Avec son projet de règlement sur les délais de paiement, la Commission européenne semble avoir fait sienne la maxime populaire selon laquelle l'enfer est pavé de bonnes intentions.
La proposition législative présentée en septembre dernier par le commissaire Thierry Breton se dit favorable aux petites et moyennes entreprises. Selon les mots du commissaire, le projet de règlement vise à « simplifier la vie des entreprises ». Il est permis d'en douter fortement.
Le délai de paiement s'entend comme le délai dans lequel il est possible de régler une marchandise ou une prestation de services. En la matière, la France n'a pas attendu l'Union européenne pour se doter d'un cadre légal structuré et adapté aux différentes situations existantes. Depuis la loi de modernisation de l'économie, le législateur français a uniformisé le cadre légal en gravant dans le marbre un délai légal de base de 60 jours. La possibilité d'un délai dit fin de mois permet, de plus, aux entreprises d'éviter la désorganisation du règlement des fournisseurs chaque jour en consacrant certains jours dans le mois au paiement. Par ailleurs, de multiples dérogations existent dans des filières très spécifiques comme la joaillerie, les articles de sport ou encore le commerce du jouet. Ces filières connaissent des cycles économiques marqués par la saisonnalité. Les dérogations octroyées leur ont permis de poursuivre leur activité. Plus encore, elles ont permis aux commerçants de résister aux secousses de la conjoncture économique et à la concurrence internationale.
Cette architecture française en matière de contrôle de délais de paiement a été efficace sur les retards de paiement. Notre pays se classe 4ème au niveau européen, donc parmi les pays les mieux-disants, avec moins de douze jours de retard. La loi de modernisation de l'économie n'y est pas pour rien. Elle a permis à l'ensemble des acteurs de modifier leurs pratiques et a contraint les mauvais payeurs à s'amender. En effet, la France dispose d'un puissant dispositif de contrôle des délais de paiements.
La Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), dépendante du ministère de l'économie, effectue un travail de vigilance qui s'est accru ces quinze dernières années. Enquêtes, sanctions, amendes administratives et désormais publications dans des publications dédiées, les entreprises responsables de retards de paiement ne peuvent plus agir impunément. Et c'est heureux puisque 75 % des PME règlent leurs factures à temps. Il est normal qu'il en soit de même pour les autres. Les grandes entreprises mises à l'index sont contraintes à un changement de mentalité. D'ailleurs la Banque de France procède désormais à une notation tenant compte des délais de paiement.
La proposition de règlement européen ne vient certes pas de nulle part. Les avancées du marché unique ont poussé les instances européennes à s'interroger sur les différences entre économies européennes en matière de règlement de fournisseurs, notamment dans le cadre du commerce transfrontalier. Longtemps, l'Union européenne a prôné une approche soucieuse des spécificités nationales et des équilibres locaux, c'était la démarche à l'origine des deux précédentes directives sur le sujet en 2000 et 2011.
Le texte sur lequel porte la proposition de résolution européenne que je vous présente a totalement changé de paradigme. De la préconisation nous sommes passés à l'injonction. Le délai de paiement est désormais fixé à 30 jours sans aucune exception possible. Alerté par un commerçant de ma circonscription sur les effets potentiellement cataclysmiques d'un tel texte, j'ai souhaité m'emparer de ce sujet pour éviter que ce projet de règlement technocratique et draconien n'aboutisse. Il témoigne d'une vision totalement détachée des réalités économiques. La preuve en est que l'étude d'impact qui vient en appui du texte ne contient aucun chiffre précis sur les répercussions que le règlement aurait une fois mis en pratique. La Commission européenne évoque des retards de paiement pour justifier son projet de texte mais elle n'a en réalité clairement pas saisi les enjeux. Elle agglomère délai de paiement, retard de paiement et long retard de paiement. Le délai de paiement a une justification économique. Il permet de s'assurer de la réalité de la livraison des produits ou de l'exécution d'un service. Vouloir gommer cette réalité en abaissant le délai de paiement n'a aucun sens. Les entreprises ne seront pas payées plus en temps et en heure par leurs fournisseurs parce que le délai aura été réduit. Tant qu'aux retards importants ils ne représentent que 8 % de tous les retards. Ils sont un vrai problème mais la proposition de la Commission pêche en pensant résoudre tous les problèmes avec un seul outil. Le remède ici proposé est pire que le mal.
Les multiples auditions que j'ai menées dans le cadre de cette proposition de résolution ont fait ressortir un constat unanime : pas un seul acteur économique n'est demandeur d'un changement de législation et le projet de règlement est une aberration économique. Que nous parlions des petites, des moyennes ou des grandes entreprises, toutes ont dit durant les auditions qu'elles n'avaient rien à gagner avec ce nouveau délai. J'ai rencontré des représentants du commerce, et de l'industrie, des représentants des PME comme des très grandes entreprises et le message était identique sans un son de cloche dissonant. L'ensemble des acteurs est très inquiet des retombées économiques qu'un tel texte pourrait entraîner.
Pour le commerce, cela représenterait un surcoût de trésorerie de 30 milliards d'euros à l'échelle nationale. Au niveau européen, la facture monterait à 135 milliards d'euros. En effet, toute réduction des délais nécessitera de payer les fournisseurs plus rapidement et donc de disposer des liquidités suffisantes. Avec une croissance française d'à peine 1 %, une inflation encore considérable et une vague de faillites très inquiétante, nous courons le risque d'alourdir la dette des entreprises et de leur rendre l'accès au crédit plus difficile encore. Les banques ne sont déjà pas enclines à prêter au regard de la conjoncture. Elles le seront d'autant moins à des entreprises qu'elles jugent fragilisées.
Une autre lacune majeure de ce texte est d'ignorer le phénomène de distorsion de concurrence internationale. Vouloir légiférer au niveau européen peut être utile. Mais cela ne lie aucunement nos partenaires internationaux qui continueront d'appliquer leur propre réglementation. Avec ce nouveau délai de paiement, nous nous lierons les mains pour rien. C'est une vertu dont les seules conséquences seront de favoriser d'autres pays et de délocaliser des pans entiers de l'économie. Nous nous retrouverons à importer toujours plus, et donc à creuser notre déficit commercial déjà élevé.
Enfin, n'oublions pas cette spécificité française qu'est le secteur du livre. Il bénéficie d'une exonération totale en matière de délai de paiement. Cette dérogation a permis à ce secteur de demeurer vivant. Face aux grandes enseignes et aux ventes en ligne, les librairies indépendantes auraient disparu depuis bien longtemps. Notre pays dispose d'ores et déjà des outils nécessaires pour réduire les retards de paiement et contrôler le respect des délais. Ce n'est d'ailleurs pas pour rien que la Commission européenne a prétendu s'inspirer de certaines de nos bonnes pratiques. Il en va ainsi de l'observatoire des délais de paiements dont elle souhaite créer une version européenne.
Voilà pourquoi, chers collègues, je vous invite à voter en faveur de la proposition de résolution européenne. Elle envoie un signe clair aux autorités européennes sur l'inopportunité de ce texte. Elle permet aussi de mobiliser le gouvernement sur un sujet qui concerne l'ensemble de notre économie. Je vous remercie.