Villeroy de Galhau, gouverneur de la Banque de France. Je suis très heureux de me présenter devant cette nouvelle commission des finances. Je tiens à vous présenter, au nom de la Banque de France, toutes mes félicitations et mes souhaits pour les responsabilités qui sont les vôtres. Il relève du devoir de la banque centrale de rendre démocratiquement des comptes sur son activité, ce qui est la contrepartie naturelle de son indépendance. Nous nous tiendrons évidemment à votre disposition tout au long de cette seizième mandature.
Sur la période récente, l'économie française a, comme les économies européennes, subi trois chocs sans précédent successifs : la crise Covid en 2020 ; puis la vigueur de la reprise, avec des goulets d'étranglement mondiaux en 2021 ; et la guerre russe en Ukraine cette année. C'est dans ce contexte hautement incertain que nous avons conduit, avec humilité, nos projections macroéconomiques de septembre. Nous ne prétendons pas à des certitudes à la décimale près, et nous présentons des fourchettes pour 2023.
Notre conviction de fond sur le cycle de l'économie française peut se résumer en trois temps autour de trois R.
R comme résilience en 2022 d'abord. L'économie française résiste mieux que prévu aux chocs récents. Nous avons même révisé légèrement à la hausse nos prévisions pour 2022, qui s'élèvent désormais à +2,6 % (contre +2,3 % en juin). En effet, le diagnostic d'ensemble aboutit à une bonne tenue de la demande et des commandes, s'agissant de la consommation et des investissements, mais les entreprises font face à de sérieux problèmes d'offre, d'approvisionnements, d'énergie et de recrutement.
R comme ralentissement à partir de l'hiver 2022-2023. Étant donné l'ampleur des incertitudes entourant les approvisionnements en gaz et leur prix, nous avons décidé de présenter une fourchette de prévision pour 2023, ce qui s'avère assez inhabituel. Cette fourchette se situe entre + 0,8 %et - 0,5 %. Nous n'excluons donc pas une récession, mais si celle-ci devait avoir lieu, elle serait limitée et temporaire. Il ne s'agit du reste pas du scénario le plus probable puisque notre scénario de référence réside dans une croissance du PIB de + 0,5 %. Nous ne prévoyons donc pas de scénario catastrophe comparable à celui du Covid en 2020, avec un recul de 7,9 %.
R comme reprise économique à l'horizon 2024 enfin. Dans un contexte de détente graduelle des tensions sur les marchés de l'énergie, l'économie française renouerait alors avec une croissance plus soutenue.
Je mesure comme vous les inquiétudes et les difficultés de nos concitoyens, mais malgré les incertitudes, je porte aujourd'hui un message marqué par la lucidité et une certaine confiance : si nous nous mobilisons collectivement, l'économie française a les moyens de faire face à ce choc extérieur et ce surcoût énergétique. Au fil de nos trois années de prévision, l'économie française montrerait une relative résilience de l'emploi, du pouvoir d'achat des ménages en moyenne et du taux de marge des entreprises. Chacune de ces trois variables pourrait être meilleure en 2024 que dans la situation pré-Covid. En revanche, le ratio d'endettement public, déjà fortement dégradé à la suite du choc Covid, serait au mieux stabilisé à l'horizon 2024. Nous devrons en outre gagner la bataille contre l'inflation.
La hausse de l'inflation s'est amplifiée ces derniers mois, atteignant en août + 6,6 % selon l'indice harmonisé européen des prix à la consommation ou + 5,9 % selon l'indice national. Grâce notamment au bouclier tarifaire, ce niveau reste néanmoins le plus bas de la zone euro, dont la moyenne d'inflation s'établit à 9,1 %.
La nature de l'inflation explique notre réponse de politique monétaire. Elle est largement importée, et la moitié environ est imputable aux prix de l'énergie et de l'alimentation. La récente envolée des prix du gaz nous amène à prévoir un pic d'inflation d'ici début 2023. Une fois encore, nous avons établi une fourchette d'inflation pour 2023, entre 4,2 % et 6,9 %, avec un scénario de référence à 4,7 %. La guerre devrait malheureusement perdurer, néanmoins les prix de l'énergie finiront par se stabiliser, voire baisser sur les deux prochaines années. Nous l'avons déjà constaté avec le pétrole ces derniers mois.
