Intervention de Rachida Dati

Réunion du mardi 19 mars 2024 à 16h30
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Rachida Dati, ministre :

En tant que ministre de la Culture, je n'ai ni à juger ni à commenter les propos des uns et des autres.

Ma position est la suivante : cette décision de justice rappelle le principe du pluralisme énoncé dans la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication, en appelant à y veiller sur toutes les chaînes de télévision. Le régulateur a répondu en disant qu'il y veillera. Nous pouvons collectivement nous satisfaire de cette décision, qui appelle à l'application et au respect du pluralisme sur toutes les chaînes de télévision, sans exclusive : si certains ont pensé que l'audiovisuel public n'est pas concerné, ils se trompent ; il est concerné au même titre que les autres chaînes de télévision. On ne peut dire que cette décision de justice vise un acteur en particulier.

S'agissant des personnes handicapées, 90 % des ouvrages publiés en France leur sont inaccessibles. Maire du 7e arrondissement de Paris, j'ai dans l'arrondissement l'Institut national des jeunes aveugles (Inja), qui est partenaire de l'opération « La cause des livres ». Je suis très sensible à la nécessité d'assurer l'accessibilité aux livres. Peu de temps avant ma nomination au Gouvernement, j'ai porté, avec l'Inja, un projet visant à inclure les enfants en situation de handicap dans les écoles de l'arrondissement, dans le cadre d'un partenariat d'accessibilité.

Nous allons développer bien davantage l'offre de livres accessibles, grâce à des aides accrues, en partie sanctuarisées dans le programme France 2030. Je travaille sur ce sujet avec l'Inja depuis que j'ai été élue maire, en 2008 ; je continuerai à y travailler en tant que ministre de la Culture, dans un périmètre plus large.

S'agissant du cinéma, beaucoup de choses sont entreprises. Les aides seront soumises à conditions. La lutte contre les violences sexistes et sexuelles fera l'objet de sessions de formation. Ce combat est pour moi un combat ancien. Personne ne peut en douter. J'ai mené ici même un combat contre les violences conjugales avec mes amis du groupe Les Républicains, qui ont soutenu tous mes textes. J'ai fait en sorte qu'il y ait des psychologues et des travailleurs sociaux dans les commissariats et les gendarmeries – on me disait que cela ne servirait pas à grand-chose. Je me souviens avoir annoncé à Bobigny l'expérimentation du téléphone grave danger (TGD). J'étais bien seule. On me disait qu'il coûterait cher sans être toujours efficace. J'ai répondu que la vie d'une femme n'a pas de prix.

La parole des victimes, pas uniquement des femmes, doit être sanctuarisée sans être sacralisée. Il faut l'entendre et la traiter. J'avais créé – malheureusement, la gauche l'a supprimé – le juge des victimes. Si l'auteur des faits est suivi par un juge d'application des peines (JAP) jusqu'à l'exécution de sa peine, la victime n'est pas ou peu suivie.

Dans le cinéma, nous avons pris des mesures fortes pour lutter contre les violences sexistes et sexuelles. S'agissant des mineurs, que j'ai évoqués avec Judith Godrèche lors de la cérémonie des Césars et auparavant, nous prévoyons de nommer une personne qualifiée – comme l'est un administrateur ad hoc en matière civile – chargée de veiller, sur les tournages, aux conditions de travail et de fonctionnement dans lesquelles évoluent les mineurs. Rien de tel n'est prévu à l'heure actuelle. Il ne s'agit pas uniquement de prévenir les actes de pédocriminalité. Je n'ai pas peur des mots : certains se servent de l'art pour commettre ces crimes. Nous n'en voulons pas. Il s'agit de charger un professionnel de veiller aux conditions de travail de l'enfant, s'agissant notamment du suivi des cours et du respect de l'intégrité de sa personne.

S'agissant de M. Boutonnat, j'ai dit que je fais confiance à la justice et que je refuse de m'asseoir sur ses principes. Il a bénéficié d'un non-lieu pour la tentative de viol dont il était accusé et a été mis en examen pour agression sexuelle. Une date d'audience a été fixée.

Je ne suis pas devenue magistrat par hasard. Là où je vivais, de nombreuses personnes mises en cause, parfois pour des faits graves, échappaient aux poursuites faute de preuves ou de signalement. Je me souviens de jeunes femmes qui se sont suicidées. Je suis donc très attentive aux mises en cause pour des faits graves.

Par ailleurs, le juge d'instruction qui a mis M. Boutonnat en examen connaissait sa fonction et pouvait lui interdire de l'exercer. Je n'ai pas le pouvoir d'ordonner sa mise en retrait ou sa suspension. Une telle décision serait contestée, car elle serait arbitraire. Depuis sa mise en examen, aucun élément nouveau n'a été versé au dossier. La justice a considéré qu'il pouvait continuer à exercer. Je respecte cette décision. L'audience est prévue dans très peu de temps. Nous prendrons des décisions à l'issue.

Je tiens à être très claire : la lutte contre les violences sexistes et sexuelles est un combat que nous menons en commun et depuis longtemps. Je m'inscris dans ce combat transpartisan. Il y va de la dignité et du respect de la personne, jusqu'au respect de sa parole.

Concernant le financement de l'audiovisuel, j'ai déjà répondu qu'il faut pouvoir sanctuariser une part de la TVA en sa faveur.

