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Intervention de Constance Le Grip

Séance en hémicycle du mardi 26 mars 2024 à 15h00
Discussion d'une proposition de loi — Présentation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaConstance Le Grip :

Nous voici réunis pour examiner la proposition de loi visant à prévenir les ingérences étrangères en France, présentée par son premier auteur et rapporteur : le président de la commission des lois, Sacha Houlié. Issue des travaux de la délégation parlementaire au renseignement, elle reprend les préconisations de nature législative formulées par la délégation dans son rapport annuel 2022-2023, présenté en novembre dernier.

La commission des affaires européennes de l'Assemblée nationale a souhaité se saisir de cette proposition de loi, à laquelle elle a consacré un rapport d'information portant observations – c'est à ce titre que je m'exprime devant vous. Il lui a en effet semblé opportun de placer le sujet des ingérences étrangères dans une perspective européenne, puisque ces ingérences émanent d'États – ou d'entités de ces derniers – extérieurs à l'Union européenne. Dans un monde marqué par le durcissement des relations entre puissances, le retour à une ère de confrontation et l'avènement d'un cyberespace propice à la multiplication des attaques, une guerre hybride – que nous n'avons sans doute pas vu venir – est menée contre les démocraties européennes : cyberattaques, espionnage de toutes sortes – espionnage classique ou espionnage moderne à l'aide de satellites –, pillage et vol de savoir-faire et de secrets industriels, capture de certaines élites à travers, par exemple, le recrutement d'anciens responsables des mondes politique et économique, utilisation du droit comme arme – ce que l'on appelle le lawfare –, manipulation de l'information et désinformation se multiplient, s'accélèrent, s'intensifient. Le danger que toutes ces ingérences malveillantes, sournoises, hostiles, toxiques, déstabilisatrices représentent pour les démocraties européennes est devenu une préoccupation majeure pour l'ensemble des pays de l'Union européenne.

À ce stade de mon propos, comment ne pas évoquer la zone grise entre influence et ingérence, caractérisée, par exemple, par la recherche, par l'élite de certains pays, de la proximité, de la complaisance, de la connivence, voire de l'allégeance, avec un autre pays ? Les sociétés démocratiques européennes, qui incarnent des principes et des valeurs, celles de l'État de droit – toutes choses vilipendées et rejetées par des régimes autoritaires ou dictatoriaux –, sont donc particulièrement ciblées. Liberté d'opinion et d'expression, élections libres, pluralisme politique, liberté de la presse et liberté académique, toutes ces choses précieuses à nos yeux sont autant d'éléments de vulnérabilité face aux manœuvres de déstabilisation et aux agressions de toute sorte. Face aux stratégies agressives et aux ingérences de plus en plus assumées d'un certain nombre de puissances, à commencer par la Fédération de Russie et la République populaire de Chine – c'est un fait reconnu et documenté –, les défis communs aux démocraties européennes appellent donc une réponse concertée. Certes, ces deux puissances ne sont pas les seules à mener des opérations d'ingérence, mais leur degré d'activité et le recours à des méthodes hybrides en font les plus dangereuses à l'heure actuelle.

Par ailleurs, nos débats sur la présente proposition de loi s'inscrivent dans un contexte européen. Les institutions européennes, qui ont pleinement pris conscience de leur réalité et de leur dangerosité, se mobilisent contre ces ingérences. Il y a quelques années, une commission spéciale a ainsi été créée au sein du Parlement européen : présidée par Raphaël Glucksmann, et comptant Nathalie Loiseau parmi ses membres, elle a, à l'issue de trois ans de travaux très largement transpartisans, remis un rapport contenant de nombreuses recommandations et préconisations en matière de lutte contre les ingérences étrangères. Je ne les détaillerai pas ici mais la résolution qui en est issue a été adoptée par une majorité responsable, sérieuse et raisonnable.

De son côté, la Commission européenne, après avoir beaucoup œuvré à la création d'un registre de transparence visant à répertorier les déclarations d'intérêts des mandants étrangers, a, comme elle s'y était engagée, présenté en décembre une proposition de directive relative à l'établissement de règles de transparence pour l'activité des représentants d'intérêts travaillant pour des pays tiers.

On peut donc dresser un parallèle entre la proposition de directive européenne et la proposition de loi de Sacha Houlié que nous examinons aujourd'hui, toutes deux illustrant la volonté d'améliorer la transparence en rendant obligatoire la déclaration des activités effectuées pour le compte d'intérêts étrangers. Le temps qui m'est alloué ne me permet pas de me livrer à une analyse juridique fouillée, mais la commission des affaires européennes a considéré qu'en l'état, la proposition de directive européenne n'était pas sans failles : il nous faudra certainement, dans les mois et années à venir, les combler, pour améliorer le texte.

En conclusion, les très nombreuses ingérences appellent une riposte française et européenne concertée : c'est cette réponse commune que nous devons élaborer.

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