Merci de cette audition concernant les finances publiques, la dépense, celle des collectivités territoriales et notamment du bloc communal, quelques semaines après l'adoption par 49.3 d'un budget porteur d'une modification substantielle de ses grands équilibres et qui a une incidence sur l'une des trois fonctions publiques, la fonction publique territoriale.
Le ministre des finances Bruno Le Maire disait mercredi dernier devant vous qu'il fallait regarder la réalité de nos finances publiques et en tirer la conclusion que la France puisait dans ses réserves vitales – les entreprises, le travail, la croissance – pour financer son addiction à la dépense publique.
Il n'est pas question de remettre en cause ce constat et par conséquent, il ne nous paraît pas inconvenant de chercher la performance publique. Bien au contraire, c'est une nécessité. Il faut essayer de rendre le meilleur service au meilleur coût pour défendre les usagers et les contribuables « en même temps ».
Pour la première fois depuis longtemps, nous avons trois indicateurs de soutenabilité de notre dette qui se situent à des niveaux critiques. Il s'agit tout d'abord du taux de croissance, inférieur à 1 % comme cela était annoncé dès l'examen du projet de loi de finances par beaucoup d'entre vous, beaucoup d'entre nous, et l'Observatoire des finances publiques.
Les taux d'intérêt réels, et non simplement nominaux, constituent le deuxième indicateur. Ils augmentent mécaniquement sous l'effet d'un ralentissement de l'inflation.
Le déficit primaire devrait quant à lui focaliser l'attention de chacun car il approche les 5 %.
Face à cette situation, la première méthode retenue consiste à raboter les postes de dépenses, sans remettre en cause la structure déficitaire et sous-performante de notre appareil public. Ce n'est pas forcément l'approche la plus pertinente, d'autant plus qu'elle a une incidence sur les collectivités territoriales.
La seconde méthode adoptée vise à réduire les capacités d'investissement. Or ces dépenses ont un rôle contracyclique, notamment via les collectivités territoriales et en particulier le bloc communal. Je rappelle que les dépenses du bloc communal représentent environ 50 % du total de l'investissement public, voire 70 % en y ajoutant les autres collectivités territoriales.
Vous nous avez conviés pour évoquer les dépenses du bloc communal, qui représente 6,25 % de la dépense publique. Cette part indique clairement que le problème des comptes publics ne provient pas du bloc communal (intercommunalités et communes). D'après nous, ces dépenses seraient même un atout pour les comptes de la nation.
Nous ne nions pas que des collectivités et des communes soient mal gérées, mais cela est du ressort de la démocratie locale. Au niveau agrégé, les dépenses des collectivités territoriales, et en particulier du bloc communal, ne constituent pas un problème pour les comptes publics de la France.
Il faut par ailleurs signaler que les comptes publics du pays sont présentés avec l'objectif du Gouvernement de montrer qu'il se préoccupe du respect de ses engagements européens. Ainsi, la dégradation des finances des communes, par ailleurs soumises à une règle d'or budgétaire, à la suite d'une ponction de l'État, d'une non-compensation des transferts de charges ou d'une non-indexation de la DGF, apparaît comme une aggravation de la situation des comptes publics.
Depuis dix ans, les relations financières entre les collectivités et l'État se sont modifiées structurellement et substantiellement, entraînant une dégradation de la performance publique. Cette dernière a été provoquée par une déresponsabilisation des exécutifs locaux au regard des contribuables. Or l'Association des maires de France démontre que la performance vient de la responsabilité des exécutifs locaux face à leurs habitants. Elle vient de la démocratie.
L'AMF a été créée en 1907 pour promouvoir et défendre la liberté locale. Il s'agit de défendre un principe et une valeur essentielle, mais aussi un principe d'efficacité lié à la responsabilité qui découle de la proximité. Cela nécessite cependant d'avoir des comptes à rendre, y compris aux contribuables locaux, d'où la question fondamentale de l'universalité de la fiscalité locale et désormais de l'absence d'universalité de la fiscalité communale.
Il faut rappeler que le déficit de toutes les collectivités représente 9 % du total de la dette publique depuis une trentaine d'années. Cette proportion était bien plus élevée il y a cinquante ans. En outre, le bloc communal porte près d'un tiers de la formation brute de capital fixe de l'ensemble des administrations publiques. Par conséquent, réduire la capacité d'investissement du bloc communal revient à réduire notre croissance et à amplifier les problématiques de rentrées fiscales, notamment les rentrées de TVA d'autant plus dynamiques que la croissance est forte.