Cependant, l'inflation devient également plus interne et plus large, dans la mesure où ses autres composantes affichent toutes une progression : l'inflation sous-jacente (hors énergie et produits agricoles) s'élève à + 4,1 % en France et + 4,3 % en zone euro, et la hausse des prix se généralise aux biens et services. Ce phénomène représente l'autre moitié de l'inflation totale. Les banques centrales ont la responsabilité de cette inflation plus domestique, qu'elles ne doivent pas laisser déraper et persister. Tel est le sens de l'action que nous menons avec la Banque centrale européenne : nous sommes fermement engagés à ramener l'inflation vers les 2 % dans les deux à trois années à venir, en France comme en Europe.
À cette fin, nous avançons de façon déterminée mais ordonnée sur le chemin de la normalisation monétaire. Nous sortons d'une période marquée par des taux d'intérêt exceptionnellement bas en raison d'une inflation insuffisante. Aujourd'hui, pour lutter contre le retour de l'inflation, nous revenons vers des taux d'intérêt normaux. Les économistes soulignent d'ailleurs l'importance des taux réels, déduction faite de l'inflation anticipée sur la durée des prêts. Or à ce stade, ces taux restent significativement négatifs.
Cette normalisation monétaire ne se fera pas au prix d'une récession, qui ne constitue pas à ce jour le scénario le plus probable, et serait en tout état de cause limitée et temporaire. Elle ne se fera pas non plus au prix d'un chômage remontant trop rapidement, puisque la situation de l'emploi reste relativement favorable. Pour autant, plus nous réagirions tard face à cette maladie que constitue une inflation trop élevée, plus le remède serait lourd.
Nous constatons depuis quelques jours une volatilité plus forte sur les marchés financiers, en particulier les changes, avec l'appréciation du dollar comme valeur refuge, et les taux d'intérêt, avec la très forte hausse des taux britanniques après l'annonce de déficits budgétaires massifs. Nous y reviendrons peut-être, mais il semble vital de ne pas ajouter l'incertitude à l'incertitude, et de garder nos caps : celui d'une politique monétaire européenne de stabilité des prix ; celui d'une politique budgétaire française ancrée sur une norme de dépenses réellement tenue, quel que soit son niveau, et permettant le désendettement dans la durée. Il s'avère aussi vital d'agir dans une forte coordination européenne et internationale, car le cavalier seul s'avère contre-productif.
Malgré les urgences successives auxquelles nous devons faire face, il reste essentiel de se projeter sur un horizon plus long et d'orienter en conséquence nos réponses de politiques économiques. Il ne peut s'agir d'un nouveau « quoi qu'il en coûte ». J'avais soutenu des politiques de soutien à la demande, largement justifiées dans le contexte du choc Covid. Cependant, elles sont aujourd'hui à la fois moins disponibles et moins adaptées à la crise actuelle, qui se traduit essentiellement par des problèmes d'offre. L'enjeu crucial consiste plutôt à muscler notre capacité productive, afin de produire plus et mieux, pour à la fois réduire l'inflation et accroître notre potentiel de croissance. Cette croissance serait en outre de meilleure qualité, plus verte et plus juste.
Je crois profondément au modèle social et environnemental européen, qui montre encore plus sa pertinence face aux chocs de l'époque. Néanmoins, ce modèle ne sera durable qu'à une condition clé : renforcer son efficacité économique. Nous devons pour cela réussir trois transformations de notre offre productive : deux sont communes à toute l'Europe – la transition écologique et la transition numérique – et une autre est plus spécifique à notre pays – la transformation du travail, pour accroître sa quantité et sa qualité. Nombre des leviers possibles relèvent naturellement des choix du débat démocratique.
Les chocs externes qui affectent notre pays sont sévères, mais la France dispose de plus d'atouts qu'elle ne l'imagine pour les surmonter. Plus que jamais, dans les lourdes incertitudes actuelles, la Banque de France se tiendra prête à écouter, aider, expliquer et rendre des comptes.