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Intervention de Henri Alfandari

Réunion du mercredi 6 mars 2024 à 9h00
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaHenri Alfandari, rapporteur :

De grandes ambitions s'expriment à propos de ce texte, qui n'est pourtant qu'un texte de niche et ne pourra opérer que des corrections à la marge. De fait, je ne propose pas ici de supprimer la loi de 2014, mais d'y apporter une correction. Nous n'allons pas bousculer l'ensemble du système en une journée comme celle-ci. Cette question touche toutefois à notre organisation générale et à de nombreux sujets connexes et je vais m'efforcer d'apporter le plus grand nombre possible de réponses à vos observations.

Madame Ménard, on m'a déjà demandé, durant les auditions auxquelles nous avons procédé, si cette proposition de loi était le prélude à d'autres mesures, en ajoutant que le dispositif proposé était insuffisant et qu'il faudrait aller plus loin, ou qu'il était acceptable à condition qu'il ne s'agisse que d'un premier pas. En réalité, nous ne faisons que corriger un déséquilibre, mais les autres questions restent à traiter. Viendra un moment, en effet, où nous devrons réformer certains éléments de notre millefeuille institutionnel en nous interrogeant, à chaque échelle, sur le bon mode de scrutin, sur les libertés locales et sur le statut de l'élu.

Nous proposons donc aujourd'hui une correction et vous pourrez aussi marquer cette réflexion de votre empreinte en proposant des idées pour des réformes à venir. Nous verrons si nous pouvons, durant cette législature ou une autre, nous doter de la capacité de réformer le règlement de l'Assemblée nationale, la Constitution, le code des collectivités territoriales et tous les dispositifs y afférents.

Monsieur Iordanoff, vous pensez que cette proposition de loi va dans le sens inverse de ce que nous devrions faire, mais le processus prend énormément de temps. Vous avez, du reste, été nombreux à dire que vous passiez beaucoup de temps dans vos circonscriptions : qu'est-ce qui vous empêche de le passer à l'exercice d'un mandat exécutif local ? Dans le cadre d'un mandat local, a fortiori quand il s'agit d'un mandat exécutif, on rencontre les gens, à propos par exemple de leur engagement associatif ou au sein des commissions des EPCI qui constituent l'écosystème de vos communes et dont le tissu est bien plus large.

Le contrôle du Gouvernement est évidemment l'un de nos objectifs essentiels, dont nous pourrions nous accorder à dire qu'il est souvent mal rempli. Or on ne travaille pas seul, et un élu qui cumulerait un mandat exécutif local pourrait s'appuyer sur des collaborateurs et sur des administrations qui lui fourniraient les informations lui permettant de mieux remplir son rôle de législateur.

Quant au groupe GDR, sa position est tout à fait conforme à son ancrage territorial. La réforme de 2014 pouvait en effet être une fausse bonne idée et sans doute faudrait-il réformer certains éléments de nos institutions. Nous pouvons aussi convenir que ce dispositif s'est traduit par une sorte d'inhibition du rôle du député sur le territoire.

Madame Untermaier, je comprends parfaitement que le groupe Socialistes et apparenté ne puisse pas se déjuger à propos de la loi de 2014. Par ailleurs, je souscris à plusieurs de vos observations. Il faut évidemment travailler sur les moyens dont nous disposons pour exercer notre rôle de parlementaires et améliorer la lisibilité de notre rôle dans le territoire. La possibilité d'un cumul le permettra partiellement, mais ne résoudra évidemment pas l'ensemble du problème.

Par ailleurs, la loi de 2014 n'est pas allée assez loin dans sa propre logique, qui aurait voulu que vous renforciez profondément l'enveloppe qui nous permet de payer nos collaborateurs. Il y a là un grand malentendu, sur lequel nous pourrions nous accorder. En effet, nous faisons comme si nous n'étions pas dans la Ve République, mais nous y sommes pourtant, et elle a précisément été conçue pour un ancrage territorial des parlementaires, le scrutin majoritaire visant à permettre l'identification des candidats aux élections. De ce fait, nous considérons que le cumul partiel fait partie des réponses que nous pouvons apporter avant de nous attaquer à des questions plus importantes.

Madame Jacquier-Laforge, M. Borgel nous a confirmé durant son audition que le renouvellement, la féminisation et le rajeunissement ne sont absolument pas ce qui était recherché par les auteurs de la loi de 2014, dont l'objectif principal était que tous les mandats soient exercés à plein temps et sans partage. Il se peut qu'il y ait eu des effets induits, mais nous ne disposons d'aucun outil statistique pour le confirmer. Personne ici ne peut dire si la féminisation et le rajeunissement sont liés à la loi de 2014 ou à l'élection présidentielle de 2017. Du reste, si la loi de 2014 avait véritablement induit une féminisation, on pourrait légitimement s'attendre à retrouver dans les collectivités locales, et en particulier dans les mairies, la même augmentation qu'au sein du Parlement, alors que ce n'est absolument pas le cas – on observe presque, à l'inverse, une baisse du nombre de femmes maires en 2020.

Monsieur Di Filippo, les stéréotypes et les « baronnies » que vous avez évoqués à juste titre sont, comme cela a été dit implicitement par M. Mendes et plusieurs autres orateurs, liés aussi à notre conception du pouvoir. Les baronnies sont la vision noire de l'ancrage territorial, mais son autre face est celle d'un relais du pouvoir central dans le territoire. Depuis longtemps, l'État français avait créé ce tissu qui lui donnait des leviers d'action sur le territoire, et sans doute avons-nous abîmé quelque chose à cet égard.

