Villeroy de Galhau. Je vous remercie d'abord, monsieur le président, pour votre soutien au projet de nouvelle imprimerie pour les billets dans le Puy-de-Dôme, associé à un plan de compétitivité respectueux des droits sociaux existants. Je redis que la filière fiduciaire constitue une mission centrale de la Banque de France. À l'heure où une monnaie numérique est évoquée, il n'est pas question d'abandonner les billets et les pièces que beaucoup de nos concitoyens utilisent.
S'agissant de ma lettre au Président de la République, il ne revient pas à la Banque de France de retenir des priorités de dépenses d'avenir. Je suis désolé si nous n'avons pas cité les investissements écologiques, mais ma lettre comporte une page nourrie sur la transformation écologique et énergétique. La Banque de France se montre leader parmi les banques centrales dans ce domaine, ce qui peut constituer un motif de fierté pour la France, et nous avons créé à Paris un réseau international qui fait référence pour verdir le système financier.
Les baisses d'impôt relèvent de votre débat budgétaire démocratique. La Banque de France est indépendante dans ses prévisions économiques et n'est pas responsable des choix budgétaires et fiscaux. Je ne me prononce donc pas sur les mesures proposées. Pour autant, je signale que, compte tenu de la situation de nos finances publiques, les dépenses additionnelles ou les baisses d'impôt supplémentaires ne sont pas nécessairement financées.
Nos prévisions indépendantes de croissance ont légèrement diminué pour 2023, dans un contexte d'incertitude qui justifie l'utilisation de fourchettes de notre part. La frontière entre l'incertitude et l'insincérité constitue cependant un vaste espace. Je dois procéder à une vérification technique concernant les projections d'inflation du Gouvernement, mais elles pourraient reposer sur l'indice national, alors que la Banque de France utilise l'indice européen. Cela expliquerait une partie de l'écart entre les 4,2 % du Gouvernement et les 4,7 % de la Banque de France.
Nous constatons tous, dans nos contacts avec les entreprises sur le terrain, que l'incertitude majeure des chefs d'entreprise a changé. Il y a six mois, ils s'inquiétaient avant tout de leurs approvisionnements en matières premières et de leurs difficultés de recrutement ; désormais, leurs factures énergétiques les préoccupent. L'aléa majeur dans nos prévisions de croissance et d'inflation concerne l'évolution des prix de l'électricité et du gaz, mais aussi des factures individuelles des entreprises.
Le « quoi qu'il en coûte » peut recouvrir des réalités différentes. Lors du choc Covid de 2020, sans précédent, la puissance publique a assumé les risques qui auraient sinon pesé sur les entreprises et les ménages. La dette publique s'est alors creusée de manière importante mais, à mes yeux comme aux vôtres, justifiée. La situation diffère aujourd'hui. D'une part, le choc s'avère nettement moins violent, puisque le bas de notre fourchette se situe à -0,5 %. Nous ne vivrons pas un scénario catastrophe de type Covid. D'autre part, si les politiques de soutien à la demande étaient adaptées au choc Covid (soutien monétaire face à une menace déflationniste, soutien budgétaire à la demande), la situation s'est inversée. La politique monétaire se trouve face à une menace inflationniste, et une politique budgétaire favorisant la demande resterait peu efficace car la croissance est avant tout entravée par des problèmes d'offre. Par ailleurs, nous disposons d'une moindre marge de manœuvre compte tenu d'une dette plus élevée.
Déjà avant 2020, lorsque l'inflation ne suffisait pas, la Banque centrale avait décidé d'acheter de la dette en volumes importants. Tel est également le cas de la Banque de France, qui détient plusieurs centaines de milliards d'OAT françaises. Les derniers achats de dette sont intervenus en juin 2022, puis nous les avons interrompus, car la situation de l'inflation a radicalement changé. Nous maintenons toutefois, à la différence des États-Unis, la taille du bilan en la matière et nous rachetons donc de la dette française ou d'autres pays européens. En revanche, acheter de la dette supplémentaire semblerait contradictoire avec la priorité donnée à la lutte contre l'inflation.
Enfin, il existe déjà en France une indexation pour les salariés les plus modestes, au travers du SMIC, qui a augmenté de 8 % depuis un an. Le reste relève de la négociation sociale décentralisée, au plus près de la réalité économique. Une indexation généralisée nous ferait courir le risque d'une spirale prix – salaires et les salariés seraient à terme perdants.
J'en viens aux questions du rapporteur général. L'inflation s'avère plus persistante que prévu, mais surtout plus large, et elle a changé de nature. Une inflation avant tout importée et énergétique est devenue pour partie une inflation généralisée, ce qui semble justifier la normalisation monétaire.
Je ne pense toutefois pas que cette remontée des taux pèsera excessivement sur la croissance et le chômage. Les économistes étudient un taux neutre, ou taux normal de milieu de cycle, qui n'amplifie pas l'inflation et ne resserre pas l'activité. Ils n'en fournissent pas un niveau unique, mais la plupart des estimations en zone euro se situent en dessous ou près des 2 %. Nous n'en sommes pas là, puisque nous avons remonté les taux à 0,75 %. Jusqu'au taux neutre, la normalisation monétaire ne pèse pas sur l'activité et permet de franchir une étape indispensable et naturelle dans la lutte contre l'inflation. Quand nous aurons atteint le taux neutre, probablement au tournant de l'année, nous évaluerons les perspectives d'inflation et les perspectives de croissance.
Vous avez aussi évoqué le risque de fragmentation dans la zone euro. En juillet 2022, le Conseil des gouverneurs a adopté à l'unanimité l'instrument de protection de la transmission (TPI). Si nous constatons des écarts de taux d'intérêt injustifiés dans certains pays de la zone euro, nous pouvons reprendre une politique d'achat de dettes afin d'éviter une fragmentation. Depuis l'annonce de cet instrument en juillet 2022, nous n'en avons constaté aucun.
Les chiffres de la Banque de France montrent que le crédit se porte globalement bien en France. En juillet 2022, il croît de 6,4 %, soit plus que la moyenne de la zone euro, et le taux moyen hors frais et assurances s'établit à 1,45 %, soit nettement moins que la moyenne de la zone euro et moins que la moyenne historique des quinze dernières années (2,7 %). En dépit d'une remontée progressive, la situation demeure très favorable. Par ailleurs, 97 % des crédits immobiliers français sont à taux fixe, ce qui protège les emprunteurs existants. Tel n'est pas le cas ailleurs. Nous restons attentifs à certaines situations, mais les chiffres d'exclusion qui ont circulé sont relativement peu crédibles.
Quant à la dette des entreprises françaises, elle s'avère plus élevée que la moyenne européenne et les moyennes internationales, mais la dette consolidée des entreprises françaises, tenant compte des financements intragroupes élevés en France, se révèle moins éloignée de la moyenne européenne. Par ailleurs, la dette nette de trésorerie s'inscrit dans la moyenne internationale.
Enfin, les PGE se sont traduits par une forte augmentation de la dette des entreprises, mais aussi par une forte augmentation de la trésorerie. La dette nette n'a donc pas progressé. Selon moi, les entreprises manquent plutôt de capital que de crédit et nous devons nous interroger sur notre système de financement collectif.