Monsieur le président, mesdames, messieurs les députés, je voudrais d'abord associer à cette déclaration d'ouverture deux éminentes personnalités de notre association : le docteur Patricia Hieu, engagée corps et âme dans la gestion de crise lors de la tragédie sismique du 12 janvier 2010 à Port-au-Prince, en Haïti, où elle vivait depuis vingt ans ; et M. Frank Hubert, ancien vice-président du Conseil de l'ordre des architectes de Martinique et membre de notre conseil scientifique. Il a sillonné la planète de longues années en faveur du génie pacifique et de la mitigation en général.
À l'occasion de son déplacement à Saint-Martin, les 28 et 29 septembre 2018, suite au désastre causé par l'ouragan Irma, le Président de la République annonça une grande loi de prévention des risques naturels majeurs en outre-mer. Une délégation interministérielle à la prévention des risques naturels majeurs en outre-mer a été installée par décret, un délégué interministériel nommé et des consultations territoriales conduites. Deux années plus tard, le processus a été stoppé pour « d'obscures raisons budgétaires et de calendriers parlementaires contraints ».
La Mission d'appui aux politiques publiques de prévention des risques majeurs en outre-mer (Mappprom) a été créée, mais n'a pas jugé bon d'assister au séminaire Résilience des outre-mer organisé par l'association française pour la prévention des catastrophes naturelles et technologiques (AFPCNT) à Fort-de-France du 24 au 26 octobre 2022.
Ces quinze dernières années, nous avons répondu à toutes les sollicitations des missions d'information parlementaires, des audits, des consultations territoriales menées par la direction générale de la prévention des risques majeurs (DGPR), de l'Inspection générale de l'environnement, de la Cour des comptes, etc. Nous avons rencontré presque tous les préfets, soit à notre demande, soit à leur initiative.
Le 15 mars 2023, le Conseil économique, social, environnemental et culturel de Martinique (CESECM), a saisi, dans une longue lettre, le Président de la République sur le traitement des risques majeurs en Martinique. Si un ouragan majeur comme Irma venait à frapper la Martinique ou la Guadeloupe, il en résulterait une tragédie pour nos populations. Le 29 août 2001 déjà, un rapport de l'Inspection générale de l'environnement parlait de la menace sismique sur le territoire dans la Martinique comme d'une « situation apocalyptique » (page 9).
Nous ne voulons pas croire que cette audition n'en serait qu'« une de plus ». L'Assemblée nationale vient de reconnaître sa responsabilité sur le scandale du chlordécone. Elle est également engagée devant l'histoire et devant les Nations unies s'agissant de la politique de prévention des risques naturels majeurs en outre-mer, qu'il faut sortir des tiroirs des ministères et des services de l'État. L'Emiza estimait il y a quelques années à 40 000 le nombre de décès à Fort-de-France en cas de séisme majeur, soit 10 % de la population. Tous les moyens légaux doivent être mobilisés sans délai. Il faut augmenter les budgets, simplifier les procédures et sanctionner les acteurs qui prennent des libertés avec les vies humaines, les infrastructures et l'environnement. L'impréparation de la population est manifeste. La vraie mitigation ne prend pas corps. Il convient également d'accélérer l'application du plan séisme Antilles numéro 3 (2021-2027).
Pour la première fois, une commission d'enquête parlementaire se penche sur la gestion des risques majeurs en outre-mer. Nous espérons la promulgation d'une grande loi ad hoc de prévention des risques majeurs naturels et technologiques en outre-mer et un « plan Marshall » d'investissements pour réduire la vulnérabilité de nos territoires et de nos populations.
Le temps qui nous est aujourd'hui imparti paraît un peu contraint, quand nous voudrions vous entretenir au fond des sujets suivants.
Il faudrait d'abord revenir sur l'histoire des catastrophes naturelles en Martinique, et notamment sur la plus grande catastrophe naturelle de toute l'histoire de France : l'éruption de la montagne Pelée en 1902, qui fit 30 000 victimes, afin d'en tirer tous les enseignements pour le plan Orsec en cours de finalisation.
Il faudrait également évoquer l'insécurité sismique des écoles ; le besoin d'un plan ouragan majeur Antilles (OMA) sur le modèle des plans séisme depuis 2007 ; la vulnérabilité bien connue de l'unique piste d'aéroport susceptible d'accueillir l'aide internationale et nationale ; le besoin d'une assurance universelle habitation partagée ; la révision des PPRN en 2026 ; la prise en compte des aléas mouvements de terrain ; le rapport Gemitis, caché par les autorités et révélé par le magazine Science et Avenir en septembre 1999 ; le besoin urgent d'une information préventive massive à la télévision publique et privée ; la nécessité d'élargir la cartographie des risques (avec des plans de prévention associés) aux orages, aux chutes de grêle (connues en avril 2018 en Martinique), à la canicule et au nouveau risque NaTech, d'un phénomène naturel déclenchant un risque technologique ; la nécessité de curer les 902 kilomètres de réseau fluvial de Martinique pour réduire le risque d'inondation ; de rendre les exercices séismes et tsunamis obligatoires deux fois par an dans les établissements recevant du public (ERP) ; la raréfaction de l'eau potable en cas de séisme majeur notamment ; la nécessité de réhabiliter 80 % du parc immobilier ancien de Martinique en réabondant les fonds Barnier ; le système d'alerte et d'information des populations (SAIP) ; le système de détection précoce des tsunamis, basé depuis quelques années à Hawaï pour l'Atlantique ; la vulnérabilité du système de santé, notamment en situation insulaire ; la nécessité de développer la médecine de catastrophe et de traiter le « crush syndrome » ; de rendre le secourisme obligatoire en l'adossant à la délivrance du permis de conduire un engin terrestre à moteur ; de rendre réellement résilients les bâtiments stratégiques et d'isoler techniquement les nouveaux bâtiments ; de renforcer les moyens des conseils d'architecture, d'urbanisme et d'environnement (CAUE) ; de rendre possible une autonomie alimentaire post-crise ; de positionner des canadairs sur zone en anticipation des incendies de forêt liés au réchauffement climatique ; d'envisager la gestion d'un nombre de décès massif ; de réaliser enfin un bilan exhaustif de l'application de l'article L. 125-2 du Code de l'environnement, voté depuis le 22 juillet 1987, sur la préparation des populations par les maires ; d'harmoniser avec les scientifiques les consignes de protection face aux séismes ; d'envisager l'avenir du fonds de solidarité des outre-mer ; de prévoir des procédures de reconnaissance de catastrophe naturelle en cas de séisme majeur (« big one ») ; de traiter la question des experts d'assurance et d'assurés ; de sortir des atermoiements sur le « package tsunami », incluant l'identification des zones à risque sur le littoral, des itinéraires d'évacuation et des zones refuges, et des limites du système d'alerte régional Caribe/ews; de prévoir une aide financière aux associations engagées, comme la nôtre, dans la prévention ; un logement transitoire pour les sinistrés des catastrophes naturelles ; de soutenir financièrement les réserves communales de sécurité civile en Martinique ; de réinstaller un service d'urgence à l'hôpital Mangot Vulcin ; de rendre obligatoire un plan de sauvegarde entreprise face aux risques majeurs ; d'instaurer un plan Orsec sécheresse canicule ; enfin, de légiférer sur un droit opposable au logement face aux catastrophes naturelles.
Il s'agit en somme d'éviter que notre « île aux fleurs » devienne une « île aux pleurs ». Là où il y a une volonté, il y a un chemin. Prévoir l'imprévisible : tel est notre leitmotiv.