Intervention de Jean-Louis Bourlanges

Réunion du mercredi 28 février 2024 à 9h00
Commission des affaires étrangères

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Louis Bourlanges, président :

Notre ordre du jour appelle la tenue d'une table ronde sur la guerre en Ukraine et ses conséquences sur les belligérants, deux ans après son déclenchement par la Fédération de Russie le 24 février 2022. Le feu de l'actualité qui déferle sur nous, notamment la conférence qui s'est tenue le 26 février au palais de l'Elysée, rend cette table ronde opportune.

Avant de brièvement brosser le contexte et les attendus de nos échanges, je tiens à souhaiter la bienvenue aux intervenants qui ont bien voulu nous faire bénéficier de leur expertise sur ce dossier toujours, hélas, d'une grande actualité.

Madame Tatiana Kastoueva-Jean, vous êtes directrice du centre Russie-Eurasie de l'Institut français des relations internationales (IFRI). Vous êtes spécialiste des politiques intérieure et étrangère russes. Avant de rejoindre l'IFRI en 2005, vous avez enseigné les relations internationales à l'Institut d'État des relations internationales de Moscou. Vous avez publié de nombreux ouvrages, parmi lesquels La Russie de Poutine en 100 questions, en 2018. Votre expertise nous sera très utile pour essayer de comprendre ce qu'il se passe en Russie, notamment le contexte de l'élection présidentielle du 17 mars prochain, et ce qui se joue en Ukraine pour la Fédération russe.

Monsieur le général Christophe Gomart, vous êtes général d'armée en 2e section. Vous avez été l'adjoint au coordonnateur national du renseignement de 2008 à 2011, puis commandant des opérations spéciales jusqu'en 2013 et, enfin, directeur du renseignement militaire jusqu'en 2017. En 2020, vous avez coécrit avec Jean Guisnel, Soldat de l'ombre : au cœur des forces spéciales. Aujourd'hui, vous êtes un chroniqueur avisé et reconnu sur les questions militaires, géopolitiques et internationales et vous livrez régulièrement votre analyse sur l'évolution du conflit ukrainien.

Enfin, monsieur Philippe Gros, vous êtes maître de recherche à la Fondation pour la recherche stratégique (FRS). Vous avez exercé différents postes dans les administrations de la défense et contribué à l'élaboration de documents de doctrine de l'état-major des armées. Grand connaisseur des différentes formes de conflits armés et d'interventions militaires, mais aussi des évolutions technico-opérationnelles et de leur impact capacitaire, vous coordonnez les travaux de l'Observatoire des conflits futurs sur la prospective en matière d'armement et sur l'emploi des systèmes d'armes. Votre appréciation sur les besoins en armes de l'Ukraine nous sera très précieuse.

En guise d'introduction, j'énoncerai cinq interrogations fondamentales.

La première interrogation a émergé dès le début de l'attaque russe, dont on peut se demander si elle a commencé il y a deux ans ou bien au moment de l'offensive sur la Crimée de 2014 : quels sont exactement les objectifs que poursuit la Russie ? Et quels sont ceux que l'Ukraine est en mesure d'atteindre ? À ces questions, il n'existe pas de réponse simple mais elles se tiennent en arrière-plan de toutes les autres.

La deuxième interrogation, très forte, porte sur l'évolution du rapport de forces. Nous sommes passés de la certitude que l'Ukraine serait vaincue en trois jours par l'armée russe à la certitude que cette dernière allait connaître la défaite. La forte résilience de l'armée russe a fait se lever un vent de défaitisme et a donné l'impression que l'Ukraine se trouvait dans une situation extrêmement précaire. Il convient pourtant de rappeler que l'Ukraine a démontré sa capacité à infliger un échec politique majeur au pouvoir russe.

La troisième interrogation concerne les lenteurs de l'économie de guerre. Le président de la République a évoqué la nécessité de mettre en place une économie de guerre il y a deux ans. Or, il semble que la prise de conscience des exigences d'une économie de guerre en termes budgétaires, techniques, économiques et sociaux date de quelques semaines, en particulier de la conférence du 26 février – et je ne fais pas là allusion au commentaire final apporté par le président de la République. Nous savons que l'Ukraine rencontre d'extrêmes difficultés et nous ne lui fournissons pas les moyens nécessaires pour faire jeu égal avec la Russie, y compris sur l'aspect défensif.

La quatrième interrogation est liée aux incertitudes quant aux positions américaines. Elles pèsent sur le degré de soutien, immédiat et financier, à l'effort de guerre mais concernent également, à terme et au cas où Donald Trump serait élu, les conséquences d'une désorganisation morale et juridique partielle, voire totale, du système de défense incarné par l'Organisation du traité de l'Atlantique Nord (OTAN).

Enfin, la cinquième interrogation est née des déclarations du président de la République sur le degré d'implication envisagé pour les pays d'Europe occidentale. Ces déclarations ont surpris et prouvent la dissonance entre un texte et un sous-texte. Le texte indique qu'il n'existe pas de consensus quant à une intervention des forces occidentales en Ukraine. Cependant, en recourant au mot « dynamique » et en refusant d'exclure cette hypothèse, ce texte a été perçu comme une annonce. Produit de manière assez unilatérale et semblant ne pas refléter les discussions qui se sont tenues au cours des heures précédentes, il introduit des éléments d'analyse complexes dont nous mesurons les effets dans la presse.

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