Par ailleurs, les déclarations du ministre des finances selon lesquelles l'État compense par des subventions directes ou des taxes affectées l'augmentation des dépenses des collectivités locales appellent plusieurs remarques.
Tout d'abord, c'est ce même ministre de l'économie et des finances qui a également déclaré qu'il n'y avait pas d'un côté le « méchant » État et les « gentilles » collectivités. Je signalerai que dans un monde d'adultes, la distinction entre les gentils et les méchants dans la puissance publique ne me semble pas pertinente. Je crois aux faits et je pense que l'infantilisation commence par le langage. Si je devais cependant adopter le même langage, il n'y a pas non plus de méchantes collectivités et un gentil État qui compenserait les niveaux inconsidérés des dépenses territoriales.
Il ne faut pas omettre deux réalités. Parallèlement à la recentralisation par la règle et par la fiscalité, il y a eu des transferts de charges non décentralisés depuis une vingtaine d'années. Ce n'est pas le bloc communal qui a demandé à être sous perfusion du malade.
Ensuite, des transferts de charges n'ont pas été compensés. Je pense notamment aux AESH (accompagnant d'élèves en situation de handicap), dont nous avons désormais la responsabilité. Cette charge n'apparaît pas dans les charges de décentralisation et par conséquent, elle n'est pas compensée. Pire, il pourrait nous être reproché d'augmenter la masse salariale.
Je remarquerai également que si je souhaitais compenser la baisse des effectifs policiers (-73 policiers depuis douze ans) observée dans ma commune et recruter des policiers municipaux qui ne sont pas une compétence décentralisée, une telle augmentation de la masse salariale pourrait m'être reprochée.
Encore une fois, je ne nie pas que des collectivités soient mal gérées et qu'il puisse exister un clientélisme qui doit être combattu. Il appartient néanmoins aux habitants de décider de leurs élus.
Nous pourrions aussi évoquer les soubresauts sur la délivrance des documents d'identité. À une époque, les documents d'identité pouvaient être récupérés à la sous-préfecture. Désormais, ce sont les communes qui assument cette charge. Or cette charge a une traduction, y compris humaine.
Je pourrais aussi mentionner les grandes difficultés dans les Ehpad publics et le rôle essentiel assumé par nos centres communaux d'action sociale, dont les effectifs sont intégrés dans ceux de la fonction publique territoriale et recrutés par les mairies.
Ces éléments factuels montrent bien que derrière les chiffres, il y a des réalités humaines. Les collectivités territoriales et notamment les communes recousent le tissu social. Cela me permet d'ailleurs de rappeler qu'il existe une strate de collectivités qui affronte de graves difficultés, ce sont les départements.
Les départements de France ont une dynamique de charges liée à leur cœur de compétence, la solidarité territoriale comme humaine. Or cette dynamique est d'autant plus forte que la situation sociale se tend. En parallèle, la dynamique des recettes ralentit en raison de leur exposition aux DMTO (droits de mutation à titre onéreux) et de la forte baisse de ces derniers. Cet effet de ciseau explique leurs difficultés.
Ces difficultés ne sont pas neutres pour les communes puisque les départements ont un rôle essentiel auprès du bloc communal, et inversement. Elles ont une incidence évidente sur les finances du bloc communal, qui devrait être particulièrement visible en 2024 et 2025 en raison de la crise du logement.
Il faut bien comprendre la modification structurelle de la relation financière entre l'État et les collectivités territoriales depuis dix ans. Les collectivités territoriales ont perdu leur responsabilité d'exécutif et donc leur liberté d'action. La liberté et la responsabilité sont intimement liées, en tout cas dans ma philosophie de vie.
Jusqu'aux années 2000, la dotation globale de fonctionnement était indexée sur l'inflation augmentée de la moitié du taux de croissance. Puis la contribution du taux de croissance a été supprimée afin de stabiliser la DGF en termes réels et de ne pas augmenter la charge de l'État tout en garantissant le respect de ses engagements.
À la suite de la crise des subprimes, cette indexation a elle aussi été supprimée. En 2014, c'est même un prélèvement qui a été décidé. Il a été stoppé en 2017 mais sans retour d'aucune indexation. Ce n'est que récemment que la DGF a été augmentée, à un rythme cependant inférieur à l'inflation.
