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Intervention de Nicolas Thierry

Réunion du mercredi 27 mars 2024 à 9h30
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaNicolas Thierry, rapporteur :

Je vais répondre aux questions principales, une grande partie des points évoqués devant être abordés lors de la discussion des amendements. Cela me permettra de poser quelques éléments de cadrage.

La question de la toxicité est revenue plusieurs fois. Certaines substances PFAS seraient-elles toxiques et d'autres non ? Quand j'ai commencé à travailler sur ce sujet, j'ai dû m'acculturer à cette question assez technique en rencontrant des chercheurs, y compris hors de nos frontières. Ce qu'il faut comprendre, c'est que si plusieurs dizaines de ces molécules sont extrêmement persistantes dès leur conception, et par nature très difficiles à gérer, toutes les autres, une fois larguées dans l'environnement, finissent par avoir le même effet : le processus de dégradation fait que même elles se fragmentent et finissent par prendre une forme qui les rend comparables à celles qui sont persistantes dès l'origine. Bref, tous les PFAS sont préoccupants, qu'ils soient toxiques et persistants dès leur conception ou qu'ils le deviennent après dégradation ; aucun n'y échappe. C'est à cause de cette caractéristique commune que toutes les agences européennes et tous les scientifiques, comme l'indique d'ailleurs le rapport Isaac-Sibille, préconisent une approche par famille de cet enjeu sanitaire, et non substance par substance.

Concernant les usages, nous avons été très attentifs à n'inclure dans le périmètre de l'interdiction que ceux pour lesquels des alternatives sont ou seront disponibles à court terme, les autres interdictions étant échelonnées dans le temps sur la base du travail de l'Agence européenne. Nous avons donc ciblé les cosmétiques, les textiles, les emballages alimentaires et le fart de ski. Concernant les cosmétiques, les professionnels de la filière rencontrés lors des auditions nous ont dit avoir entamé ce travail de sortie des PFAS et soutenir une réglementation, dont l'entrée en vigueur à partir de 2026 ne leur poserait aucun problème. C'est le sens de l'amendement de compromis que nous avons proposé. Concernant les textiles, les auditions ont montré qu'il y avait des difficultés de substitution pour d'autres produits que les habits de sécurité auxquels nous avions pensé, s'agissant des arts de la table notamment. Les industriels nous ont cependant confirmé que l'on pouvait avancer en matière de textile d'habillement. Notre amendement de compromis précise donc ce point.

Quant au fart de ski, voilà un usage sur lequel ne subsiste aucun doute. Dans les compétitions internationales, les PFAS sont déjà interdits : ils ne restent permis qu'aux skieurs du dimanche qui descendent, comme vous et moi, leur piste verte ou noire. D'après le directeur technique national de la Fédération française de ski, le plus tôt sera généralisée l'interdiction, mieux cela vaudra. C'est en effet une pollution qu'on peut éviter tout de suite : les skieurs répandent des PFAS en descendant les pistes, la neige fond, et les substances passent dans les cours d'eau. Par ailleurs, les salariés des magasins spécialisés qui fartent les skis sont exposés aux poussières, alors que cet usage est devenu parfaitement inutile. La substitution présentait certaines difficultés pour le ski de fond, mais qui ont été aplanies.

J'en viens à une question intéressante, méritant d'être traitée tout de suite : les effets éventuels d'une réglementation sur l'industrie française. On pourrait croire que nous risquons de gêner nos industriels en leur imposant des contraintes que les autres ne subiront pas. Concernant les PFAS, la réalité est différente. Charles Fournier a rappelé qu'il y a un quart de siècle, un scandale sanitaire retentissant a explosé aux Etats-Unis, qui occupe beaucoup l'espace public. Or la pression juridique et citoyenne a poussé les industriels à s'adapter : ils ont fait de la sortie des PFAS un élément de différenciation commerciale et de compétitivité, bref, un argument de vente. En Europe et en France, le débat a émergé tout récemment, mais le sujet prend très vite et devient une préoccupation des consommateurs. Si nous attendons le processus européen, nous nous retrouverons avec des consommateurs qui cherchent des produits sans PFAS et des industriels en retard pour leur en fournir, alors que d'autres pourront leur en offrir, notamment les Américains. Une chaîne de restauration rapide américaine incontournable a, par exemple, entamé sa sortie des PFAS en 2006. Pousser les industriels à se tourner vers les substituts leur donnera demain un avantage comparatif parce que cela correspondra à un critère de choix des consommateurs.

Le projet de restriction européen vise 10 000 substances, au titre du règlement Reach, la demande ayant été présentée par les autorités danoises, allemandes, néerlandaises, norvégiennes et suédoises et enregistrée par l'ECHA en 2023. Il faut comprendre que ce processus sera long : après avoir demandé aux industriels et aux États moteurs d'envoyer des informations concernant la fabrication et la mise sur le marché de PFAS, l'Agence a reçu des milliers de contributions – c'est un des sujets qui en ont suscité le plus – que ses comités scientifiques doivent maintenant analyser et évaluer pour formuler des avis, eux-mêmes soumis à la Commission européenne, au Parlement européen et aux États membres. Même en imaginant que tous les États tombent d'accord – ce qui, entre nous, ne sera pas le cas –, une décision n'interviendrait qu'en 2027. Puis, pour les substances concernées par la restriction, dix-huit mois seraient laissés aux entreprises européennes pour s'adapter, de sorte que même dans le meilleur des scénarios, la procédure entière n'aboutirait pas avant 2029 ou 2030.

Or notre proposition de loi permet de restreindre certains usages tout de suite, évitant ainsi aux gens d'être exposés pendant tout ce temps. Au vu des enjeux de santé publique que vous avez tous reconnus, six ans sont une durée considérable. Nous vous proposons donc un texte qui établit un échéancier raisonnable et cible les secteurs disposant de solutions de remplacement à court terme, tout en fixant un horizon à plus long terme.

Un dernier mot sur la dépollution : deux techniques de filtration existent à ce jour, le charbon actif et l'osmose inversée. D'après les scientifiques, le charbon actif fonctionne pour certains PFAS, mais d'autres malheureusement y résistent. Plus efficace, l'osmose inversée est hélas assez coûteuse et énergivore et donc très difficile à déployer, notamment pour de toutes petites collectivités, confrontées à un mur d'investissements. D'où l'intérêt de couper à la source la pollution, pour restreindre autant que possible l'obligation de dépollution.

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