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Intervention de Pierre Moscovici

Séance en hémicycle du mercredi 13 mars 2024 à 14h00
Dépôt du rapport annuel de la cour des comptes

Pierre Moscovici, premier président de la Cour des comptes :

En outre, le thème de l'adaptation est profondément d'actualité. La publication du troisième plan national d'adaptation au changement climatique (Pnacc) est annoncée pour l'été 2024. Sa rédaction s'inscrit dans un contexte renouvelé, avec une trajectoire de réchauffement envisagée qui s'élève à 4 degrés Celsius à la fin du siècle. Si, comme nous le croyons, ce scénario était retenu comme sous-jacent du Pnacc – et ce serait prudent car il vaut toujours mieux partir de prévisions pessimistes et découvrir de bonnes surprises, plutôt que l'inverse, en matière de changement climatique comme de finances publiques –, cela voudrait dire que les politiques requises pour nous adapter seraient considérables, à court, moyen et long termes.

L'adaptation pose de nombreux défis à l'action publique, qu'elle concerne au premier chef. Les horizons d'attente et de réalisation des politiques publiques d'adaptation sont divers. Ce n'est pas la même chose de s'adapter à des conséquences du changement climatique déjà matérialisées ou d'augmenter notre résilience à l'égard d'événements qui risquent d'advenir dans le futur. Les politiques d'adaptation sont aussi spécifiques à chaque territoire. Chaque région, chaque commune, jusqu'à la très petite échelle, devra s'adapter à l'évolution de son environnement. Le récent secrétariat général à la planification écologique joue un rôle de coordination au niveau national, mais l'adaptation affecte plus largement tous les acteurs publics et privés.

Le dernier défi, et pas des moindres, c'est l'absence d'un chiffrage exhaustif et cohérent de ce que les politiques d'adaptation pourraient coûter aux acteurs publics. Les quelques évaluations chiffrées qui existent sont partielles. En juin 2022, l'Institut de l'économie pour le climat (I4CE) a évalué le coût de dix-huit mesures d'adaptation prioritaires – non exhaustives – à 2,3 milliards d'euros additionnels par an pour l'État et les collectivités. De même, dans le rapport remis à la Première ministre en mai 2023, Jean Pisani-Ferry et Selma Mahfouz chiffrent le coût additionnel de l'adaptation à 3 milliards d'euros par an, dont 1 milliard pour les budgets publics en 2030, mais avec beaucoup de prudence méthodologique. Ils soulignent aussi que le coût de l'adaptation devrait augmenter entre 2030 et 2050.

Le chiffrage global de l'adaptation est donc très complexe, voire actuellement impossible. C'est pourquoi nous avons décidé de réfléchir secteur par secteur, les seize chapitres du rapport constituant autant de coups de projecteurs thématiques. Jusqu'à la parution de notre RPA 2024, il n'existait pas de panorama objectif et transversal de l'adaptation au changement climatique en France. En tant que tiers de confiance présent sur tous les territoires, nous avons estimé que la Cour se devait de fournir un tel état des lieux.

Notre rapport public annuel, devenu thématique, comporte toujours un premier chapitre consacré à la situation des finances publiques. Cet exercice a été actualisé afin de couvrir l'année 2023, mais aussi les deux premiers mois de 2024. Si vous le permettez, j'y reviendrai à la fin de mon propos.

Au-delà de ce chapitre budgétaire, le RPA 2024 est donc composé de seize chapitres thématiques, qui abordent chacun l'adaptation à travers un prisme distinct de l'action publique. Je précise d'emblée que nous n'avons pas cherché à couvrir la totalité du très vaste champ de l'adaptation. Nous avons naturellement retenu en priorité les thèmes à forts enjeux financiers pour les acteurs publics. Par leur nombre et la variété des domaines examinés, ces chapitres offrent une image concrète des défis que la France doit et devra relever, mais aussi de la façon dont elle s'y prépare – ou ne s'y prépare pas – jusqu'à présent.

Ces seize chapitres se répartissent en trois catégories. Nous nous sommes d'abord intéressés à l'adaptation des secteurs transversaux, qui irriguent l'ensemble des activités, avec trois chapitres : la recherche publique, les institutions financières et bancaires et l'action de l'Agence française de développement (AFD) dans l'adaptation.

La deuxième partie du rapport porte sur l'adaptation au changement climatique des grandes infrastructures, des équipements, des villes et, plus généralement, de ce qui a été construit par l'homme. Cette catégorie comporte sept chapitres : l'adaptation des logements, celle des villes, celle de la politique immobilière de l'État, celle des centrales nucléaires et des ouvrages hydroélectriques, celle des réseaux de transport et de distribution d'électricité, celle des voies ferrées et, pour finir, le cas spécifique du ministère des armées.

Troisièmement, nous avons mené des enquêtes sur l'adaptation aux effets du changement climatique pour l'environnement naturel dans lequel vivent nos concitoyens, et sur leurs propres personnes. Six enquêtes composent cette troisième partie : l'adaptation de la forêt, la prévention des catastrophes naturelles dans les territoires ultramarins, la gestion du trait de côte, l'adaptation des cultures céréalières, les stations de montagne face au climat – un chapitre que nous avions déjà rendu public – et la protection de la santé des personnes vulnérables face aux vagues de chaleur.

