milliards d'euros en 2021. Une fois neutralisées les dépenses liées à la crise sanitaire, les dépenses de relance et les mesures prises pour faire face à la hausse des prix de l'énergie, les dépenses publiques progresseraient de 3,5 %, déflatées par les prix du PIB.

En 2023, selon le Gouvernement, la dépense publique devrait progresser de 2,8 %, ce qui, avec une inflation élevée, devrait conduire à une baisse de la dépense publique en volume, de 0,8 % avec le déflateur du PIB. Ce recul s'explique toutefois essentiellement par le reflux des dépenses exceptionnelles liées à la crise sanitaire et à la relance. Une fois ces dépenses neutralisées, la dépense publique progresserait de 0,7 % en volume.

Les dépenses dans le champ de l'objectif national de dépenses d'assurance maladie (ONDAM) – 3,7% hors dépenses de la crise sanitaire – progresseraient plus rapidement qu'avant la crise sanitaire, tandis que, tirées par la hausse des crédits de plusieurs ministères – l'emploi, l'intérieur, la justice, la défense – les dépenses de l'État, sur le champ très large de la nouvelle norme qui en regroupe la très grande majorité, sont inscrites en hausse de 24 milliards d'euros. Les hypothèses de dépenses pour 2023 restent affectées par les incertitudes fortes relatives au coût des boucliers tarifaires pour l'électricité et le gaz, qui peuvent jouer à la hausse comme à la baisse.

Des risques de dépassement existent. En particulier, les dépenses dans le champ de l'ONDAM comprennent une provision de seulement un milliard d'euros pour les achats de vaccins et la campagne de tests au titre du covid-19. Cela suppose que les dépenses de tests soient divisées par vingt par rapport à 2021. D'après nous, cette provision risque de se révéler insuffisante. Espérons que le Gouvernement a raison, mais restons prudents.

Par ailleurs, le maintien d'une inflation élevée en 2023, pour la deuxième année consécutive, pourrait entraîner une hausse plus forte que prévu de certaines dépenses de fonctionnement, difficilement compressibles, ou d'investissement. La prévision suppose l'absence de revalorisation du point d'indice de la fonction publique.

Aussi le Haut Conseil considère-t-il, au final, que certaines dépenses sont peut-être sous-estimées. La prévision de déficit pour 2023, à 5 points de PIB, semble par conséquent l'être un peu aussi, même si elle reste marquée par une grande incertitude. On pourrait donc avoir un déficit un peu inférieur en 2022 et un peu supérieur en 2023.

Le Gouvernement prévoit une baisse du ratio de l'aide publique en 2022 et plus marginalement en 2023. Toutefois, grâce à des facteurs temporaires, il serait assez stable et s'élèverait à 111,2 points de PIB en 2023.

L'analyse de la situation des finances publiques résultant de l'examen du Haut Conseil est sans ambiguïté. Les hypothèses sont un peu optimistes. Le Gouvernement prévoit pour 2023 une stabilité du déficit public effectif, une amélioration limitée du solde structurel, une quasi-stabilité du ratio de dette. Le redressement des finances publiques s'annonce lent et incertain en 2023.

Le Haut Conseil a également examiné le projet de loi de programmation des finances publiques. En ce domaine, trois missions nous incombent : apprécier l'estimation du PIB potentiel proposée par le Gouvernement ; les prévisions macroéconomiques associées à ce projet ; la cohérence de la programmation au regard de l'objectif d'équilibre structurel à moyen terme retenu par les engagements européens.

Le Haut Conseil considère que les hypothèses d'écart de production et les croissances potentielles retenues dans le projet de loi de programmation sont toutes deux optimistes. La croissance potentielle de l'économie serait ainsi, selon le Gouvernement, de 1,35 % par an pour la période 2022-2027. Cette hypothèse est proche de celles du Fonds monétaire international (FMI) et de l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), qui sont légèrement inférieures, mais elle est nettement supérieure à celles de la Commission européenne et de l'OCDE, qui se situent plutôt autour de 1 %, comme d'ailleurs les travaux menés en interne par le Haut Conseil. Bref, 1,35 % est vraiment le taux le plus haut de toutes les estimations.

