Nous sommes réunis afin d'examiner, pour avis et, en partie, au fond, un projet de loi qui a déjà fait parler de lui. Quelles que soient nos convictions écologiques et énergétiques, nous partageons l'idée de l'urgence écologique, donc énergétique. Le mur énergétique devant lequel nous nous trouvons nous oblige d'ici à 2050 et, plus encore, à 2030, à produire beaucoup plus d'énergie en émettant beaucoup moins de gaz à effet de serre. Pour cela, la France possède un atout majeur : son parc nucléaire. Pour un kilowattheure produit, une centrale nucléaire émet 57 fois moins de gaz à effet de serre qu'une centrale à gaz et 157 fois moins qu'une centrale à charbon – c'est même deux à trois fois moins que pour produire certaines énergies renouvelables.
Nous avons donc besoin du nucléaire pour la transition énergétique. En conséquence, il nous faut préserver notre parc en préparant, facilitant et accélérant son développement, tout en maintenant les exigences de sûreté les plus élevées, une des grandes forces de la filière française. Ces exigences ont toujours été, et seront toujours, une priorité collective et consensuelle. Le dispositif de sûreté français a permis de prévenir les risques spécifiques et potentiellement immenses d'un incident ou d'un accident nucléaire. Toujours doté des moyens adaptés, il a toujours fait l'objet d'une grande rigueur – dans la doctrine de sûreté et de sécurité appliquée, comme dans son organisation. En soixante-neuf ans d'existence, soit en milliers d'années cumulées d'exploitation de notre parc, ce que nous appelons les « années réacteurs », aucun accident grave n'a eu lieu en France. Les deux incidents de niveau 4 selon l'échelle internationale des événements nucléaires n'ont pas eu de conséquences radiologiques sur les populations environnantes ; ils ont de plus concerné des réacteurs qui ne sont plus en activité et dont le modèle n'existe plus.
C'est précisément cette exigence d'excellence et d'adaptation qui a conduit aux évolutions permanentes et progressives que nous avons connues : de l'adaptation aux évolutions technologiques aux leçons tirées des incidents et accidents internationaux comme Fukushima.
Ces évolutions ont aussi été organisationnelles, par la fusion en 2001 dans l'IRSN de l'IPSN, l'Institut de protection et de sûreté nucléaire, créé en 1976 et de l'Office de protection contre les rayonnements ionisants (OPRI), établissement public créé en 1994 à partir d'un service de l'État, au nom d'une plus grande indépendance. Ce n'est qu'ensuite, par la loi du 13 juin 2006 relative à la transparence et à la sécurité en matière nucléaire, alors que la totalité du parc nucléaire issu du plan Messmer était construite et en fonctionnement que fut créée, également à partir d'un service sous tutelle de l'État, notre Autorité de sûreté nucléaire, érigée en autorité administrative indépendante.
Notre dispositif de sûreté fait face à une nouvelle étape : dans les prochains mois et années, la maintenance courante et la prolongation de la durée de vie des réacteurs constitueront le quotidien des services en charge, de l'exploitant à l'autorité de sûreté, et exigeront un volume de travail et une quantité d'heures considérables.
Dans le même temps, la relance nucléaire inédite, annoncée par le Président de la République dans son discours de Belfort, qui devait se traduire par une loi de programmation énergétique, implique, elle aussi, par les expertises, les instructions et les décisions techniques à prendre, une importante charge supplémentaire et une efficacité maximale de ces étapes.
Enfin, la multiplication d'innovations majeures dans le secteur, apportées par de petites entreprises qui conçoivent de petits réacteurs de troisième ou quatrième génération, avec un cycle partiellement ou totalement fermé et une variété de combustibles, appelle les responsables de l'expertise, de la recherche et de la sûreté nucléaires à une grande adaptabilité, pour ne pas freiner la France dans la course mondiale à l'innovation technologique et écologique.
Pour toutes ces raisons et dans la continuité de son histoire, la sûreté nucléaire est donc amenée à poursuivre son évolution organisationnelle. C'est tout le sens de la réforme que propose le Gouvernement dans ce projet de loi : constituer rapidement un nouveau cadre, pour un dispositif plus fort et plus indépendant. Il s'agit bien d'un cadre car le texte ne vise pas à définir précisément l'ensemble de l'organisation des activités, des pratiques, et encore moins, du référentiel de sûreté nucléaire. : il reviendra aux spécialistes, aux techniciens, aux partenaires sociaux, aux dirigeants de l'ASN et de l'IRSN qui fusionneront dans un nouvel institut de déterminer celui-ci.
