Intervention de Emeline K/Bidi

Réunion du mercredi 6 mars 2024 à 9h00
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaEmeline K/Bidi :

Le titre prometteur de votre proposition de loi nous faisait espérer des mesures répondant au mal-être des soignants, des propositions pour résorber la pénurie de soins qui sévit dans nombre de nos territoires ou pour augmenter les fonds de l'hôpital public. Nous espérions, en somme, que les moyens alloués aux professionnels de santé allaient enfin leur permettre d'exercer leur métier dans de bonnes conditions.

Il n'en est rien, puisque cette proposition de loi se contente de renforcer les peines en cas de violences commises contre des professionnels de santé. La situation est certes dramatique, puisqu'on a recensé 19 328 actes de violence contre le personnel soignant en 2021 et que 37 % des professionnels de santé disent avoir été victimes de violences en 2022. Il importe donc d'agir, mais qui peut croire que l'accentuation de la réponse pénale va régler le problème ? Vous vous attaquez aux conséquences et semblez vouloir ignorer les causes.

Les études montrent pourtant que, dans près de 50 % des cas, les violences sont associées à des reproches sur la prise en charge des patients : refus de prodiguer des soins de nursing, temps d'attente excessifs, etc. Ces violences sont le reflet de la dégradation de la qualité des soins et de la pénurie de soignants. Une part des violences est également le fait d'individus alcoolisés ou de personnes atteintes de troubles psychiatriques – je ne reviens pas sur l'état de la psychiatrie en France. L'aggravation des peines n'aura aucun effet sur ces personnes.

Ce qu'il faudrait, c'est un peu plus de moyens. Chez moi, à La Réunion, 20 % du personnel du CHU est en arrêt maladie. L'hôpital manque de moyens humains et les embauches sont gelées en raison d'une situation financière plus qu'alarmante, liée au fait que le coefficient géographique n'a pas été augmenté depuis plus de dix ans. Le candidat Emmanuel Macron avait promis de le faire évoluer. Il y a quatre mois, lorsque le personnel de l'hôpital était en grève et bloquait la circulation sur toute l'île, le ministre de la santé a annoncé que l'on aurait trois points de revalorisation à compter de janvier 2024. Nous sommes en mars et on nous promet maintenant de nous envoyer l'Inspection générale des affaires sociales (Igas). Il a fallu la mobilisation transpartisane de tous les élus de La Réunion pour qu'on nous promette finalement une dotation exceptionnelle de 40 millions. Vous allez me dire ce n'est pas mal, mais on est loin des 30 millions par an qu'était censée nous apporter la revalorisation du coefficient géographique. Pendant ce temps-là, la situation des soignants et des soins continue de se dégrader, au point que les médecins sonnent la sonnette d'alarme – or il est assez rare, chez nous, de les voir dans la rue.

Le renforcement des peines ne suffira pas, tant que l'on continuera d'ignorer ces problèmes. Je ne vous parle même pas de Mayotte, où 130 patients, enfants et adultes, sont admis chaque jour à l'hôpital et où les urgences fonctionnent avec quatorze médecins – six titulaires pour trente-quatre postes théoriques.

Nous faisons le même constat que vous, mais nous pensons qu'il faut prendre le problème à la source et mettre fin à l'abandon de l'hôpital public. Vous voulez alourdir les peines, mais si le service de la santé va mal, celui de la justice ne se porte pas mieux. Pour lutter contre les violences routières, vous avez proposé de créer un homicide routier ; pour lutter contre les dérives sectaires, vous avez proposé de rehausser les peines ; pour protéger le personnel soignant, vous modifiez le code pénal. Vous voyez bien que la réponse pénale ne suffit pas : ce n'est pas une baguette magique.

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