Je ne crois pas que, compte tenu de notre agenda législatif et de nos règles d'organisation, et à plus forte raison pour un député appartenant à une majorité relative, qui a de ce fait une obligation de présence plus importante, un parlementaire puisse exercer une fonction à la tête d'un exécutif local, qui supposerait qu'il soit quotidiennement avec ses administrés et puisse leur répondre à chaque instant, comme du reste ceux-ci l'exigent. Il peut, en revanche, accompagner la tête de l'exécutif dans ses responsabilités et l'aider de son expérience. Le mouvement va en effet dans les deux sens : l'expérience locale remonte au national, mais on peut également faire profiter le local de son expérience au niveau national.

Quant à l'inflation législative, l'expérience du passage à la session unique, en 1995, et de la loi de 2014 montre que plus nous augmentons notre temps de présence ici, plus l'inflation législative s'accroît.

Monsieur Lachaud, nous sommes certes des élus de la nation, mais notre présence sur les territoires nous permet d'aller du particulier à l'universel. Je sais que vous voyez les choses autrement mais, d'un fait unique, nous faisons quelque chose qui a une portée générale, et c'est là l'intérêt de la respiration qui s'instaure entre le national et le local.

Je ne reviendrai pas sur le mode de scrutin de la Ve République. Quant à la VIe, de laquelle parlons-nous ?

Monsieur Bilde, l'absentéisme a souvent été critiqué, mais nous avons auditionné, par exemple, un élu très « cumulard » au sens ancien, à savoir député, maire et président d'EPCI, qui avait par ailleurs été classé premier pour son assiduité à l'Assemblée nationale, sans faire pour autant défaut dans ses autres mandats.

Nous perdons de vue l'efficacité de l'action publique, qu'il conviendra d'avoir à nouveau à l'esprit le jour où nous nous attaquerons aux autres questions que pose le millefeuille des libertés locales, pour éviter d'être tentés de toucher au mandat des autres sans toucher au nôtre.

Monsieur Morel-À-L'Huissier, vous avez très justement exprimé l'idée que nous pouvions réussir un « exercice simultané », mot moins péjoratif que celui de cumul.

Madame Moutchou, la question de savoir quel rôle nous voulons donner au Parlement sous-tend nos réflexions. Vous avez rappelé que certains élus locaux ont une véritable appréhension face aux parlementaires et qu'ils ne souhaitent pas forcément travailler avec eux. Or cette collaboration est plus facile lorsque nous sommes issus de ces fonctions. Quant aux services préfectoraux, qui souhaitent tantôt nous inviter et tantôt ne pas le faire, nous nous employons à promouvoir le couple préfet-maire et le fait de connaître les prérogatives du maire et de la fonction exécutive permet une meilleure écoute du préfet et de l'ensemble des services déconcentrés de l'État. Ceux d'entre nous qui ont eu affaire à la direction départementale des territoires (DDT), à la direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement (Dreal) et à d'autres services savent ce que cela signifie.

Un autre problème de fond est que l'on veut que n'importe qui puisse postuler à un mandat électif, mais que notre société se technicise énormément et qu'une vraie tension se manifeste entre la professionnalisation et la non-professionnalisation, la technicité et la non-technicité. On en revient donc à la question du statut de l'élu, jusqu'au parlementaire, et des moyens de l'accompagner dans cet univers. La liberté de choix me paraît, à cet égard, importante.

Monsieur Mendes, je souscris au constat que vous avez dressé. Vous avez dit implicitement qu'il s'agissait là d'une certaine conception du pouvoir. D'autres options peuvent être envisagées, et doivent même l'être. Je le répète, cet ancrage territorial n'est qu'un élément de correction. Je suis certain que beaucoup de gens seraient ravis que vous siégiez avec eux pour les accompagner dans l'accomplissement d'un mandat exécutif, mais ce sera certainement insuffisant face aux ambitions que nous devons avoir.

Monsieur Molac, il m'a été rapporté qu'en Bretagne, le non-cumul était déjà un phénomène assez largement culturel.

Monsieur Balanant, de nombreux parlementaires ont un mandat local, mais il existe une très grande confusion entre le rôle d'un membre d'assemblée et un mandat exécutif. Vous en souffrez assez ici pour savoir que ce n'est pas la même chose que de siéger dans un conseil municipal et de se confronter à la réalité de l'application opérationnelle d'une décision et au regard d'un concitoyen qui ne comprend pas pourquoi vous lui demandez, en application du plan local d'urbanisme (PLU) et des prescriptions de l'architecte des bâtiments de France, de ne pas poser de fenêtres en plastique, alors que la personne qui habite en face de chez lui en a, parce qu'elle habite à l'extérieur du cercle de protection. C'est le genre de situations que ne vivent pas tous les conseillers municipaux, mais seulement les adjoints ou les maires.

Par ailleurs, le quotidien évolue et nous ne travaillons pas à paramètres constants. L'expérience que nous avons eue voilà vingt ans ne nous dit rien de ce qui se passe sur le terrain aujourd'hui, où nos maires et l'ensemble des personnes qui ont des responsabilités reçoivent une avalanche de normes et de dispositions à appliquer au quotidien. Il n'est donc pas mauvais d'avoir cet ancrage.

Madame Garrido, il est mathématiquement exact que les 577 députés ne pourront pas couvrir les 36 000 communes de notre pays, mais c'est oublier qu'une commune s'inscrit dans un écosystème fait d'EPCI, de cantons et d'associations de maires, et que nous rencontrons énormément de gens, avec qui nous partageons des expériences.

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