Intervention de Jean-Marie Guéhenno

Réunion du mercredi 20 mars 2024 à 11h00
Commission des affaires étrangères

Jean-Marie Guéhenno, professeur à l'Université Columbia, ancien secrétaire général-adjoint de l'ONU en charge du département des opérations de maintien de la paix :

Aujourd'hui, l'idée démocratique est menacée dans la mesure où les communautés territoriales sont en concurrence avec des communautés virtuelles. De même, les communautés territoriales se sentent menacées par les mouvements de populations – ce qui pose la question des migrations –, qui peuvent questionner le sentiment d'homogénéité, de mémoire partagée. Nous assistons à une certaine crise de la politique. Aujourd'hui, les jeunes se mobilisent beaucoup plus sur des projets, comme la question du genre ou de la justice, des enjeux par ailleurs légitimes et essentiels. L'affaiblissement des communautés territoriales affecte également le rôle des partis politiques, dont l'essence est d'arbitrer entre des priorités concurrentes au sein d'un territoire donné.

Pour ma part, j'estime que la meilleure manière de défendre l'idée démocratique consiste à partir du bas, c'est-à-dire de rétablir les solidarités locales, et de créer une sorte d'échelle des solidarités allant du local au global. Simultanément, j'observe naturellement qu'il est plus facile de décrire cette échelle que de la construire. Elle pose en effet un grand nombre de questions pratiques – par exemple celle du cumul des mandats – pour lesquelles il n'est pas aisé de trouver une bonne solution.

Il est également intéressant que vous ayez évoqué l'Inde. En effet, avec la fragilisation des solidarités territoriales, il est souvent fait appel à d'autres identités. À ce titre, nous voyons bien comment Narendra Modi fait appel à une identité hindoue, qui met de côté près de 200 millions de musulmans indiens, posant par là même d'immenses problèmes à la démocratie indienne, à terme. Nous concevons bien l'intérêt pour la France, pour l'Europe et pour les États-Unis d'avoir des relations avec l'Inde, compte tenu du contrepoids qu'elle représente par rapport à la Chine, de l'importance de son marché intérieur et de son développement économique, qui tend à prendre le relais de celui de la Chine. J'en reviens là à mon propos liminaire sur les Nations Unies : je pense qu'il est utile de créer des coalitions de volontés – coalitions of the willing –, c'est-à-dire des coalitions de pays ayant des intérêts partagés sur tel ou tel sujet, ces coalitions pouvant varier d'un sujet à l'autre.

En matière de multilatéralisme par exemple, de nombreux pays qui ne sont pas des superpuissances comme la Chine ou les États-Unis ne souhaitent pas un monde régi simplement par les rapports de force. Cependant, ces puissances comptent, à l'instar de l'Indonésie par exemple. Il est donc particulièrement nécessaire pour la France et pour l'Europe de bâtir avec ces pays une coalition qui défende l'idée d'organisations internationales, de règles pour régir les relations entre nations. De fait, de nombreux pays sont inquiets d'un monde où il n'y aurait plus aucune règle, où règnerait seulement la loi du plus fort. Il s'agit donc de mettre en œuvre une politique nuancée, où l'on accepte plus de transactionnel, dans un monde non idéologique, tout en étant conscient que cet aspect comporte un certain nombre de contradictions.

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