En février 2022, lors du discours de Belfort, le Président de la République a tracé les orientations du destin énergétique de la France : sortir de notre dépendance aux énergies fossiles, garantir notre souveraineté et accélérer la transition énergétique pour atteindre la neutralité carbone d'ici à 2050.
Depuis lors, la politique énergétique française a été précisée. Elle repose sur quatre piliers : sobriété, efficacité énergétique, énergies renouvelables et nucléaire. Ces quatre piliers, complémentaires, sont indispensables. Ensemble, ils forment un tout : la prédominance de l'un ou de plusieurs d'entre eux au détriment des autres, comme certains acteurs politiques le souhaitent, ne permettrait pas d'atteindre les objectifs fixés.
Une fois cette trajectoire arrêtée, le Parlement a travaillé à sa mise en œuvre en adoptant, au début de l'année 2023, un projet de loi pour accélérer le développement des énergies renouvelables et un autre pour faciliter la relance du nucléaire.
Le choix qu'a fait la France de favoriser une production d'énergie décarbonée s'appuie sur la science et n'oppose pas les énergies renouvelables entre elles, ni ces dernières au nucléaire. Nous pouvons nous féliciter de cette trajectoire, qui porte aujourd'hui ses fruits, comme le montre la diminution des émissions de CO2 observée en France alors que l'Agence internationale de l'énergie (AIE) a indiqué, la semaine dernière, que les émissions mondiales de CO2 liées à l'énergie ont progressé de 1,1 % en 2023.
Il y a un an, lors du débat sur le projet de loi relatif à l'accélération des procédures liées à la construction de nouvelles installations nucléaires à proximité de sites nucléaires existants et au fonctionnement des installations existantes, nous avons évoqué la question de la sûreté nucléaire. Pour chacune et chacun d'entre nous, il est essentiel et évident que la réussite de la filière nucléaire repose sur la garantie d'une exploitation sûre et sur un cadre clair du contrôle en matière de sûreté nucléaire et de radioprotection. Rappelons d'ailleurs que ce cadre est d'abord fondé sur la responsabilité des exploitants nucléaires.
Depuis un an, toutefois, la question se pose de savoir si l'organisation actuelle de notre système de sûreté nucléaire est suffisamment efficace et robuste pour garantir les meilleurs standards de sûreté à l'aune des immenses défis à venir. Bien qu'elle ait permis de répondre de façon satisfaisante aux enjeux de sûreté nucléaire et de radioprotection depuis 2006, à un moment où l'industrie nucléaire connaissait un calme relatif, cette organisation semble moins adaptée aujourd'hui.
Le contexte a, en effet, radicalement changé. Nous nous trouvons au seuil d'un bouleversement d'ampleur du paysage industriel nucléaire français, puisque, après de longues années de simple gestion du parc existant, de nouveaux et nombreux défis se dressent devant nous : la prolongation des réacteurs actuels au-delà de cinquante ou soixante ans, les évolutions technologiques, les impacts du changement climatique et le cyberterrorisme – auxquels peuvent s'ajouter des difficultés inattendues, comme les problèmes de corrosion sous contrainte qui ont récemment affecté le parc de réacteurs nucléaires.
Le déploiement d'une filière pour le réacteur pressurisé européen (EPR) 2 et l'apparition de nombreuses innovations en matière de petits réacteurs, comme les petits réacteurs modulaires (SMR), représentent également un défi : compte tenu de la constitution d'un écosystème très dense de start-up, la sphère du contrôle devrait se trouver confrontée à une multitude d'acteurs privés.
Les projets associés à ces évolutions vont accroître significativement et durablement le volume et la complexité des dossiers de sûreté et de radioprotection à étudier. C'est pourquoi nous sommes réunis pour examiner ce projet de loi relatif à l'organisation de la gouvernance de la sûreté nucléaire et de la radioprotection pour répondre au défi de la relance de la filière nucléaire.
À cet égard, je voudrais rappeler que notre système de contrôle actuel, qui repose, d'une part, sur l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN), chargée de la prise de décision, et, d'autre part, sur l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN), résulte de réorganisations successives intervenues depuis plus d'un demi-siècle.
Sans en retracer toutes les étapes, je rappelle que l'IRSN est né, en 2002, de la fusion entre l'Institut de protection et de sûreté nucléaire (IPSN), créé en 1976, et de l'Office de protection contre les rayonnements ionisants (Opri). Déjà, quand il avait fallu séparer l'IPSN du Commissariat à l'énergie atomique (CEA), nombreux étaient ceux qui craignaient que ce ne soit le début du démantèlement du CEA. Cette crainte n'a pas été confirmée par la suite.
L'ASN elle-même a d'abord été le service central de sûreté des installations nucléaires (SCSIN), rattaché au ministère de l'industrie, puis la direction de la sûreté des installations nucléaires (DSIN), placée sous l'autorité conjointe des ministres chargés de l'industrie et de l'environnement en 1991, avant de devenir indépendante en 2006.
Aujourd'hui, les deux entités travaillent ensemble, le plus souvent en mode projet, « au pied du réacteur », comme le rappelle l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (Opecst) dans son rapport sur les conséquences d'une éventuelle réorganisation de l'ASN et de l'IRSN sur les plans scientifiques et technologiques ainsi que sur la sûreté nucléaire et la radioprotection du 11 juillet 2023, dont j'ai été l'un des rapporteurs.
