Il n'est pas question d'abandonner la couverture nucléaire française au profit de qui que ce soit mais d'étendre éventuellement cette dissuasion à nos amis européens. Je rappelle que cette question existait déjà dans les années 1960. À l'époque, le général de Gaulle soulignait le profit que les Européens pourraient tirer de l'existence de la dissuasion et ces thèmes ont été repris par MM. Giscard d'Estaing, dans les années 1970, et Mitterrand, dans les années 1980. Le sujet revient sur le devant de la scène aujourd'hui car la solidarité de défense des Européens est évidemment questionnée par l'évolution des circonstances en Ukraine.
La solidarité politique existe : tout adversaire d'un pays européen sur des questions importantes doit savoir que la solidarité française vis-à-vis de ses alliés pourrait jouer, jusqu'à l'emploi du nucléaire. À cet égard, les consultations politiques pourraient être renforcées entre les alliés européens, notamment au sujet des procédures avant décision d'emploi. Cependant, je ne vois pas comment il est aujourd'hui possible d'aller plus loin. Nous formons des peuples et des pays différents, nous développons des approches différentes du phénomène nucléaire civil, et encore plus du nucléaire militaire.
En revanche, la coopération de défense classique peut être renforcée, à travers les accords de solidarité politique, qui interdisent à tout adversaire de penser qu'il pourrait attaquer l'un d'entre nous sans que la France, puissance nucléaire, ne réagisse. C'est en réalité cette incertitude qu'il faut renforcer dans la tête de l'adversaire. Cela étant, l'engagement de la France d'utiliser son arsenal nucléaire en cas d'incartade du moindre soldat russe est aussi peu crédible que la dissuasion étendue des États-Unis, qui était critiquée par le général de Gaulle dans les années 1960.