Un vieux proverbe juif dit : « Pour honorer le médecin, n'attend pas que tu en aies besoin. » Le 23 janvier 2024, avec mes collègues du groupe Horizons, nous avons déposé une proposition de loi visant à renforcer la sécurité des professionnels de santé. À ceux qui s'en prennent à nos soignants, elle délivre un message de fermeté ; aux victimes, un message de soutien et de considération.
Vous connaissez sans doute la gravité de la situation, mais je crois utile de rappeler quelques chiffres.
L'Observatoire national des violences en milieu de santé (ONVS) recueille les signalements de faits de violence commis à l'encontre des personnels de santé, que ce soit à l'hôpital, lors de soins à domicile, sur la voie publique ou, depuis 2020, dans le cadre de la médecine de ville. Dans la mesure où ces signalements sont transmis par l'intermédiaire d'une plateforme sur la base du volontariat, les statistiques de l'ONVS ne traduisent sans doute pas avec exactitude l'ampleur et la gravité des violences commises à l'égard des personnels de santé. Reste que, pour l'année 2022, ce sont 18 768 atteintes aux personnes et aux biens qui ont été signalées.
Certains services sont particulièrement exposés, comme les services de psychiatrie, auxquels je veux rendre un hommage appuyé ; à eux seuls ils déclarent plus de 20 % des faits, suivis par les services d'urgence, puis par les Ehpad.
Mais, à moindre échelle, ces violences peuvent survenir dans tous les services. Elles touchent tous les professionnels de santé, quel que soit leur lieu d'exercice. Elles touchent aussi, avant ou après le soin, les membres du personnel des établissements de santé : agents d'accueil aux services des urgences ou bien secrétaires dans les services de facturation. Ces personnes sont régulièrement confrontées à des comportements inadmissibles de la part de patients ou de leur entourage. Ces violences touchent encore, et je reviendrai sur cette question relative au champ de la proposition de loi, les personnels des établissements et services sociaux et médico-sociaux, mais aussi les personnels exerçant dans le cadre de la médecine libérale, dans les cabinets médicaux et paramédicaux.
Il n'est pas étonnant que la hausse générale de la violence trouve un écho en milieu de santé. La pandémie de covid-19 a, en particulier, créé un climat de tension qui s'est fortement répercuté sur les lieux d'exercice des soignants. Nous sommes très rapidement passés d'un soutien aux soignants que nous applaudissions depuis nos fenêtres à une inadmissible intolérance aux frustrations que ne peuvent manquer de faire naître les situations de soin.
Les pouvoirs publics ont le devoir d'apporter une réponse ferme et rapide à cet état de fait qui peut, pour les cas les plus graves, aboutir à des drames humains. Même lorsque les violences ne relèvent pas d'infractions criminelles, leurs conséquences sont majeures, tant pour les victimes que pour le système de santé. Les agressions, qu'elles soient physiques ou verbales, sont avant tout traumatisantes pour les personnes qui en sont les victimes. Elles génèrent aussi chez le personnel une perte de confiance. Elles peuvent détériorer le climat de travail et entraîner une démobilisation. Au bout du compte, elles portent atteinte à l'attractivité des professions de santé, et peuvent altérer la qualité des soins.
En amont de notre réunion, j'ai tenu à entendre les professionnels de santé. Les ordres professionnels, les fédérations hospitalières, les syndicats, les conférences des directeurs généraux des hôpitaux ont tous répondu à l'appel dans de très brefs délais. Je veux ici les en remercier : nos discussions ont été riches, et m'ont permis de mieux cerner l'ampleur et la gravité de ces violences pour les victimes, leurs collègues de travail, leur entourage et les patients eux-mêmes. Elles m'ont également permis de mieux apprécier la nature des réponses à y apporter.
J'ai acquis une conviction à l'issue de ces auditions : les soignants attendent des pouvoirs publics qu'ils prennent en considération ce fléau. C'est ce que nous voulons faire.
Le 29 septembre 2023, le ministre de la santé et de la prévention, M. Aurélien Rousseau, et la ministre déléguée chargée de l'organisation territoriale des professions de santé, Mme Agnès Firmin Le Bodo, ont publié un plan pour la sécurité des professionnels de santé. Ils y soulignent le caractère intolérable des violences à leur encontre et y détaillent une série de mesures, articulées autour de trois axes.
Le premier axe consiste à sensibiliser le public et à former les soignants, afin d'éviter que les situations de tension ne surviennent. Il s'agit là d'un message que je veux relayer auprès de nos concitoyens : notre système de santé est une richesse, et il appartient à chacun de nous d'en prendre soin.
Le deuxième axe consiste à prévenir les violences et à sécuriser l'exercice de leur métier par les professionnels. Il s'agit notamment de renforcer les sanctions pénales à l'encontre des agresseurs. L'article 1er aggrave ainsi les peines encourues pour violences et pour vol lorsque les faits sont commis dans des établissements de santé ou sur les personnels des établissements de santé. L'article 2, lui, étend le délit d'outrage aux professionnels de santé et aggrave la peine encourue en cas d'outrage, lorsque celui-ci est commis envers un personnel d'un établissement de santé dans le cadre de l'exercice d'une mission de service public.
Enfin, le troisième axe du plan repose sur la déclaration des violences et l'accompagnement des victimes. L'article 3 relève de cette dimension. Il permet à l'employeur d'un professionnel de santé ou d'un membre du personnel d'un établissement de santé qui a subi des faits de violence de porter plainte, à la place de la victime, après avoir recueilli son consentement. Je suis convaincu que ces plaintes seront de nature à rassurer la victime et à lui adresser le message de soutien et de protection dont elle a besoin pour envisager de porter plainte en son nom propre et de poursuivre, en se sentant soutenue, l'exercice de sa profession.
On me reprochera peut-être une approche trop restrictive. Mais il s'agit, par ce texte, d'apporter une traduction législative au volet pénal du plan visant à renforcer la sécurité des professionnels de santé. Je suis conscient que certains problèmes d'organisation, comme celui des services de sécurité à l'hôpital, ne seront pas réglés par son adoption. Lors des auditions nous avons aussi évoqué le cas des conventions santé-sécurité-justice, qui font d'ailleurs l'objet d'un amendement ; elles définissent un protocole-cadre et fixent les principes d'une collaboration entre les établissements de santé, les forces de sécurité intérieure et les autorités judiciaires. Il faut donc encourager leur signature. Cela dit, tous les sujets ne relèvent pas de la loi ; le texte se concentre donc sur la dimension pénale de la réponse à ces violences.
Au demeurant, s'agissant du champ de la proposition de loi, ma réflexion a évolué. Le dispositif initial permet d'apporter une réponse pénale plus ferme pour les violences ou les vols commis au sein des établissements de santé ; au fil des auditions, j'ai été convaincu de la nécessité d'élargir le périmètre, non seulement aux établissements sociaux et médico-sociaux, mais aussi aux structures d'exercice libéral de la médecine de ville. C'est la raison pour laquelle je vous proposerai, tout à l'heure, d'adopter les amendements que j'ai déposés en ce sens.
En délivrant un message de fermeté aux agresseurs potentiels et en favorisant le dépôt de plainte lors de la survenue de violences, cette proposition de loi pourrait avoir un effet dissuasif pour les agresseurs et rassurant pour les soignants. Elle nous offre une occasion de leur réaffirmer solennellement notre soutien et notre reconnaissance : j'espère que nous la saisirons.