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Intervention de Jean-Marie Guéhenno

Réunion du mercredi 20 mars 2024 à 11h00
Commission des affaires étrangères

Jean-Marie Guéhenno, professeur à l'Université Columbia, ancien secrétaire général-adjoint de l'ONU en charge du département des opérations de maintien de la paix :

Depuis novembre dernier, la situation a effectivement évolué. Ainsi, les Européens sont beaucoup plus mobilisés que nous ne l'imaginions en faveur de l'Ukraine. Se pose néanmoins la question de savoir si cette mobilisation est suffisante, à la fois sur le plan financier et sur le plan matériel.

Financièrement, les marges de manœuvre des différents pays européens, et notamment le nôtre, sont limitées, particulièrement en raison des efforts consentis au moment de la crise de la Covid. Cette question se traduit notamment par les débats actuels sur l'emprunt européen, à propos duquel l'Allemagne réitère sa réticence. Sur le plan matériel, les capacités industrielles ne peuvent pas monter en puissance du jour au lendemain. Mais c'est également le cas aux États-Unis, qui achètent un grand nombre de munitions à la Corée du Sud. De notre côté, pouvons-nous acheter sur les marchés internationaux pour parer à l'urgence, tout en développant les capacités européennes ?

Au-delà, si les difficultés des Ukrainiens sont connues, je pense que nous sous-estimons également celles de l'armée russe. Je continue d'espérer qu'il est possible de renverser le rapport de forces sur le terrain mais je n'en sais pas assez pour répondre avec certitude à votre question.

S'agissant de Gaza, un cessez-le-feu me semble très difficile, dans la mesure où le Hamas et Israël n'y voient pas vraiment d'intérêt. Le Hamas table sur une aggravation de la situation à Gaza en espérant qu'elle provoquera l'étincelle qui fera exploser la Cisjordanie. En ce sens, le Hamas prend en otage la population de Gaza. De son côté, le gouvernement israélien actuel n'a pas intérêt à ce que la guerre se termine car cela remettrait en cause l'autorité du premier ministre et ferait éclater la coalition au pouvoir. Finalement, des deux côtés, il existe un fort intérêt en faveur d'une dégradation continue de la situation, et même de son extension au front libanais. Néanmoins, je pense que ni l'Iran, ni le Hezbollah ne souhaitent cette extension. Pour l'Iran, la menace du Hezbollah est un élément de sa dissuasion vis-à-vis d'Israël. Si un conflit de haute intensité éclatait entre le Hezbollah et Israël, sa dissuasion disparaîtrait. De son côté, le Hezbollah ne voudrait pas être confronté à l'hostilité du reste des Libanais si un nouveau désastre déferlait sur le Liban.

En résumé, Israël et le Hamas ont intérêt à une détérioration de la situation, rendant très difficile l'établissement d'un cessez-le-feu. Simultanément, Israël connaît une forte pression en faveur de la libération des otages mais celle-ci ne semble pas suffisante, à l'heure actuelle, pour faire évoluer le gouvernement de Benyamin Netanyahou.

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