Intervention de Sabrina Sebaihi

Séance en hémicycle du jeudi 28 mars 2024 à 9h00
Discussion d'une proposition de loi — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaSabrina Sebaihi :

Cheveux de négresse, de rebeu, tignasse indomptable, animale, cheveux sales, non professionnels, pas beaux, crinière de lion ou poils de mouton : tant de qualificatifs dénigrants, méprisants, racistes, et bien souvent misogynes, sont utilisés pour décrire la chevelure de celles et ceux qui n'ont pas le cheveu lisse et soyeux, de préférence blond ou brun. Tant de qualificatifs utilisés contre les cheveux des noirs et des arabes.

Oui, le cheveu est politique. L'affirmer ici me vaudra peut-être quelques sourires ou ricanements. Pourtant, les cheveux, comme la couleur de la peau, sont utilisés depuis longtemps pour distinguer les groupes sociaux et les individus – pour estimer, pour exclure, pour dominer.

Cette proposition de loi du député Serva visant à reconnaître la discrimination capillaire a fait l'objet d'un dénigrement dans certains médias, au motif que les députés auraient mieux à faire. Ce dénigrement a même dépassé les médias pour s'immiscer jusqu'en commission où nous avons entendu certains ricaner d'un sujet qui relève, pour eux, d'une invention de dangereux wokistes venue des États-Unis.

Or la discrimination capillaire est un sujet aussi américain que français, et cela ne date pas d'hier. Elle prend racine dans notre passé esclavagiste et colonial, durant lequel les cheveux servaient de critère de catégorisation et de hiérarchisation. C'est à cette époque que s'est imposé le modèle de beauté occidental : cheveux lisses, type caucasien. Depuis des siècles, des communautés se sont ainsi construites et forgées autour de l'idée que leurs cheveux les reléguaient à leur statut de minorité, et qu'elles devraient toujours tendre vers un cheveu acceptable.

C'est un héritage de notre histoire – décidément, c'est le sujet de la matinée – qu'il nous faut regarder en face, dans l'Hexagone, et j'insiste sur ce point, dans les territoires d'outre-mer.

Comment se sentir accepté, alors que depuis que l'on est enfant, et à chaque étape de son parcours, on tente de se faire accepter malgré ses cheveux ? En effet, l'ostracisation commence dès le jardin d'enfants. Ce ne sont pas forcément d'emblée les insultes. La mise à l'écart passe par des expressions aussi simples que « c'est bizarre ». Bizarre d'avoir les cheveux crépus, frisés ou roux. La détestation de soi commence là.

Ensuite, cela continue dans le milieu professionnel, où la discrimination est la plus visible. À cet âge-là, on a déjà bien compris que les cheveux peuvent poser problème. Alors on anticipe car c'est ce qu'on fait depuis des générations : on dépense des centaines d'euros dans des tresses, des perruques, en défrisage, en faisant tout ce qu'on peut pour correspondre aux critères de beauté dominants – qui sont, de toute manière, inatteignables. D'autres fois, on est simplement privé d'un poste ou d'une promotion. À d'autres moments, on peut être licencié car nos cheveux ne sont pas professionnels. C'est une réalité : deux femmes noires sur trois disent devoir changer de coupe de cheveux avant un entretien d'embauche. Une femme blonde sur trois dit avoir dû se teindre les cheveux en brun pour progresser dans son entreprise.

En outre, la discrimination capillaire est une affaire de santé publique. Les femmes utilisant des produits lissants ont ainsi trois fois plus de risques d'avoir un cancer de l'utérus. Cela arrive souvent parce qu'on ne connaît pas les produits que l'on utilise ou parce qu'on ne nous l'apprend pas. Inciter des personnes à correspondre à un modèle dominant, c'est les pousser à mettre en danger leur propre corps.

Parler de discrimination capillaire, au fond, c'est, en creux, parler des autres discriminations dont nos concitoyens peuvent être victimes. Je ne vous ferai pas l'affront de parler d'intersectionnalité – je ne voudrais pas donner de l'urticaire aux députés de certains bancs. Pour le dire autrement, la discrimination capillaire est à la croisée du racisme, du sexisme, des violences de classe et de la discrimination physique.

Il est quasiment impossible de faire valoir devant la justice des faits de discrimination sur ses cheveux, et ces affaires tombent trop souvent dans un vide juridique. Cette proposition de loi vient combler ce vide, et répondre à la demande des victimes.

Pour conclure, je souhaite donc rendre hommage à toutes celles et à tous ceux qui se battent depuis des années pour faire valoir d'autres textures, coupes et couleurs de cheveux dans notre société. Je pense ici aux entrepreneuses, aux créatrices de contenu et aux militantes qui ont à cœur de redonner leurs lettres de noblesse aux cheveux texturés. Je pense à toutes celles et à tous ceux qui transmettent le rituel social qu'est la coiffure. Si ce texte doit envoyer un message, c'est celui de l'acceptation de soi. Vos cheveux sont une fierté, vous êtes une fierté.

Le vote cette proposition de loi honorerait la France, qui serait le premier pays à légiférer sur la question. Nous soutiendrons bien évidemment ce texte, et je remercie le député Serva pour son travail essentiel. .

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