Si une approche institutionnelle pourrait laisser penser qu'il existe une distinction rigide entre l'expertise et la décision, on observe en fait un continuum étroit entre les deux activités. Certes chargée de prendre les décisions, l'ASN s'appuie aussi bien sur ses propres équipes d'expertise que sur les services de l'IRSN – lequel y consacre une partie de ses ressources.
Le projet de loi garantit l'indépendance de l'entité chargée du contrôle de la sûreté nucléaire civile et de la radioprotection, vis-à-vis du Gouvernement comme des exploitants, grâce au statut d'autorité administrative indépendante, le plus protecteur en droit français.
Une évolution du système actuel vers une approche plus intégrée présenterait de nombreux avantages, sans compromettre les principes fondamentaux de la sûreté nucléaire. En créant une Autorité de sûreté nucléaire et de radioprotection (ASNR), qui réunirait, en plus des missions de l'ASN, l'essentiel des missions d'expertise et de recherche de l'IRSN, le projet de loi permettra la fixation d'un calendrier unique de priorités.
En effet, à l'heure actuelle, le double niveau de pilotage limite l'efficience et la réactivité du processus. La relation entre l'ASN et l'IRSN s'inscrit dans le cadre d'une convention, négociée par les deux parties tous les cinq ans, qui s'appuie sur neuf documents-cadres. Un protocole est en outre conclu tous les ans pour convenir des priorités à venir. Cette organisation et ce niveau de formalisme résultent de l'existence même d'entités séparées, laquelle complexifie le pilotage des priorités et l'allocation des moyens. Dans un contexte de relance du nucléaire, une direction générale unifiée et un comité de direction rassemblant les activités de l'ASN et de l'IRSN seraient un moyen de renforcer le partage d'informations et le pilotage des moyens de la future autorité.
Tel serait également le cas en situation de crise, puisque l'ASN et l'IRSN disposent chacun d'un centre de crise, d'une organisation spécifique et de moyens propres de gestion de crise. Leur intégration permettrait de mettre en place un interlocuteur unique pour les autorités publiques et de fluidifier les échanges entre les équipes chargées de l'expertise et celles chargées de proposer des actions de protection de la population.
S'agissant des ressources humaines, il existe des tensions sur certaines compétences rares, actuellement dupliquées dans les deux entités. En réunissant des personnels très bien formés et expérimentés, et en facilitant leur travail collectif, la réforme améliorera la qualité de l'expertise, de l'instruction des dossiers et de la décision. Elle renforcera également les opportunités de mobilité professionnelle, y compris géographique, au sein de l'autorité.
Enfin, une autorité unifiée disposera d'un plus grand pouvoir d'influence dans les instances internationales et sera en mesure d'harmoniser sa communication pour défendre une vision française unique de la sûreté. Par sa taille, la future autorité sera d'ailleurs la plus importante au niveau européen et parmi les plus importantes au niveau mondial. Cela devrait accroître encore l'influence française à l'international, au bénéfice de niveaux de sûreté ambitieux et pertinents.
Bien sûr, les principes fondamentaux de la sûreté nucléaire seront préservés, qu'il s'agisse de la distinction entre expertise et décision, de la transparence de l'information en matière de sûreté nucléaire, notamment vis-à-vis du Parlement, ou encore de la publication des rapports d'expertise, en particulier de ceux sur lesquels s'appuient les décisions de l'ASN. Ces principes sont inscrits à l'article 2 du projet de loi et se déclinent dans d'autres articles. Les exigences d'indépendance, de déontologie et de transparence ont en outre été renforcées par le Sénat, dont il convient de saluer la qualité des travaux.
Je suis particulièrement attaché à ce que les activités de recherche conduites à l'IRSN soient maintenues au plus haut niveau d'expertise et appuyées par un conseil scientifique, car la relance du nucléaire implique celle de la recherche et de l'innovation. Je présenterai un amendement en ce sens.
Concernant le dialogue social, le projet de loi prévoit non seulement, à l'article 6, de préserver les statuts privé et public des personnels, mais également de conserver les instances actuelles jusqu'à la mise en place d'une instance spécifique – le comité social d'administration – qui sera dotée de deux formations spécialisées pour les salariés et les fonctionnaires.
Les salaires des contractuels et des agents de droit privé seront revalorisés mais il faudra également tenir compte, dans le rapport prévu à l'article 11 sur les besoins prévisionnels humains et financiers de la nouvelle autorité, des rémunérations des fonctionnaires.
L'évolution structurelle envisagée ne doit pas interférer avec l'augmentation de la charge de travail en matière de sûreté nucléaire prévue en 2026 et 2027, ce qui suppose de parvenir à mettre en place l'ASNR au 1er janvier 2025.
J'insiste sur la nécessité d'un véritable suivi par le Parlement de la mise en œuvre de la réforme. Je vous proposerai en ce sens un amendement qui permet à l'Opecst de suivre l'état d'avancement des travaux préparatoires de création de l'ASNR, puis de solliciter des bilans réguliers de la création de cette nouvelle autorité. Ce suivi renforcé de la réforme par l'Opecst, pendant une durée de deux ans, garantira pleinement l'effectivité du contrôle et de l'évaluation exercés par les parlementaires.