Dans un monde de géants carnivores, je pense que la réponse consiste à disposer d'une Europe forte, au sein de laquelle la France peut jouer un rôle très utile, notamment un rôle d'aiguillon et de leadership. En effet, le système international a une tendance naturelle à l'entropie, à plus forte raison parce que l'ONU est largement paralysée par les facteurs que nous décrivions tout à l'heure. Il est donc nécessaire que, au sein de ce système, des gens prennent des initiatives et en réunissent d'autres. Par exemple, le président du Kenya William Ruto conduit nombre d'initiatives, aussi bien sur les questions de sécurité que sur les enjeux économiques en Afrique.
Nous devons disposer, d'une part, de leaders qui prennent leurs responsabilités et, d'autre part, d'une Europe forte, aiguillée par une France qui demeure attaché à l'universalisme, qui conjugue à la fois la défense de ses intérêts et des initiatives, sur le changement climatique, sur la paix ou d'autres sujets. Si l'Europe se délite, si elle est sous l'influence ou la menace russe, si elle perd pied économiquement, je pense que l'état du monde se détériorera.
Enfin, depuis des années, voire des décennies, la France plaide en faveur du renforcement de l'Europe, de sa défense et de son autonomie stratégique. Désormais le paysage se modifie et devient plus favorable à notre vision. En 2016, lorsque j'étais au CAPS, je discutais avec mes homologues des autres pays de l'UE sur la stratégie globale de l'Union. Le terme d'autonomie stratégique était déjà bien présent mais le travail de conviction à réaliser auprès de nos partenaires était immense. Pour eux, l'Europe restait une sorte de « grande Suisse ». À force d'aiguillonner et, en quelque sorte, d'avoir raison, nous avons pu exercer une influence positive qui, à son tour, améliore plutôt la situation dans cette anarchie diplomatique que vous décrivez.