Les quatre-vingt-dix-neuf écoles relevant de la tutelle du ministère de la culture sont soutenues et ne rencontrent pas de difficultés. Mais dans la jungle que constituent les autres écoles, certaines sont très déconnectées de la réalité, notamment en matière de débouchés. Je ne suis pas là pour les fermer, d'autant que beaucoup dépendent des collectivités territoriales. J'ai confié à mes directions la mission de définir de façon cohérente la formation et l'éducation à la culture au sens le plus large – métiers d'art, architecture, design –, car tout est imbriqué : certains métiers de la culture sont placés sous l'égide du ministère de l'éducation nationale, avec des formations qualifiantes diplômantes, tandis que d'autres dépendent exclusivement du ministère de la culture. Pour les écoles dépendant de mon ministère, mon étonnement a été grand quand j'ai découvert qu'elles ne proposaient pas de formation en alternance ou en apprentissage. Or j'y tiens absolument : cela sera possible dès septembre 2024.

Concernant l'apprentissage et l'alternance, qui permettent la transmission des savoirs, le ministère est très en retrait par rapport à d'autres, alors qu'il devrait être celui qui les pratique le plus. Les musées devraient également les proposer à leurs agents, qui sont souvent des vacataires et des contractuels : cela permettrait, d'une part, de remédier à leur précarité et, d'autre part, d'anticiper les besoins dans certains métiers.

Le pass culture est un bon dispositif, même s'il peut devenir un outil de consommation. L'application n'est pas éditorialisée : si l'on veut aller à l'opéra ou au théâtre, il faut s'y connaître un peu car aucune orientation n'est proposée. Je suis donc en train de revoir toute la plateforme pour la rendre plus incitative, lui donner une fonction de médiation. Pour certains jeunes, se rendre à l'opéra ou au théâtre nécessite une préparation, car cela peut susciter de l'appréhension – ce fut mon cas la première fois que je suis allée à l'opéra. Je veux donc favoriser la médiation en permettant aux acteurs de l'éducation populaire d'accéder au fonds du pass culture. Je souhaite également élargir la part collective du pass culture en créant un nouveau fonds de dotation permettant de mobiliser d'autres sources de financement que celles assurées par l'État. C'est ce sur quoi je suis en train de travailler.

J'ai constaté avec surprise, lorsque j'ai rencontré des maires de grandes villes du Sud de la France disposant d'une offre culturelle très dense, que l'accès par la part individuelle du pass culture ne représentait qu'une part infime. Alors que ce dispositif se voulait un outil d'accessibilité pour tous, l'objectif n'est donc pas atteint. La médiation, l'incitation et l'éditorialisation permettront d'éviter qu'il ne devienne un simple instrument de consommation. Ma conviction profonde est que c'est un outil de reproduction sociale dans l'accès à la culture ; il faut donc le réformer, et nous y travaillons.

En zone rurale, l'obstacle est tout d'abord physique. Même quand il existe une belle salle de cinéma ou de théâtre, ou encore du spectacle vivant, la première question qui se pose est de savoir comment s'y rendre. J'ai rencontré des jeunes d'un collège qui avaient bénéficié de la part collective du pass culture : pour les deux tiers d'entre eux, cette sortie culturelle était une première – c'est encourageant. Cependant, l'enseignante m'a expliqué que s'ils avaient mis deux mois pour choisir cette activité culturelle, il leur avait fallu presque trois mois pour trouver un moyen de transport. Cela veut dire qu'on crée de la discrimination dans la discrimination, de l'inégalité dans l'inégalité. La ruralité est systématiquement discriminée, notamment dans l'accès à la culture. Et il en va de même pour l'ingénierie culturelle. Il n'y a pas de raison que cela soit facile pour certains et compliqué pour d'autres. Nous voulons donc revoir ce dispositif, particulièrement dans la ruralité.

L'instauration des droits voisins a constitué une avancée parce qu'elle a permis de reconnaître la valeur créée par les médias traditionnels face aux plateformes en ligne. Cependant, les résultats restent en dessous des espérances et les négociations sont très compliquées. Il faut les poursuivre avant de légiférer car, comme pour les droits d'auteur, nous ne pouvons pas nous laisser engloutir. Nous sommes à votre disposition pour travailler sur ce sujet.

Le financement des Smac est assuré ; cela sera notifié en avril.

Le Président de la République a lancé une souscription pour la sauvegarde du patrimoine religieux. La levée de fonds s'élève à ce jour à 2,4 millions d'euros. Certains diront que ce n'est pas vraiment un succès ; ils ont raison et c'est pour cela que je souhaite en revoir les modalités. Une personne qui participe à la souscription veut voir l'image de son église et savoir ce qu'elle finance. J'aimerais que l'on n'abandonne pas cette piste de financement : il faut éviter que la réhabilitation des édifices religieux n'intervienne que lorsque se produit un drame – dégât des eaux, incendie, effondrement d'un toit. Il s'agit non seulement de restaurer ce patrimoine de proximité mais aussi de l'entretenir. Il est possible, dans ce but, d'en faire un tiers-lieu. Ainsi, les belles églises de mon arrondissement accueillent des concerts et des chorales d'enfants, qui contribuent à financer leur conservation.

Le patrimoine religieux, qui n'est pas délocalisable, est le premier accès à la culture. Il faut le préserver. La liste des sites qui seront soutenus par l'État dans le cadre du loto du patrimoine sera annoncée le 20 mars. Nous avons choisi du patrimoine de proximité, notamment religieux, de façon non partisane.

Le patrimoine, qui est l'une de mes priorités, ne subira pas de réduction de son financement.

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