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Intervention de Rachida Dati

Réunion du mardi 19 mars 2024 à 16h30
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Rachida Dati, ministre de la Culture :

Je suis très honorée de venir m'exprimer devant votre commission.

En arrivant au ministère de la culture, j'ai indiqué que ma priorité serait de faire de l'accès à la culture une réalité pour tous les Français, sur l'ensemble du territoire national. Cet accès, j'entends le décliner de plusieurs façons : par l'audiovisuel public, qui est un vecteur majeur de l'accessibilité de la culture pour tous et partout ; par l'ouverture à tous des métiers de la culture ; par le soutien, face aux bouleversements technologiques, économiques ou géopolitiques, des acteurs culturels qui sont frappés de plein fouet ainsi que des Français dans leur besoin de culture.

L'audiovisuel public est le premier chantier prioritaire. Nous avons commencé à y travailler avec certains d'entre vous ainsi qu'avec les sénateurs. C'est le bon moment – d'ailleurs, si nous avons avancé aussi rapidement, c'est que vous être nombreux à être d'accord avec moi. Le diagnostic est en effet connu de tous : une concurrence toujours plus forte, l'évolution des publics et des pratiques et, surtout, la dégradation globale de notre espace public médiatique.

L'audiovisuel public a un rôle clef pour maintenir un espace médiatique de qualité, caractérisé par une information fiable et une valeur ajoutée culturelle. Nous y tenons tous – les Français y tiennent –, car nous savons ce que nous lui devons. Si nous ne le réformons pas, nous prenons le risque de l'affaiblir, et même de le voir disparaître. La démocratie y perdrait beaucoup ; nous ne pouvons donc pas nous y résoudre.

Je veux un audiovisuel public fort, qui soit un véritable service public accessible à 100 % des Français, sur tout le territoire ; un audiovisuel public qui garantisse le pluralisme, la fiabilité de l'information, et qui soit au cœur du financement de la création. Pour cela, il faut rassembler ses forces, en avançant sur deux jambes : la nécessaire pérennisation de son financement et l'évolution de sa gouvernance.

L'accès à la culture sur tout le territoire est le deuxième chantier prioritaire.

C'est un enjeu évident pour les 22 millions de Français qui vivent dans le monde rural. S'ils bénéficient d'une offre culturelle de proximité généralement très riche et de grande qualité, celle-ci passe souvent sous les radars, car insuffisamment accompagnée, voire enclavée. J'ai lancé le Printemps de la ruralité à leur intention, pour reconnaître leurs initiatives et faciliter leur vie culturelle. Les milliers de contributions recueillies sur la plateforme dédiée montrent combien une telle démarche était attendue. Citoyens, élus, associations ou encore acteurs culturels, tous se disent fiers de leur patrimoine de proximité, du réseau de bibliothèques, des salles de spectacle et de cinéma, mais ils se plaignent aussi des difficultés d'accès, du sentiment d'être ignorés ou, plus souvent, mal accompagnés. Nous continuerons d'analyser les contributions pour avancer dans la construction de réponses adaptées, à même de rapprocher ces Français de l'offre culturelle.

Dans d'autres territoires, des Français vivent au milieu d'une offre culturelle très dense, mais considèrent qu'elle n'est pas faite pour eux. C'est un autre éloignement, non pas géographique mais social, pour ne pas dire mental. Pour lutter contre ce sentiment du « ce n'est pas pour moi », nous disposons d'un outil formidable, conçu précisément pour agir sur la demande culturelle : le pass culture.

Tel qu'il est mis en œuvre, pourtant, ce pass culture m'inspire quelques réserves. Il ne remplit pas tout à fait son rôle en ce qu'il reproduit souvent les inégalités culturelles et sociales, du point de vue de l'accès à la culture comme de la diversification des pratiques culturelles. Malgré de bons chiffres, j'ai constaté qu'en certains endroits, le pass n'est pas aussi accessible aux jeunes que l'on vise. Je souhaite donc réformer, pour l'utiliser à plein, cet outil d'ouverture et d'accès à la culture. Il doit être au service, non de la reproduction sociale, mais de la démocratie culturelle.

Je souhaite travailler avec Nicole Belloubet sur la part collective, qui concerne essentiellement l'éducation nationale, pour l'élargir aux apprentis et aux jeunes en établissement médicosocial. S'agissant de la part individuelle, 20 % des jeunes de 18 à 20 ans ne l'utiliseraient pas. Reste à savoir si nous atteignons nos objectifs auprès des 80 % qui s'en servent. Lorsque j'entends sur France Culture trois jeunes de Clichy dire qu'ils ont vécu une expérience traumatisante en allant au théâtre à Paris et qu'ils n'y retourneront pas, je considère qu'il y a un problème. Nous devons également nous assurer de l'accessibilité du pass et d'une offre culturelle à la hauteur pour les jeunes en situation de handicap.

Je souhaite enfin ouvrir la part collective du pass culture aux fédérations d'éducation populaire. J'ai rencontré récemment les acteurs de l'éducation populaire, qui m'ont dit n'avoir pas été reçus au ministère de la culture depuis plus de trente ans, sinon quarante. Ils ne sont même pas reconnus comme partenaires de l'action culturelle ; j'en suis très étonnée. Je propose que les fédérations soient considérées comme des acteurs culturels à part entière et puissent faire référencer systématiquement leurs offres sur le pass. Elles devraient pouvoir, sur le modèle de l'éducation nationale, accompagner vers la culture des jeunes en décrochage scolaire ou en réinsertion, par le biais du pass culture. Nous travaillons à mettre en place un fonds de dotation privé qui aiderait à financer cette part collective élargie, pour favoriser des projets au service de la cohésion sociale.

