Intervention de Lise Magnier

Séance en hémicycle du jeudi 28 mars 2024 à 9h00
Discussion des articles — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaLise Magnier :

Le 17 octobre 1961, entre 20 000 et 40 000 hommes, femmes et enfants, Algériens de France, se mobilisent pacifiquement pour soutenir l'indépendance de leur pays natal. Leur mobilisation constitue aussi une réponse au couvre-feu discriminatoire décidé quelques jours plus tôt. Face à eux, 10 000 policiers sont mobilisés pour contrôler notamment les sorties de métro et les points de rassemblement.

Les témoignages recueillis auprès des Algériens de France, des journalistes et des policiers sur les événements de ce soir-là sont terrifiants et les photographies attestent d'agissements intolérables. Les forces de l'ordre procèdent à des rafles gigantesques – 11 500 personnes sont arrêtées en quelques heures, d'après la préfecture de police. Un massacre devant le cinéma Rex laisse des cadavres empilés dans le quartier Bonne Nouvelle.

Un policier confirme plusieurs années plus tard le déchaînement de violences : « Notre patron, l'officier qui commandait, était prêt à couvrir tout ce qui devait être couvert… Il n'y avait pas de raison de se retenir […]. On montait dans les étages pour mieux voir et on tirait sur tout ce qui bougeait… C'était l'horreur […]. Pendant deux heures, ça a été une chasse à l'homme véritablement terrible, terrible, terrible ! » Dans un langage ponctué d'insultes racistes envers les manifestants, ce policier détaille la violence déchaînée ce jour-là et admet « la haine qui conduit à tuer ».

Insultes, humiliations, coups, tirs, rafales de mitraillettes : les faits rapportés sont glaçants. Des centaines de personnes sont fouillées, insultées, matraquées, raflées, photographiées et fichées comme terroristes, parquées pendant une semaine, et des dizaines de victimes sont entassées ou jetées dans la Seine. Depuis six décennies, des témoins, des militants et des historiens ont cherché à faire la lumière sur ce drame, qui n'est pas un événement comme les autres : il ne s'agit pas de l'histoire des seuls Algériens de France, mais bien de l'histoire de France.

La question du bilan de cette tragique nuit de haine n'est toujours pas tranchée. Dans les jours suivant l'événement, les autorités admettent officiellement sept morts et quarante blessés, mais ce bilan s'alourdit au fil des enquêtes et des rapports remis au Gouvernement : le décompte est porté à trente-deux victimes en 1998, puis à quarante-huit, pour atteindre vraisemblablement plus d'une centaine.

Au-delà des chiffres, c'est la reconnaissance des crimes et de la haine qui compte. C'est tout le sens des mots du Président de la République qui a dénoncé des « crimes […] inexcusables pour la République », « commis sous l'autorité de Maurice Papon », alors préfet de police. Oui, notre nation doit contempler toute son histoire avec lucidité. Elle le doit à la mémoire des victimes. Elle le doit aussi à sa jeunesse, afin que son avenir ne soit pas enfermé dans des conflits de mémoire.

Au nom du groupe Horizons et apparentés, je salue les victimes et leurs familles et me réjouis du travail transpartisan qui a permis d'aboutir à cette proposition de résolution, proche du consensus historique. Cependant, le travail historique doit continuer car la connaissance doit toujours précéder la reconnaissance. D'ailleurs, le texte appelle le Gouvernement à travailler avec les autorités algériennes pour appréhender l'histoire commune des deux États, ce qu'il a fait en créant une commission mixte d'historiens, français et algériens, qui s'est réunie à plusieurs reprises, mais qui n'a pas encore rendu ses conclusions définitives.

Pour aboutir à une mémoire effectivement partagée, nous avons besoin de faits historiquement établis et validés. Sans nier la violence extrême de cette tragique soirée et le besoin de reconnaissance des familles des victimes, nous sommes convaincus qu'il revient d'abord aux historiens de déterminer les faits et les responsabilités pour qu'ensuite nous puissions les qualifier. En conséquence, les députés du groupe Horizons et apparentés seront libres de leur vote sur cette proposition de résolution.

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