Le sujet dont nous allons parler peut faire sourire, laisser dubitatif, voire tenter certains de limiter leur approche à de simplistes et méprisants jeux de mots. Pourtant, loin d'être mineure ou secondaire, la discrimination capillaire est une réalité universelle qui peut toucher tout le monde. Je vous invite à consulter mon rapport ; vous y trouverez de nombreuses études précises et approfondies qui mettent cela en évidence.
Ces études montrent qu'une femme blonde sur trois se sent obligée de se teindre les cheveux en brun pour avoir l'air plus crédible et plus compétente lorsqu'elle souhaite accéder à un poste à responsabilités. Elles établissent également que les personnes rousses, victimes de nombreux préjugés négatifs, subissent vexations, harcèlement et violences. Elles démontrent encore que l'accès à l'emploi est plus difficile pour les hommes chauves que pour les autres.
Enfin, elles mettent en lumière l'ampleur des discriminations capillaires que subissent les personnes aux cheveux texturés, en particulier les femmes d'ascendance africaine ou d'origine maghrébine. Une femme noire sur cinq a déjà été renvoyée chez elle depuis son travail parce qu'elle laissait ses cheveux au naturel ; 53 % des petites filles noires âgées de 5 ans ont déjà subi des discriminations capillaires ; deux femmes noires sur trois se sentent obligées de lisser leurs cheveux pour améliorer leurs chances d'être embauchées ou pour être acceptées socialement.
Michelle Obama, ancienne première dame, a admis ne pas avoir osé coiffer ses cheveux au naturel lorsque son mari était président des États-Unis, par crainte d'une réaction hostile des Américains. Rappelons-nous également des réactions suscitées par la coiffure de Stéfi Celma lors d'une émission de Thierry Ardisson, ou des critiques dont faisait l'objet l'ancienne porte-parole du gouvernement Sibeth Ndiaye à cause de ses cheveux.
Il ne s'agit pas de stigmatiser les personnes qui se lissent les cheveux, d'autant que certaines le font volontairement, l'objet de ce texte étant précisément d'assurer la liberté capillaire. Nous dénonçons une contrainte capillaire imposée en raison de stéréotypes négatifs : s'aplatir les cheveux de façon imposée, c'est s'aplatir soi-même. L'éminente sociologue et universitaire Juliette Sméralda, que je salue pour son travail pionnier sur le sujet, affirme : « On aplatit un cheveu qui mérite de vivre, on l'assassine, on le dénature », alors même que « [l]'image corporelle est le fondement de l'estime de soi ».
Par ailleurs, savez-vous que l'usage fréquent des produits de lissage favorise les alopécies cicatricielles en causant des brûlures, et qu'il augmente le risque de cancers, notamment de l'utérus ? Les femmes qui utilisent des produits chimiques pour lisser leurs cheveux ont en effet deux fois et demie plus de risques de développer un cancer de l'utérus.
Par ailleurs, une étude française publiée dans The New England Journal of Medicine le 21 mars 2024 souligne que l'utilisation de ces produits accroît les risques d'insuffisance rénale aiguë. Elle établit le lien entre l'acide glyoxylique contenu dans ces produits et les insuffisances rénales aiguës dont souffrait une patiente dont les reins étaient bloqués par des cristaux.
Bref, en contraignant des personnes à se lisser les cheveux, la discrimination capillaire met en danger leur santé, non seulement mentale, mais aussi physique.
Vous voyez donc que le sujet, tout sauf risible, est très important et peut tous nous toucher. Il ne se limite pas à la question de l'origine ou du sexe, mais il est universel car, dans le monde, six personnes sur dix n'ont pas les cheveux raides.
Il est si important qu'il a conduit en 2019 le législateur californien à adopter le Crown Act, pour Creating a Respectful and Open World for Natural Hair. Depuis, plus de vingt États américains lui ont emboîté le pas, et une initiative est en cours d'examen au niveau fédéral.
Certes, en France, la discrimination reposant sur l'apparence physique est déjà interdite en théorie. Toutefois, de la théorie à la réalité, il y a un gouffre : alors que les discriminations fondées sur l'apparence physique sont lourdement ressenties et que la discrimination capillaire est subie par de très nombreuses personnes, les décisions de justice en la matière sont extrêmement rares et en total décalage avec l'ampleur du problème.
En 2022, la Défenseure des droits a reçu 6 545 réclamations relevant de la lutte contre les discriminations, parmi lesquelles le critère de l'apparence physique ne faisait l'objet que de 2 % des dossiers. La réalité est malheureusement plus cruelle : les discriminations liées à l'apparence physique sont bien plus importantes que ce que les données peuvent laisser penser. En 2019, dans une décision-cadre, le Défenseur des droits mentionnait que 74 % des cadres estimaient être discriminés du fait de leur apparence physique et qu'un demandeur d'emploi sur quatre considérait subir des discriminations reposant sur l'apparence physique.