L'intelligence artificielle (IA) est un autre chantier majeur parce qu'elle implique d'énormes bouleversements pour la culture et nos créateurs. Ma première exigence est le respect du droit d'auteur, que je défends à rebours des positions différentes ont pu être exprimées par le passé. Qu'il soit noyé par l'intelligence artificielle n'est pas une raison pour ne pas le rémunérer. C'est non négociable. Le droit d'auteur est un acquis vieux de deux cents ans, qui a résisté à toutes les précédentes révolutions technologiques et qui fait partie de notre exception culturelle française. Il doit être préservé et ceux qui souhaitent l'affaiblir nous trouveront sur leur chemin. La reconnaissance récente au niveau européen d'un principe de transparence est une avancée, car la transparence est la condition de la juste rémunération ; j'ai chargé une instance de travailler sur ce double enjeu.

S'agissant de l'IA, ma seconde exigence est la fiabilité de l'information. Il y a un déficit de confiance des Français dans l'information délivrée par les médias, ce qui est extrêmement dangereux – on le vit tous les jours. Il faut redonner confiance, en tenant compte de ce nouveau contexte marqué par l'intelligence artificielle. Les processus de vérification et l'éthique de travail des médias traditionnels leur confèrent un avantage comparatif irréfutable. Nous aurons une telle exigence dans le cadre de la réforme de l'audiovisuel public. Il faut valoriser ce travail éditorial, par exemple par un système de certification des modalités de production de l'information – la question se posera également pour les plateformes.

Autre sujet, l'enseignement supérieur Culture est un réseau qui regroupe quatre-vingt-dix-neuf établissements sous tutelle du ministère de la culture, dont quarante-cinq écoles d'art et de design. L'offre de formation est une jungle. Le ministère ne comporte pas de direction unique de l'enseignement et de la formation, dont le pilotage est éclaté dans différentes directions. Il est donc compliqué de conduire, comme je le souhaite, une politique identique pour tout le monde, qu'il s'agisse d'accéder à la culture ou à ses métiers. Par ailleurs, certains établissements, en particulier les écoles territoriales, se trouvent en situation de crise, malgré l'engagement confirmé de l'État et de certaines collectivités à leurs côtés. C'est un sujet complexe, car chaque école a des problématiques spécifiques.

Nous sommes en train d'élaborer une cartographie précise afin de proposer une stratégie à la fois cohérente et ambitieuse pour l'enseignement supérieur. La politique des bouts de ficelle doit cesser, car elle ne résout aucun problème de fond ; c'est de l'argent public très mal dépensé. Je souhaiterais des écoles performantes, qui offrent les mêmes chances de réussite et la même ouverture à tous. S'il faut fermer certaines écoles qui n'ont plus les moyens de fournir un cadre de qualité, nous l'envisagerons ; des instances d'évaluation sont prévues pour cela, le ministre n'en décide pas seul. Le cabinet a reçu les responsables associatifs et reçoit actuellement les syndicats, après quoi nous proposerons un plan global. Les collectivités devront prendre leur part de responsabilité – nous souhaiterions notamment développer l'alternance et l'apprentissage dans les écoles territoriales, mais nous n'avons pas la main.

Encore une fois, j'ai la conviction profonde que l'apprentissage et l'alternance doivent concerner les établissements sous tutelle du ministère de la culture. En septembre 2024, tous en proposeront. Seront aussi concernés les jeunes apprentis qu'emploient le ministère et ses opérateurs, ainsi que toute la filière des métiers d'art. Mon objectif est clairement de développer l'apprentissage pour en faire un mode de formation bien plus fréquent dans la culture et les métiers d'art. Tel n'est pas encore le cas, et j'ai d'ailleurs été très frappée que l'accès à cette matière très ouverte soit si fermé. La démocratie culturelle consiste non seulement à garantir l'accès à l'offre culturelle, mais aussi à élargir l'accès aux métiers de la culture.

Ce serait aussi très favorable à la transmission de nos savoir-faire. J'ai évoqué avec Laurence des Cars, sa présidente, les spécialités très pointues auxquelles fait appel le musée du Louvre. C'est tout un art que de fabriquer un socle de présentation ou un meuble destiné à mettre en valeur une œuvre, et l'ébéniste ou le métallier qui en détient le savoir-faire doit pouvoir le transmettre pour qu'il ne se perde pas. Or l'apprentissage et l'alternance n'existent pas : nous souhaitons les introduire chez tous les opérateurs publics.

Les directions régionales des affaires culturelles (Drac) constituent un sujet sensible. Pour moi, c'est clair, elles sont l'action culturelle de proximité du ministère de la culture et, à ce titre, les partenaires des élus locaux et des collectivités territoriales, pas des concurrents. Elles doivent être à leurs côtés, pour les soutenir, et non repliées sur le ministère.

Les élus ruraux demandent à être accompagnés en matière d'ingénierie culturelle – j'ai quelques idées sur ce point, que j'annoncerai prochainement, après qu'elles auront été testées. Je ne me résous pas à ce que des élus qui organisent tous les ans des festivals, des événements ou une scène musicale très attractifs soient contraints de faire du bricolage. Je voudrais pérenniser cet accompagnement pour apporter plus de confort à l'organisation de ces festivals : lorsque l'on est soi-même précaire, on ne peut pas aider ceux qui sont dans la précarité.

La culture est une promesse d'épanouissement et d'émancipation – ce n'est pas un hasard si j'en suis la ministre. Dans la mesure où elle recouvre des enjeux d'éducation, d'intégration et d'unité pour tous les Français, elle nous concerne tous.

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