Sa réalisation suppose notamment que le net ralentissement de la population active prévu par l'INSEE sera plus que compensé par l'effet des réformes annoncées : réforme du revenu de solidarité active, réforme de l'assurance chômage, réforme de l'apprentissage, réforme des retraites, sur lesquelles le Gouvernement a fourni peu d'informations au Haut Conseil – ni les modalités ni le calendrier. Pour parvenir à 1,35 % de croissance potentielle avec le ralentissement démographique, il faudrait que ces réformes, qui ne produiront leurs effets que progressivement, soient toutes mises en œuvre très rapidement.

Par ailleurs, le Gouvernement estime que l'écart de production s'établirait en 2022 à -1,1 point de PIB, supposant que l'économie se situe dans un creux conjoncturel et qu'il existe un fort potentiel de rebond, résultat d'importantes capacités de production inutilisées qui permettraient à la croissance d'excéder fortement la croissance potentielle.

Là encore, nous pensons que cette estimation est optimiste. Elle se situe dans le bas de la fourchette des organisations internationales – notamment -0,4 point pour la Commission européenne ou -0,7 point pour le FMI. Elle n'est pas confirmée par les données d'enquêtes de conjoncture auprès des entreprises. Elle semble notamment incompatible avec les difficultés de recrutement déclarées par les entreprises dans de nombreux secteurs de l'économie.

Avec ces estimations de croissance potentielle et d'écart de production, le scénario macroéconomique pour la période 2023-2027 est à nos yeux optimiste. J'ai déjà évoqué les prévisions pour 2023. Pour la période qui suit, de 2024 à 2027, le Gouvernement retient une croissance du PIB d'en moyenne 1,7 point par an. C'est possible. Cela suppose que plusieurs facteurs favorables soient réunis, dont une baisse rapide du taux d'épargne des ménages, qui n'est pas tout à fait garantie : les ménages peuvent puiser dans leur épargne pour maintenir leur consommation en dépit de l'inflation, mais ils peuvent aussi décider de maintenir durablement une épargne accrue – comportement malheureusement observé dans la période récente – dans un contexte géopolitique et sanitaire tendu.

La prévision du Gouvernement suppose également que, durant toute cette période, l'investissement des entreprises se maintienne à son niveau de 2020 à 2021, supérieur à celui atteint les vingt dernières années, alors même que les conditions de financement se durcissent du fait de la hausse des taux. C'est également possible.

En outre, dans le scénario du Gouvernement, le commerce extérieur contribuerait à la croissance grâce à des gains de parts de marché à l'exportation. C'est possible, mais cela suppose tout de même une rupture très forte avec la tendance des deux dernières décennies ; les derniers chiffres connus ne vont pas dans ce sens.

Enfin, le Gouvernement suppose que l'inflation se résorberait grâce à une remontée modérée des taux d'intérêt, alors même qu'il existe des incertitudes fortes sur ce point.

Au total, aucune des hypothèses prises isolément n'est totalement irréaliste. Toutes sont possibles, mais leur combinaison est le fait d'un cadrage d'ensemble optimiste. Disons qu'il n'est pas impossible que toutes les hypothèses favorables se réalisent en même temps.

Enfin, le Haut Conseil doit se prononcer sur la cohérence de la programmation au regard de l'objectif à moyen terme, d'une part, et vis-à-vis des engagements européens de la France d'autre part. Je rappelle que ces engagements résultent principalement du pacte de stabilité et de croissance et du Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance (TSCG) au sein de l'Union économique et monétaire signé en 2012.

Comme je l'ai dit, la clause dérogatoire générale du pacte de stabilité et de croissance a été déclenchée par la Commission européenne en mars 2020. Elle est applicable jusqu'à la fin de l'année 2023. Au-delà, le pacte de stabilité devrait retrouver son rôle. Or la trajectoire présentée s'écarte des engagements qui en découlent, à plusieurs égards.

