Comment expliquer que plus d'un tiers des sans-abri de moins de 25 ans sont issus de l'aide sociale à l'enfance (ASE) ? Comment expliquer qu'une majorité des enfants confiés à l'ASE subissent, lors de leur placement, des violences, qu'elles soient commises par d'autres enfants ou par des adultes, ou qu'ils se les infligent à eux-mêmes, parfois jusqu'à se donner la mort, seuls, abandonnés de tous, dans la chambre d'hôtel où la puissance publique les a placés ?
Vous devez être, comme moi, triste et choquée par chacune des histoires qu'on nous raconte à propos de ces enfants. Mais vous avez désormais une grande responsabilité : vous avez, entre les mains, les moyens de l'État pour agir concrètement. Vous devez donc être à la hauteur de la situation.
L'aide sociale à l'enfance est chargée de prendre soin de près de 350 000 jeunes. Or elle échoue ; elle est à bout. Il y a quelques semaines, l'association Les Oubliés de la République a organisé, à l'Assemblée nationale, une rencontre avec des jeunes de l'ASE à laquelle plusieurs députés ont participé. Nous avons échangé avec ces jeunes des témoignages sur nos 18 ans. Et ce qui fait mal, vraiment mal, lorsqu'on les écoute, c'est la très grande inégalité qui existe entre ceux qui bénéficient d'une certaine stabilité et les autres, entre ceux qui sont suivis à leur majorité et ceux qui sont abandonnés.
Car, vous le savez, 70 % des jeunes issus de l'ASE en sortent sans diplôme. Si certains d'entre eux peuvent signer leur premier contrat, le contrat jeune majeur par lequel ils prennent des engagements afin de pouvoir continuer à bénéficier d'un accompagnement, d'autres sortent le jour même de leurs 18 ans sans bénéficier d'aucun accompagnement. Pourtant, la loi du 7 février 2022 relative à la protection des enfants, dite loi Taquet, devait mettre un terme aux sorties sèches.
Ce n'est pas ce qui se passe : selon un rapport du Conseil d'orientation des politiques de jeunesse, un an après sa promulgation, la loi n'est pas efficace. Les ruptures brutales persistent et ont des conséquences matérielles et psychologiques dramatiques. C'est le cas d'Émilie, que rapporte un article paru dans Le Monde du 5 décembre dernier. Exclue du jour au lendemain de l'ASE du Doubs, elle a sombré dans la dépression, a été hospitalisée, puis a enchaîné les petits boulots. Vous savez comment cela s'est terminé : par une tragédie.
On force très tôt, trop tôt, ces jeunes qui ont vécu une enfance instable à devenir autonomes, dès 18 ans, au plus tard à 21 ans – les inégalités entre départements sont très importantes à cet égard –, alors que les jeunes Français quittent le foyer familial à 24 ans en moyenne.
Je souhaiterais donc savoir si, comme le groupe LFI, vous êtes favorable à la recentralisation de l'ASE pour que tous les enfants qui lui sont confiés bénéficient des mêmes chances, quel que soit le département où ils vivent. Par ailleurs, êtes-vous pour l'interdiction effective de tout placement en hôtel ? Allez-vous préciser le décret paru le 17 février dernier, qui laisse persister ce type de placement, afin d'y mettre fin définitivement en créant des places en foyer ? Enfin, êtes-vous favorable à notre proposition de rendre obligatoire la prise en charge, dans le cadre d'un contrat jeune majeur, de tous les enfants issus de l'ASE jusqu'à l'âge de 25 ans révolus ?