Le changement de doctrine non exprimé de l'État sur la DGF, à savoir le non-respect du principe d'indexation et les prélèvements de 2014 à 2017, représente un prélèvement sur les finances du bloc communal de 71 milliards d'euros depuis 2010. Cela correspond à un effort considérable à l'équilibre des comptes publics, équilibre néanmoins fictif puisqu'il s'accompagne d'une dégradation des finances du bloc communal.
Je crois pour ma part qu'il existe une relation de causalité entre la perte d'autonomie du bloc communal et la dégradation des comptes publics. Je suis intimement convaincu que l'efficacité naît de la responsabilité.
Un second bouleversement majeur intervient avec la suppression de la taxe d'habitation sur les résidences principales, que l'État s'est engagé à compenser à l'euro près. Nous n'avons jamais demandé à l'État d'assumer cette charge de 23 milliards d'euros par an et il serait aujourd'hui incongru de revenir sur sa compensation parce que les temps sont durs.
Il nous est parfois rétorqué que notre épargne augmente. Il faut faire très attention à ce chiffre car dans les périodes d'incertitude, l'épargne se constitue au détriment de l'investissement. Ainsi, en tenant compte de la dynamique de l'inflation et de la croissance, le montant des investissements du bloc communal n'a pas retrouvé son niveau du précédent mandat.
De plus, cette augmentation de l'épargne est surtout effective dans les communes qui n'assument pas de charges de centralité, et notamment les communes rurales. C'est peut-être un paradoxe qui vous surprend mais l'explication est simple. La recentralisation de la dépense à travers les évolutions fiscales et le fléchage des financements de l'État ne permettent plus aux maires ou aux présidents d'intercommunalités rurales d'engager la dépense qui leur permettra de bénéficier de cet effet de levier de l'État. Ce fléchage amplifie la fracture territoriale, qui est aussi un des maux de notre époque.
Le principe de responsabilité nous impose de nous attaquer à une dette qui est une bombe à retardement. Je rappelle que le service de la dette représentera plus de 55 milliards d'euros dès cette année, soit cinq fois le budget de la justice.
Certaines mesures nous semblent positives, en particulier l'intégration de la valeur des aménagements de terrain dans le FCTVA (Fonds de compensation de la taxe sur la valeur ajoutée). Nous pensons cependant qu'il faudrait aussi y inclure la valeur du foncier.
La prise en compte des aménités rurales et l'ajustement de la dotation urbaine et de la dotation rurale sont également des points positifs. Un travail intelligent a été réalisé avec Élisabeth Borne et nous l'avons signalé lors du congrès des maires, il y a eu une coproduction sur certaines thématiques.
Cependant, face à l'ardente nécessité d'assainir les comptes publics, nous pensons que tout ce qui est contraire à la libre administration communale va à l'encontre de la performance publique.
Nous demandons par ailleurs qu'une revue des dépenses soit réalisée et qu'elle s'accompagne d'une revue précise du coût des normes.
Nous demandons également une revue des recettes et en particulier un chiffrage du montant des compensations des recettes locales supprimées, avec un état de lieux clair de la situation financière du bloc communal.
Nous pensons que les demandes d'acquisition de terrain doivent être intégrées dans le FCTVA. Nous proposons une mesure très simple déjà mise en œuvre au moment des subprimes et à l'efficacité avérée, l'avancement d'un an des versements du FCTVA. Cette mesure aurait un effet immédiat sur l'investissement car le FCTVA reste une ressource libre d'emploi.
Nous avons proposé vingt-cinq mesures favorables à la relance du secteur du bâtiment et notamment du logement, qui doit être une priorité en raison de son impact sur la dynamique fiscale.
Nous demandons l'évaluation du coût du zéro artificialisation nette et nous avons formulé vingt propositions en la matière. Nous ne voulons plus de texte législatif et réglementaire qui impacte nos dépenses et nos recettes sans étude d'impact préalable. Ces études d'impact sont indispensables, il n'est plus possible d'avancer dans le brouillard.
Enfin, nous alertons sur la nécessité d'évaluer les coûts des infrastructures essentielles telles que les infrastructures routières.
Nous devons faire face à une rigidification des recettes qui conduit à une déresponsabilisation et ce n'est pas en pratiquant une culture du rabot qui n'a jamais produit que des effets marginaux que nous parviendrons à recréer une dynamique vertueuse de respect des comptes publics, de respect des contribuables, de respect des usagers.
C'est la liberté d'action qui nous permettra de retrouver des finances publiques saines et de régénérer la démocratie locale.