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Intervention de François Vergniolle de Chantal

Réunion du mercredi 6 mars 2024 à 10h30
Commission des affaires étrangères

François Vergniolle de Chantal, professeur des universités et membre du laboratoire de recherche sur les cultures anglophones (LARCA) :

Dans ce bref propos liminaire, je souhaiterais surtout mettre en avant trois points.

Le premier concerne l'offre politique. Pourquoi assistons-nous à un rematch entre Biden et Trump, confirmé depuis cette nuit, alors que l'écrasante majorité des Américains indique, depuis des mois, ne pas vouloir de ce rematch entre Biden et Trump ?

Le deuxième point concerne le parti républicain. J'aimerais évoquer ce parti républicain trumpisé, qui n'a plus rien à voir avec ce qu'il était voici encore quelques années.

J'aborderai enfin la tactique démocrate face à Trump, qui n'est plus simplement ce qu'il était en 2016, à savoir un candidat et un outsider antisystème, mais qui est devenu quelqu'un qui critique l'État de droit, les procédures électorales et le fonctionnement de la justice.

Concernant le casting électoral, il est surprenant de voir les partis républicain et démocrate choisir des candidats présentant l'un comme l'autre des risques. Trump, c'est d'abord un président qui a été battu en 2020. C'est aussi un candidat qui a été mal élu en 2016. Il est confronté à une multitude de procès et est sujet – ô combien – aux dérapages. Biden est a priori un peu moins risqué mais son âge est devenu un enjeu de la campagne, au point que les observateurs s'interrogent sur sa capacité à la mener et à assumer un second mandat.

Pourquoi, donc, un candidat comme Trump et un candidat comme Biden ?

Pour Trump, la réponse me semble résider dans le fait qu'il a lancé sa campagne de 2024 dès 2020, en critiquant le résultat de l'élection et en accusant Biden de l'avoir truquée. C'est évidemment devenu un mythe mobilisateur pour l'ensemble des électeurs de Trump, à l'origine de l'assaut contre le Capitole, qui a entretenu l'idée d'une nécessaire revanche.

Il me semble également important d'évoquer le lien entre Trump et ses électeurs. De mon point de vue, le succès du mythe de l'élection truquée fait écho au sentiment que partagent de nombreux électeurs de Trump, à savoir que la démocratie ne leur appartient plus, qu'elle leur a été volée et qu'ils n'ont plus « le contrôle », pour reprendre l'expression appliquée au Brexit. La démocratie n'est pas seulement faite d'institutions ou de procédures mais aussi de ressentis. Dans le cas des électeurs de Trump, le ressenti est extrêmement négatif. Ce que je vois derrière l'enthousiasme des électeurs trumpistes, c'est le gouffre de délégitimation du politique américain.

Qu'en est-il du côté démocrate ? Pour moi, trois raisons principales expliquent le choix de Biden. D'abord, l'on s'oppose très rarement à un candidat à la réélection du président sortant, d'autant que le bilan de Biden est tout à fait satisfaisant pour les démocrates. Par ailleurs, il a déjà battu Trump ; c'est même son principal argument de campagne. Il s'agit enfin d'un candidat centriste, qui rassemble très facilement l'énorme coalition démocrate, qui couvre non seulement le centre droit mais également le progressisme. En l'absence de Biden, le risque serait que le parti démocrate se déchire.

J'ajouterai un dernier élément sur son choix de colistier, Kamala Harris, symbole parfait de la coalition démocrate du futur : une femme d'origine noire, asiatique, multiculturelle, plus jeune, qui complète donc parfaitement le ticket avec Biden.

J'en arrive à mon second point, à savoir que l'élection montre l'étendue de la mutation du parti républicain sur trois niveaux. Cette évolution est d'abord idéologique, puisque le conservatisme hérité de Reagan – « le conservatisme, idéologie du futur » disait Reagan – a complètement disparu pour être remplacé par un nationalisme assez grossier, mâtiné de populisme – de gauche ou de droite ; on pourra y revenir. Ce qui me paraît intéressant, c'est que l'on peine à trouver une quelconque cohérence idéologique. Chez Trump, la cohérence n'existe pas et est remplacée par une simplification à outrance des enjeux. Elle aboutit à une forme de national-populisme qui se double de revendications identitaires, chrétiennes, blanches ; on pourra également y revenir.

Au niveau des élites du parti, le contraste avec 2015-2016 est clair, dans la mesure où il n'existe plus aucune opposition à Trump. Les candidatures de DeSantis et de Nikki Haley n'étaient pas des candidatures anti-Trump mais des alternatives à Trump ou des émulations de Trump, aucun des deux ne l'ayant jamais véritablement ou frontalement attaqué.

Enfin, au niveau des électeurs, il existe une tendance à caricaturer l'électorat trumpiste comme un électorat fait de « petits Blancs », religieux, ruraux. Il est vrai que Trump a activé ces électeurs et les a intégrés dans la coalition républicaine mais il bénéficie également d'un électorat républicain traditionnel, comme nous l'avons immédiatement vu en 2016 comme en 2020. En 2020, il a même progressé de manière inattendue dans des groupes où il n'était pas véritablement attendu, comme les Hispaniques ou les Afro-Américains. Autrement dit, la base électorale de Trump, dont les médias parlent sans arrêt, n'est en rien un bloc monolithique et a profondément évolué depuis 2015-2016.

Je terminerai mon propos liminaire avec une interrogation sur la manière dont les démocrates peuvent battre le phénomène Trump. Comment battre un candidat qui n'hésite pas à dénoncer l'État de droit ?

Bien évidemment, le risque est permanent que les démocrates dérapent et tombent dans le piège du jugement condescendant, comme Hillary Clinton l'avait fait en 2016 en qualifiant les électeurs de Trump de « déplorables ». Par conséquent, l'angle choisi par la campagne Biden consiste à rejouer ce qui avait fonctionné en 2020, c'est-à-dire prendre Trump au sérieux, le présenter comme un danger pour la démocratie américaine et les droits individuels, notamment l'avortement ; nous en reparlerons également.

Il s'agit donc, pour Biden, de dramatiser l'élection, de créer une contre-mobilisation pour bloquer le narratif trumpiste de la victime du système. Cela peut fonctionner mais il me semble que les démocrates sont en position de faiblesse pour ce cycle électoral. D'abord, leur candidat est incontestablement trop âgé, avec une Kamala Harris qui n'est ni visible, ni populaire. Ils mènent, en outre, campagne sur la défensive, avec l'idée de défendre la démocratie, de défendre le bilan de Biden, en laissant Trump à l'offensive. Dans quelques jours, Biden doit prononcer le discours sur l'état de l'Union. Tout le monde s'attend à ce qu'il mette en avant un véritable projet et cesse d'agir sur le mode défensif.

J'observe enfin un déficit certain d'enthousiasme chez les démocrates, qui peut s'avérer rédhibitoire, puisque leur coalition s'appuie essentiellement sur des électeurs qui se mobilisent relativement peu. Au début du mois de janvier, un sondage indiquait que 18 % des démocrates se déclaraient très enthousiastes vis-à-vis de l'élection de Biden, tandis que 44 % des républicains se déclaraient très enthousiastes vis-à-vis de l'élection de Trump. Nous constatons bien le fossé entre un enthousiasme républicain et un vote démocrate qui serait peut-être, au mieux, un vote par devoir pour le candidat du parti.

Je conclurai mon propos liminaire de manière très prudente, dans la mesure où tout peut changer d'ici huit mois : un accident de santé, une condamnation de Trump, etc.

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