Un an après votre tentative de passage en force par voie d'amendement dans un texte qui avait déjà entamé sa navette, et alors même que l'Assemblée s'y est démocratiquement opposée, vous continuez de vous acharner pour tenter de bouleverser tout notre système de sûreté nucléaire sans apporter une once de preuve crédible de la pertinence d'un tel projet.
Vous répétez qu'une entité unique sera plus efficace pour accélérer le processus mais sans nous expliquer comment et en balayant de manière désinvolte toutes les recherches en management des organisations qui montrent qu'une telle réforme serait un échec technique et humain. Est-ce que ce texte accélérera la relance du nucléaire ? Rien n'est moins sûr. Est-ce qu'il dégradera la robustesse de nos modèles de sûreté et de sécurité ? On peut avoir quelques certitudes.
Vous vous appuyez sur le rapport de l'Opecst, qui certes pose de bonnes questions mais ne donne pas le début d'une démonstration que le système dual actuel dysfonctionne, ni de preuve qu'une réforme aboutirait à une organisation plus efficace. Ce choix de tout bousculer, décidé en petit comité à l'Élysée sur la base d'un rapport tenu secret, est irresponsable. Nous parlons ici de sûreté nucléaire. Nous ne pouvons pas faire des paris précipités sur un tel sujet, qui engage la sécurité de la population. Si le Parlement fonctionnait de manière déterministe et pas probabiliste, vous devriez supporter la charge de la preuve et non délivrer des incantations à une prétendue amélioration continue.
Notre modèle fonctionne et est reconnu partout à l'international et, de l'avis majoritaire des acteurs de la sûreté, votre réforme est inutile et dangereuse. Vouloir remettre en cause notre système alors même que vous vous apprêtez à relancer la filière du nucléaire, alors même que l'ASN et l'IRSN travaillent à la pénible ouverture de Flamanville et au moment où les effectifs sont mobilisés pour la prolongation du parc existant, c'est tout simplement une folie.
Cette réforme n'accélérera rien et n'améliorera rien. Au contraire, elle dégradera fortement l'autonomie, l'impartialité, la qualité d'expertise et la recherche transverse, mais aussi la fluidité du dialogue et des processus de décision et surtout la transparence et l'interaction avec la société civile, pourtant indispensables dans une période de relance de l'industrie du nucléaire. Au moment du plan Messmer, il existait déjà une dualité entre l'expertise de l'IPSN (Institut de protection et de sûreté des installations nucléaires) et le décideur, le SCSIN (Service central de sûreté des installations nucléaires). Un tel recul en matière d'expertise et de transparence du système de gouvernance des risques nucléaires et radiologiques serait tout simplement une catastrophe. Les démissions en cascade des salariés de l'expertise nucléaire depuis l'annonce de cette réforme devraient vous amener à réfléchir.
Nous sommes le seul pays où l'on va séparer la sécurité et la sûreté. Au lieu de simplifier, on complexifie. Comme le dit si bien Jean-Claude Delalonde, président de l'Anccli (Association nationale des comités et commissions locales d'information), ce qui doit nous animer collectivement, pro comme antinucléaires, c'est bien le maintien d'un haut niveau de sûreté et du lien de confiance avec les citoyens. Je vous enjoins donc à faire collectivement bloc contre cette réforme et à limiter ses effets absolument dévastateurs.