Intervention de Virginie Bleitrach

Réunion du jeudi 29 février 2024 à 8h00
Commission d'enquête sur la gestion des risques naturels majeurs dans les territoires d'outre-mer

Virginie Bleitrach, directrice régionale de l'Agence française de développement (AFD) pour le Pacifique :

Bonsoir, et merci monsieur le président ainsi que mesdames et messieurs les membres de la commission d'enquête. Je salue aussi mes collègues invitées ce soir.

Mon intervention se place sous un angle quelque peu différent de celui de madame l'ambassadrice, étant donné que l'AFD – en tant que banque de développement – se concentre davantage sur l'engagement à long terme que sur la réponse immédiate aux crises humanitaires. Comme vous le savez peut-être, l'AFD est présente dans le Pacifique via les territoires français depuis 75 ans. Cette présence s'étend aux États étrangers du Pacifique depuis seulement cinq ans. En tant que directrice régionale pour le Pacifique et directrice pour la Nouvelle-Calédonie, je m'efforce de développer nos activités à l'intersection des territoires français et des États étrangers, au cœur des enjeux de coopération et d'intégration régionale.

Le mandat qui nous a été attribué résonne avec la thématique abordée ce soir concernant la gestion des risques mais de façon plus large, car nous sommes dans une zone pacifique comprenant de nombreux États insulaires et extrêmement exposée à divers risques tels que les cyclones, les inondations, les éruptions volcaniques, les séismes ou encore les tsunamis. L'intensité de ces catastrophes naturelles s'intensifie avec les bouleversements liés au changement climatique.

La survie des États insulaires et la réponse aux catastrophes naturelles et aux impacts du changement climatique constituent la priorité des pays de la région, comme l'indique la stratégie 2050 pour le Pacifique bleu du forum des îles du Pacifique. En réponse à cette stratégie, le mandat de l'AFD dans le Pacifique cible précisément les défis liés aux impacts du changement climatique, à la vulnérabilité des territoires et à la préservation de la biodiversité.

Je souhaite donc aborder la gestion des risques sous l'angle de la prévention, de la reconstruction et de la préparation des communautés, plutôt que de me concentrer uniquement sur la réponse humanitaire. Le Pacifique est une zone immensément riche en ressources naturelles et est aussi extrêmement vulnérable. Pour l'illustrer, il faut savoir que plus de 70 % des événements les plus extrêmes enregistrés dans la région ces cinquante dernières années ont eu lieu durant les quinze dernières années. Ces événements, de plus en plus fréquents et violents, représentent des coûts colossaux pour les pays concernés. Ils continuent de payer le prix de ces catastrophes naturelles pendant cinq à dix ans après leur survenue, avec des marges de manœuvre budgétaires et fiscales limitées. Les montants d'aide au développement sont certes conséquents mais peuvent s'avérer insuffisants pour la reconstruction.

Bien que plus riche, la Nouvelle-Calédonie partage ces mêmes défis. C'est un territoire doté d'une grande richesse en ressources naturelles et en biodiversité, mais également très vulnérable aux catastrophes naturelles. Les populations y sont fortement dépendantes de leurs écosystèmes terrestres et marins, d'où une urgence à prévenir ces risques, à s'y préparer et à y répondre sur le long terme en favorisant la coopération régionale, car les enjeux sont partagés entre les territoires français et leurs voisins du Pacifique.

Madame l'ambassadrice a déjà mentionné des mécanismes de coopération régionale, et je ne m'y attarderai donc pas. L'AFD dispose malheureusement d'outils différenciés entre les territoires français et les États étrangers du Pacifique, puisqu'ils relèvent pour les uns du ministère des Outre-mer et d'autre part du ministère des Affaires étrangères. Il est parfois complexe d'intervenir à cheval entre ces deux sphères malgré notre mandat régional et la stratégie indo-pacifique, du fait d'une approche encore trop cloisonnée.

Sur les territoires français, nous intervenons massivement avec nos offres de prêts pour toutes les collectivités, dans les secteurs publics et privés. Nos produits d'intervention sont très bonifiés, avec des taux d'intérêt adoucis pour les projets liés à l'adaptation au changement climatique, à la réduction des vulnérabilités et à la prévention des risques de catastrophe. Nous sommes par exemple intervenus sur la commune d'Ouvéa pour tâcher de répondre à des problématiques d'érosion côtière et de vulnérabilité face aux cyclones. Dans la province nord de Calédonie, nous veillons à renforcer les connaissances pour anticiper les risques naturels, établir des cartes d'aléas et de risques, et mettre en œuvre des mesures de protection et des travaux d'aménagement d'urgence et de long terme pour des infrastructures plus résilientes. Nous sommes aussi intervenus sur la commune de Nouméa, que ce soit en prêt ou en assistance technique avec le soutien de l'État. Il s'agissait notamment d'études sur le risque de submersion marine (qui est bien sûr accru avec les catastrophes naturelles), sur l'érosion côtière, ou encore sur la vulnérabilité de certains bâtiments stratégiques (qui sont très fortement exposés à ces risques naturels).

Au niveau régional, nous menons plusieurs projets dont un avec la Croix-Rouge, qui s'étend sur les trois océans avec un pilier qui sera renforcé dans le Pacifique avec la réactivation pour un montant de 3 millions d'euros de la plateforme de la Croix-Rouge de prévention, préparation et réponse aux catastrophes (qui sera basée à Nouméa). L'enjeu est ici de renforcer les mécanismes de coordination, tant nationaux que régionaux, ainsi que la capacité des partenaires et des communautés locales à se préparer et à prévenir en matière de gestion des risques de catastrophe. Le programme est en cours de définition et sera lancé dans le courant de l'année, avec un très fort focus sur le Vanuatu qui est particulièrement vulnérable.

Nous avons également le projet CLIPSSA (Climat du Pacifique, savoirs locaux et stratégies d'adaptation), en coopération avec l'institut de recherche pour le développement (IRD) et Météo France, qui vise à élaborer des projections climatiques à très haute résolution pour les îles du Pacifique.

Au travers de l'initiative Kiwa qui est bien connue dans le Pacifique, nous travaillons sur des sujets d'adaptation à partir de solutions fondées sur la nature, de façon à prévenir l'impact des catastrophes liées aussi aux phénomènes croissants de changements climatiques.

Vous pouvez voir que nous nous situons à la fois sur des sujets de connaissance, d'acquisition de données, de production de cartes pour mieux se préparer, ou sur des sujets de plus long terme au travers du financement d'infrastructures plus résilientes par rapport aux changements climatiques et aux catastrophes naturelles.

Je terminerai sur nos réflexions liées à l'agenda international et l'émergence du sujet des pertes et préjudices liés aux catastrophes naturelles. Il est fortement porté par les îles du Pacifique et il vise à mieux prévenir les risques liés aux changements climatiques et à l'impact des catastrophes naturelles. La France et l'AFD sont en outre engagées dans la réflexion sur des outils financiers innovants, tels que des lignes de contingence. Ce sont des prêts ou dons prépositionnés auprès des États et activables rapidement en cas de catastrophe naturelle pour soutenir les budgets des pays et permettre une réaction rapide.

Il y a un foisonnement d'initiatives en place, mais l'offre n'est pas encore à la hauteur des besoins. Il serait souhaitable de renforcer la fluidité des outils mobilisables entre les territoires français et les États étrangers. Nous aurons peut-être l'occasion de revenir sur ce sujet.

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