Je vous ai écoutés avec attention. C'est avec gravité, et non sans une certaine colère rentrée, que je m'adresse à vous. Il y a en effet quelque chose de presque anachronique à tenir ce débat sur un accord de sécurité avec l'Ukraine aujourd'hui, 12 mars 2024. Où étions-nous au début de l'invasion en 2022 ? Où étions-nous au printemps 2014, alors que le régime mafieux de Moscou annexait le Donbass et la Crimée, et que nous tergiversions encore sur le fait de lui céder des bâtiments de guerre de type Mistral ? Où étions-nous pendant l'Euromaïdan, alors que la jeunesse ukrainienne scandait son envie d'Europe ? Où étions-nous pendant toutes ces années, de 2007 à 2012, alors que nous négociions un accord d'association entre l'Union européenne et l'Ukraine ?
Dès cette époque, les menaces de l'autocrate du Kremlin étaient claires : si l'Ukraine persistait à se rapprocher de cet espace de liberté, de paix et de prospérité qu'est l'Union européenne – ce qui était son droit le plus souverain –, la Russie l'en empêcherait, par tous les moyens. C'est pourquoi, dès cette époque, il eût fallu négocier des garanties de sécurité – sous forme d'accords bilatéraux, mais aussi avec l'Union européenne et l'Otan –, parallèlement à l'accord de libre-échange avec l'Ukraine. C'est à ce moment que commence la politique de sanctuarisation agressive dirigée contre le petit frère ukrainien ; et c'est donc là qu'aurait dû débuter la sanctuarisation défensive d'un État qui aspirait librement à un destin européen. La suite, vous la connaissez. Avec mon excellent collègue Charles de la Verpillière, nous l'avons répété avec force à l'hiver 2021-2022 : la stratégie de la baïonnette du dictateur de Moscou ne s'arrêtera que quand on lui opposera une résistance suffisante. Tout le reste est littérature.
Je ne peux donc que me réjouir de la conclusion de cet accord de sécurité. Je veux aussi, plus largement, saluer le fait, que, brique après brique, la France construise une véritable politique de sécurité avec l'Europe centrale et orientale : mission Lynx avec l'Estonie et les pays baltes, mission Aigle avec la Roumanie, accord de coopération en matière de défense signé avec la Moldavie la semaine dernière, renforcement de nos relations avec la République tchèque et la Pologne.
Mais nous ne devons pas nous bercer de mots, d'articles ou d'alinéas. La menace russe est immédiate, brutale et globale : guerre totale et crimes de guerre en Ukraine, ingérences électorales tous azimuts, assassinats d'opposants, attaques cybernétiques, constitution en Afrique d'un réseau d'affidés qui ouvre la voie à un chantage migratoire à grande échelle, dont l'épisode biélorusse n'est qu'un avant-goût. Je tremble en imaginant ce qui attend nos amis géorgiens et baltes si nous ne faisons pas preuve, maintenant, de fermeté.
Malgré les sanctions, l'économie de guerre russe tourne à plein régime et les armées du Kremlin, quoique sévèrement étrillées, sont plus aguerries que jamais. La clé de notre sécurité collective, c'est de développer une industrie de défense capable de soutenir l'effort de guerre en Ukraine et de contraindre Poutine à s'asseoir à la table des négociations ; c'est ensuite opposer à ce dernier une volonté et une force militaire de nature à contenir son révisionnisme et sa haine viscérale des démocraties.
Face à un dictateur impérialiste, à un criminel de guerre, il n'y aura pas d'architecture de sécurité sans résistance, et pas de résistance sans que les démocraties se dotent d'un arsenal ! La constitution de cet arsenal suppose un certain degré d'autonomie stratégique de la part de l'Europe. Nous ne savons pas quel sera le niveau de soutien de l'allié américain dans les années à venir ; et quand Washington donne la priorité à l'envoi de munitions à Israël pour anéantir Gaza, nous en voyons immédiatement les conséquences, qui se comptent en milliers de morts sur le front du Donbass.
Dès lors, nous n'avons d'autre choix que de nous prendre en main et de nous respecter nous-mêmes, ce qui implique de rebâtir une industrie de défense à la hauteur des enjeux, de renforcer nos capacités militaires pour la défense de l'Europe, sans naïveté aucune, et de rendre ainsi plus crédible notre outil diplomatique. C'est la condition de la paix future sur notre continent, de la paix pour nos enfants.
Vous l'aurez compris, c'est donc avec un sentiment doux-amer au regard des occasions manquées de l'histoire, mais sans la moindre hésitation, que je voterai en faveur d'un soutien renforcé à l'Ukraine. Je vous invite à en faire de même, pour la République, pour la paix. Vive l'Ukraine libre !