Bis repetita ! Notre commission examine à nouveau la version qui nous était parvenue il y a quelques semaines. Pourquoi ? Parce que la majorité fait le choix de n'écouter personne. Il y a plus d'un an, les assises nationales de la lutte contre les dérives sectaires avaient réuni les experts du secteur, professionnels ou associatifs, et abouti à plusieurs recommandations : l'accompagnement des victimes, la prévention auprès du grand public, la coopération entre services, la sensibilisation des agents. Pas une seule de ces recommandations ne se retrouve dans ce texte, qui marque sa rupture sur le fond avec les expertes et les experts. La chose est d'autant moins acceptable qu'il fait l'objet d'une procédure accélérée – on ne voit pas très bien pourquoi il fallait gagner quinze jours…
Dans ce contexte donc, nous nous retrouvons avec un texte purement répressif, qui envisage le problème par le petit bout de la lorgnette. Et on s'étonne ensuite – voire on verse de grosses larmes ! – que ni le Conseil d'État, ni le Sénat, ni la CMP ne s'en satisfassent.
Comment expliquer ce rejet ? D'abord, le texte affiche une approche exclusivement répressive. Utile dans certains cas, la répression ne permettra aucunement de mettre les gourous concernés hors d'état de nuire. Disons les mots : le texte n'est pas seulement inefficace – nous en avons l'habitude – il constitue une menace pour le système français de lutte contre les dérives sectaires.
Un gourou cévenol de 71 ans qui se faisait appeler Loup blanc, dont Mme la rapporteure connaît bien le cas, a été poursuivi pour viols, abus de faiblesse sur personnes en état de sujétion, et escroquerie. Que s'est-il passé lors du procès ? À l'extérieur du palais, nombre de ses adeptes étaient venus lui apporter leur soutien, convaincus que la répression pénale montrait juste qu'il dérange. Pire, à l'intérieur, plaignantes et plaignants saluaient encore le siège vide de cette personne contre laquelle ils avaient porté plainte.
J'en tire trois conclusions. Premièrement, le code pénal n'a jamais permis de rompre un rapport de sujétion et d'emprise, bien qu'il puisse aider, pendant les poursuites. Deuxièmement, les gourous représentant un danger pour l'ordre public, la loi permet déjà de les déférer, comme dans le cas que je viens de citer. Troisièmement, la sujétion ne disparaît pas comme par enchantement au cours du procès : la capacité d'accompagner les victimes est cruciale pour qu'elles se détachent du gourou contre qui elles ont porté plainte. On a vu, par exemple lors de procès autour de Raël, nombre de ses victimes se retirer de la procédure en cours, parce qu'elles étaient toujours sous son emprise. Ce dernier point n'est pas aussi distant du texte qu'il peut paraître. En effet, en retirant aux associations reconnues d'utilité publique le monopole de la constitution de partie civile, l'article 3 du texte permet à n'importe quelle association qui aura votre sympathie de le faire. Nous n'aurons aucune garantie quant à la capacité des associations nouvellement agréées à prendre en charge les victimes et à les soutenir psychologiquement tout au long de l'épreuve que représente le procès.
Bref, ce texte repose sur la croyance en la seule vertu de la répression pénale – que vous parvenez encore à désorganiser – pour arracher les consciences à certaines dérives sectaires. Il me semble au contraire que le recul de ce type de croyance et de sujétion au cours du XXe siècle est avant tout dû à l'école, aux soignantes et soignants, à la démocratisation des sciences. Tel sera le sens de nos amendements : le renforcement de la République, seul chemin pour libérer les consciences et voter un texte consensuel.