J'aimerais à présent vous livrer les grands enseignements pour les politiques d'adaptation que nous avons dégagés de ce travail, qui fut, disons-le, colossal.

L'ensemble des enquêtes réalisées appréhende les politiques publiques en faveur de l'adaptation à l'aune de trois grandes questions que les Français se posent.

La première question est celle de savoir ce qui les attend concrètement en matière d'adaptation et à quel horizon.

La deuxième question concerne la stratégie à adopter et les acteurs concernés : qui est responsables des décisions sur les efforts à entreprendre pour s'adapter ? Comment les actions d'adaptation sont-elles arbitrées, réparties et coordonnées ?

Enfin, la troisième question porte sur les moyens : comment concevoir et mettre en œuvre des politiques d'adaptation à la fois efficaces et soutenables ? La qualité de la dépense publique est une préoccupation qui irrigue naturellement l'ensemble de nos travaux.

Nous en tirons quatre enseignements – quatre principes d'action pour les politiques d'adaptation.

Il faut d'abord mieux connaître les effets du changement climatique, les risques auxquels nous devons nous adapter et leur ampleur.

Beaucoup ont désormais conscience qu'il y a urgence à s'adapter, mais cette prise de conscience est hétérogène selon les secteurs. Chez certains acteurs, comme les gestionnaires de réseaux, elle remonte aux tempêtes de 1999. Dans d'autres domaines comme le logement, c'est une priorité plus récente, tandis qu'elle n'est pas encore prise en compte dans la gestion de l'immobilier de l'État.

Nous devons aussi améliorer les prévisions et les données dont nous disposons, qui sont souvent lacunaires. Ainsi, seuls deux tiers des 200 000 bâtiments de l'État sont recensés et font l'objet d'un diagnostic. D'importants progrès restent également à faire en matière de projections climatiques, notamment en outre-mer, où elles sont paradoxalement de moindre qualité qu'en métropole, alors que les risques y sont bien plus élevés.

Il faut enfin actualiser les données existantes : cela permettra de mettre à jour les normes internes, par exemple celles de SNCF Réseau. Le changement climatique est en revanche déjà bien intégré dans les référentiels de conception et de sécurité des centrales nucléaires et des ouvrages hydroélectriques.

La nécessité d'informer les citoyens et les décideurs publics sur l'adaptation et ses enjeux constitue un deuxième enseignement.

Il faut d'abord que les citoyens et les décideurs publics soient informés pour éviter de – si j'ose dire – se faire avoir.

Ainsi, dans certains domaines, on continue à confondre atténuation et adaptation ; cette confusion est même parfois volontairement entretenue. Je pense notamment aux sociétés financières et bancaires, publiques comme privées, qui communiquent massivement sur leurs produits financiers verts, sans que l'on puisse mesurer l'impact précis de ces financements, connaître leur destination ou comparer les volumes engagés. Cela peut faire courir un risque d'écoblanchiment – présenter comme verts des produits qui ne sont en réalité pas très écologiques.

Communiquer sur les actions d'adaptation, c'est aussi faire de tous – citoyens et décideurs publics – des acteurs de ces politiques publiques. Le chapitre consacré à l'adaptation des soins aux personnes vulnérables montre l'importance de la communication pour prévenir les conséquences des fortes chaleurs, responsables l'année dernière encore de 5 000 décès. Elle doit passer par la diffusion de messages adaptés sur l'ensemble des supports disponibles – télévision, radio, téléphones portables, réseaux sociaux – avant et pendant les épisodes de vigilance.

Informer les citoyens permet aussi de s'assurer qu'ils adhèrent à ces politiques et de les faire participer aux efforts d'adaptation. Pour ce faire, la communication doit souligner les bénéfices individuels et collectifs de l'adaptation. Ainsi, le dispositif MaPrimeRénov', souvent évoqué, permet de financer l'amélioration du confort des résidents tout en créant de l'emploi.

En somme, le déploiement efficace de mesures d'adaptation au changement climatique doit être précédé d'efforts visant à convaincre de sa nécessité et de ses bienfaits. La part d'incertitude subsistante ne doit pas être paralysante : compte tenu de l'urgence qu'il y a à nous adapter, la puissance publique doit accepter l'imprévu et agir malgré tout.

Le troisième enseignement général de nos travaux, c'est la nécessité de développer une stratégie d'adaptation cohérente et articulée – en un mot, les acteurs publics doivent planifier.

La Cour relève d'abord que les objectifs de l'adaptation doivent être conciliés avec ceux d'autres politiques publiques, qui sont nombreuses ; cette articulation est souvent difficile. C'est le cas dans les territoires touristiques comme les zones de montagne ou les littoraux, où l'on doit concilier les politiques d'adaptation et le souhait des élus et des populations – que l'on peut comprendre – de préserver la pérennité de leur modèle économique.

J'ai entendu les réactions qu'a suscitées notre rapport sur l'avenir des stations de ski et je les comprends tout à fait. Pourtant, il s'agit d'un débat utile : nous n'inventons pas le phénomène que nous décrivons – ce n'est pas un rapport à charge –, c'est au contraire une réalité que personne ne peut ignorer.

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