Premièrement, le retour effectif du déficit sous les 3 % ne s'opère pas avant 2027.

Deuxièmement, la convergence vers l'objectif de moyen terme fixé à -0,4 point de PIB est lente et reportée après la période de programmation. En effet, le PLPFP estime le déficit structurel pour 2027 à 2,8 points, soit un écart de plus de 2 points.

Troisièmement, l'ajustement structurel prévu, c'est-à-dire l'amélioration du déficit structurel d'une année sur l'autre, est sensiblement inférieur à 0,5 point de PIB par an, ce qui n'est pas conforme aux règles actuellement applicables à la France.

Enfin, le ratio de dette publique s'infléchit seulement en fin de programmation, légèrement – à 110,9 points de PIB en 2027 – alors même que les hypothèses de croissance ne sont pas pessimistes et que l'évolution des taux d'intérêt est incertaine.

Cette trajectoire nous paraît peu ambitieuse : la plupart de nos partenaires vont plus vite s'agissant du retour sous les 3 % de déficit et de l'évolution du taux d'endettement, à en croire en tout cas les prévisions qu'ils affichent. Et pourtant, elle soulève des interrogations. Bien que l'ajustement structurel prévu soit très graduel, la trajectoire repose sur une quasi-stabilité en volume des dépenses publiques pour la période 2024-2027, soit une maîtrise nettement plus forte que pendant les deux dernières décennies et qui n'est pas, à ce stade, documentée. Les dépenses de l'État devraient reculer de 0,7 % en volume par an, en moyenne, ce qui suppose une forte baisse des crédits des ministères autres que ceux relevant de lois de programmation sectorielles – défense, sécurité intérieure, recherche – qui sont inscrits en forte hausse.

Les dépenses locales de fonctionnement devraient reculer de 0,5 point en volume par an, objectif plus ambitieux que celui retenu par la précédente loi de programmation. Le PLPFP suppose que les collectivités ne choisiront pas de tirer parti des marges financières qui en résulteront pour améliorer leurs dépenses d'investissement.

De plus, dans les prévisions du Gouvernement, la croissance de l'ONDAM serait moins rapide que celle du PIB, ce qui s'est très rarement produit par le passé et qui supposerait une action résolue pour freiner la dépense, dans le contexte haussier du vieillissement de la population et de progrès technique – action qui n'est pas non plus documentée dans les éléments transmis au Haut Conseil.

Enfin, du côté des recettes, la trajectoire suppose, entre autres, une réduction des niches fiscales et sociales, à laquelle la Cour des comptes appelle d'ailleurs très fortement, et une lutte efficace contre la fraude. Le total, qui doit dépasser 9 milliards d'euros, est crédible mais élevé au vu des résultats passés, et nécessitera une action très volontaire.

En définitive, le PLPFP encourt les mêmes réflexions que le Haut Conseil a formulées sur le programme de stabilité : c'est fragile, trop peu ambitieux et d'une crédibilité qui pourrait être plus forte.

Ni les projets de lois de finances et de financement de la sécurité sociale pour 2023 ni le projet de loi de programmation des finances publiques ne nous engagent donc dans la voie d'un redressement suffisant de nos finances publiques. Si nous avons à faire face à d'autres crises, il faut que nous nous y préparions. Avec une dette publique qui devrait dépasser 3 000 milliards d'euros d'ici à la fin de cette année, un contexte de taux d'intérêt différent, une charge pour le remboursement du service de la dette qui s'accroît fortement, nos marges de manœuvre et nos capacités d'action se réduisent déjà. Pourtant, nous avons besoin qu'elles s'accroissent face aux besoins considérables en investissements dont le pays peut légitimement réclamer la survenue.

De plus, ces résultats restent éloignés de nos engagements européens. La soutenabilité de nos finances publiques, mais aussi notre crédibilité et notre influence au sein de la zone euro, en sont affectées.

C'est pourquoi nous estimons qu'un programme d'économies plus solide et plus documenté, couplé à la recherche d'une plus grande qualité des dépenses, est tout à fait nécessaire.

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