Or le critère de la discrimination capillaire est indéniablement un critère physique à part entière. Lorsque quelqu'un reçoit des CV ou réalise une réunion en visioconférence, il ne voit pas si son interlocuteur est en situation de handicap ou s'il est en surpoids. En revanche, ses cheveux sont immédiatement visibles.
Dans ces conditions, il nous appartient, en tant que législateurs, face à une loi mal comprise ou mal appréhendée, de la clarifier. C'est ce que vise cette proposition de loi qui précise le critère de l'apparence physique pour y inclure la discrimination capillaire.
Le législateur l'a déjà fait en matière fiscale et pénale. Nous avons ainsi précisé que le délit consistant à priver de soins un enfant inclut « notamment » la mendicité sur la voie publique. Reconnaître cette forme de privation de soins n'exclut évidemment aucun autre manquement, comme le défaut de fourniture de médicaments ou d'examen médical, pas plus que cela ne crée de hiérarchie entre ces différentes formes – l'adverbe « notamment » ne conduit pas à diminuer l'importance d'un critère par rapport à un autre.
Il en va de même ici. La précision apportée permettra aux personnes victimes de discrimination capillaire de s'emparer de cette disposition pour faire valoir leurs droits ; les juges pourront également se saisir plus fréquemment de ce critère. Les auditions l'ont mis en évidence : comme nous l'a dit avec beaucoup d'émotion M. Aboubakar Traoré, ancien steward d'Air France victime de discrimination capillaire, présent dans les tribunes de l'hémicycle avec d'autres personnes intéressées par le sujet que je salue, nombreux sont ceux qui attendent avec impatience cette consécration législative.
Ce sujet, jusque-là largement ignoré, va enfin être rendu visible, comme l'a relevé M. Olivier Klein, qui dirige la délégation interministérielle à la lutte contre le racisme, l'antisémitisme et la haine anti-LGBT (Dilcrah).
La discussion dans l'hémicycle de cette proposition de loi présentée de façon consensuelle par la majorité et le groupe LIOT et très largement adoptée la semaine dernière en commission des lois constitue un signal fort adressé à toutes les personnes qui subissent la discrimination capillaire au quotidien et sont obligées de changer ou de travestir leur identité. C'est un signal fort pour toutes les personnes qui vont travailler ou se rendent à des entretiens la boule au ventre, sans pouvoir se reconnaître elles-mêmes. Parfois, alors qu'elles sont déjà employées en entreprise, lorsqu'elles veulent revenir à une coupe de cheveux au naturel, elles sont la cible de remarques désobligeantes et discriminantes de leur employeur, telles que « Tiens, tu as mis le doigt dans la prise ! » ou « Aujourd'hui, c'est le paillasson ! » Cette proposition de loi sera aussi utile à ces personnes employées qui sont en souffrance : elles pourront rappeler à leur employeur qu'il fait ainsi preuve de discrimination.
Ces tristes cas ne se produisent pas seulement aux États-Unis, mais concernent également nombre de nos concitoyens intérieurement et extérieurement rongés par le fait de ne pouvoir se présenter au monde tels qu'ils sont nés.
J'espère que, comme la commission des lois, notre assemblée se saisira de l'occasion qui lui est offerte, en faisant de la France, pays des droits de l'homme, le premier pays au monde à reconnaître et sanctionner la discrimination capillaire. Loin d'être anodine, elle touche des millions de nos concitoyens dont nous serions mieux inspirés de célébrer la diversité et de promouvoir les compétences.
Je clôturerais mes propos par des remerciements appuyés à Guylaine Conquet, journaliste, artiste et conférencière guadeloupéenne vivant aux États-Unis et présente dans les tribunes, ainsi qu'à Aboubakar Traoré qui, à travers leur histoire, m'ont suggéré d'aborder ce thème crucial. Je remercie également Wendy Greene, éminent professeur de droit de Drexel University, qui a rédigé la première mouture du Crown Act et nous a accompagnés longuement dans l'élaboration de ce texte, aux côtés de Natasha Gaspard, fondatrice de Mane Moves Media. Mes remerciements vont également à Kelly Massol, fondatrice des Secrets de Loly, les professionnels de la coiffure Christophe Doré, Aline et Marina Tacite, ici présentes, Alexis Rosso, Ghana Elin, la fondatrice de Chebhair Célia Just Valérius, le docteur Christian Bisanga, les universitaires Juliette Sméralda et Jean-François Amadieu, les créatrices de contenu Kenza Bel Kenadil et Daniela Celini, alias Poupée Kinky, les membres du collectif « Libérons nos cheveux », les personnes qui ont bien voulu prendre part aux auditions, l'administrateur Julien Barel, le collaborateur de groupe Karim Dahmani, ma collaboratrice parlementaire Lovely Bergena et toute mon équipe qui a contribué à l'élaboration de cette proposition depuis un an.
Enfin, je vous remercie pour le beau travail de coconstruction que vous avez rendu possible.