L'humilité commande de faire la différence entre ce qui relève de la loi et de l'organisation de structures spécialistes d'un domaine très sensible. Ce nouveau cadre est celui d'une autorité indépendante, qui regrouperait la quasi-totalité des activités de l'ASN et de l'IRSN et qui devrait permettre une réduction des procédures administratives au profit de la qualité de l'analyse, de l'expertise et de la décision ; une unification de la gestion de crise et une mutualisation des compétences et des savoir-faire dans un contexte où ils sont rares et convoités. Le fait que les missions de l'IRSN, aujourd'hui établissement public industriel et commercial, sous tutelle de plusieurs ministères, soient demain exercées dans le cadre d'une autorité administrative indépendante n'est pas neutre. Cela marque un nouveau temps dans notre dispositif de sûreté nucléaire, qui poursuit son chemin vers davantage d'autonomie vis-à-vis des ministères.
Par le biais du règlement intérieur de cette future autorité, le texte consacre dans la loi plusieurs principes d'ordre budgétaires, organisationnels, structurels, déontologiques : cette disposition, rare pour une autorité administrative indépendante, montre l'importance que nous y accordons collectivement et les garanties associées à la future structure. Le fait que la réforme préserve experts comme décideurs de toutes pressions, même internes au système, et qu'elle réaffirme l'obligation de veiller à prévenir tout conflit d'intérêts, à tous les niveaux, est aussi une garantie essentielle pour la qualité de l'avis final, qui importe pour l'exploitant, pour la sûreté du système nucléaire et pour nos concitoyens.
Le projet de loi prévoit en complément de la loi relative à l'accélération des procédures nucléaires, que nous avons votée l'an dernier, plusieurs dispositions de sécurisation juridique de la commande publique, pour permettre le plein déploiement des chantiers de la relance nucléaire. Je note le lien faible entre ces dispositions et le texte, le besoin qu'elles s'intègrent bientôt dans un texte stratégique et programmatique, dont notre Assemblée doit être saisie, ainsi que l'urgence et le besoin de donner de la visibilité aux industriels. Je ne vois pas qui, ici, pourrait soutenir l'urgence de la relance nucléaire tout en ne voulant pas sécuriser le chantier de Penly, par exemple.
Après avoir dit ce qu'est la réforme, permettez-moi, avant que nous n'examinions plusieurs amendements et exposés des motifs au mieux imprécis, d'insister sur ce qu'elle n'est pas.
La réforme n'impliquera en rien un affaiblissement de notre doctrine de sûreté : le référentiel de sûreté comme les critères de la décision prise par le collège de l'ASN ne seront pas modifiés d'un mot.
La réforme n'est pas non plus une absorption d'un organisme par l'autre. Certes, l'IRSN n'était pas une autorité indépendante jusqu'ici, et le sera dans la nouvelle structure ; certes, les règles de déontologie pourront être revues et renforcées, mais n'est-ce pas souhaitable pour quiconque prétend défendre et renforcer notre dispositif de sûreté nucléaire ?
Enfin, j'appelle l'attention sur deux points de vigilance majeurs. Le premier est la qualité de la transition pour les personnels de l'ASN et de l'IRSN. Leur travail ne doit en rien être remis en cause : cette réforme n'est pas la résultante d'un travail qui serait insatisfaisant de la part de personnels ou de structures. Ces personnels doivent être, non les objets, mais les acteurs de la réforme. En particulier, l'attractivité de la future autorité sera une problématique de premier plan car la concurrence est rude. La faculté donnée à la future autorité de recruter sous trois statuts différents – fonctionnaire, agent de droit public, salarié de droit privé – va dans ce sens. Les enjeux de rémunération sont naturellement importants : au-delà des dispositions de l'article 11, ces discussions pourront se faire dans le cadre du prochain projet de loi de finances. Mais la fusion doit également se faire sans obliger les fonctionnaires, en poste ou intéressés, à renoncer à leurs droits statutaires – c'est une des raisons principales du choix du statut d'autorité administrative indépendante.
Le second point de vigilance réside dans la clarté et le bon niveau de précision de la loi. Il ne faudrait pas que les bonnes intentions du législateur se retournent contre l'efficacité souhaitée du dispositif. Comment installer une autorité vraiment indépendante, tout en inscrivant dans la loi, avec une précision toute relative, des principes et des critères, parfois organisationnels, parfois même techniques, que seuls des responsables de la sûreté nucléaire peuvent maîtriser ? Qui peut vouloir une loi plus simple et plus intelligible, comme nous le répétons régulièrement, et y ajouter des dispositions superfétatoires, déjà prévues par la loi, d'ailleurs souvent plusieurs fois, mais non appliquées ? Il est de notre responsabilité de parlementaires de faire une loi économe en mots, qui ne se répète pas, mais utilise l'entière responsabilité et liberté des parlementaires pour renforcer un dispositif de sûreté nucléaire que nous voulons plus fort et plus indépendant. Tel est le sens de ce texte et des amendements que je défendrai.