. Bien qu'essentielles à l'autonomie stratégique française et européenne, les entreprises de notre base industrielle et technologique de défense (BITD) font toujours face à des difficultés d'accès aux financements privés, et ce malgré le bouleversement géostratégique survenu il y a deux ans avec l'invasion de l'Ukraine par la Russie, comme l'ont démontré plusieurs travaux parlementaires issus de tous bords politiques.
La BITD est pourtant un secteur clé, non seulement de notre modèle d'armée, mais aussi de notre économie : structurée autour d'une douzaine de donneurs d'ordres majeurs, elle regroupe plus de 4 000 PME (petites et moyennes entreprises) et génère plus de 240 000 emplois sur notre territoire. Il est donc vital de soutenir notre BITD : la disparition ou le rachat par un concurrent étranger d'un seul sous-traitant peut entraîner une perte de compétences ou une perte de maîtrise de certains composants essentiels à nos armées. Les Français sont bien conscients de ces enjeux, puisque 75 % d'entre eux s'accordent à dire que la BITD est indispensable à notre indépendance et à notre souveraineté. C'est pourquoi le rapport que j'avais présenté en avril dernier, en prévision des travaux sur la loi de programmation militaire (LPM), préconisait de mobiliser l'épargne des Français, au moyen notamment de la création d'un livret spécifique.
Cette préconisation a été suivie par l'adoption d'amendements à la LPM, avant d'être censurée par le Conseil constitutionnel qui a jugé qu'elle ne relevait pas de la LPM. Avec MM. Thomas Gassilloud et Jean-Louis Thiériot, nous l'avons donc reproposée sous la forme d'un amendement au projet de loi de finances pour 2024, amendement repris dans le texte sur lequel le Gouvernement a engagé sa responsabilité. Mais, une nouvelle fois, le Conseil constitutionnel, sans se prononcer sur le fond, a censuré cette disposition en jugeant qu'elle ne relevait pas du domaine de la loi de finances et en nous invitant à déposer la mesure dans un texte spécifique. C'est chose faite, et je suis heureux de constater que cette mesure défendue par l'Assemblée nationale l'est aussi tant par le Gouvernement que par le Sénat, qui a déposé un texte similaire en l'inscrivant à son ordre du jour le 5 mars prochain.
Le présent texte vise donc à orienter les fonds non centralisés des livrets réglementés vers l'industrie de défense française. Je souhaite, à titre liminaire et afin d'éclairer nos débats, préciser à nouveau certains points.
Tout d'abord, comme son nom l'indique, notre industrie de défense, comme notre doctrine, est défensive. Il n'y a pas besoin d'être sémiologue ou diplômé de l'École normale supérieure pour le comprendre. Il est totalement erroné de dire que l'on financerait par notre proposition l'industrie de l'armement ou l'industrie de la guerre.
Certes, notre BITD comporte des entreprises produisant du matériel militaire, utilisé essentiellement à des fins défensives et avec un agrément gouvernemental, mais il s'agit aussi et surtout d'investir dans les nouveaux champs de la défense, tels que le renseignement, la protection, la cyberdéfense. Ces entreprises touchent également à l'industrie et aux technologies civiles. N'oublions pas que l'internet ou le GPS sont d'abord nés de l'industrie militaire avant de révolutionner nos vies civiles.
Cette proposition de loi ne saurait en aucun cas permettre le financement d'activités militaires illégales. La production et l'exportation de matériel militaire sont interdites par principe en France et ne sont autorisées que par exception, au cas par cas, avec un agrément empêchant toute production d'armes prohibées par les conventions internationales ratifiées par la France. Quant à l'exportation, elle n'est possible qu'après un haut niveau de contrôle par la commission interministérielle pour l'exportation des matériels de guerre (CIEEMG), s'assurant que la situation intérieure du destinataire final garantit le respect des droits de l'Homme, la sécurité de la région, et prévienne le risque de détournement.
La défense est une des conditions premières de la durabilité de nos sociétés démocratiques. On le voit partout dans le monde : les régimes autoritaires reprennent de la vigueur et n'hésitent plus à agir dans le mépris du droit international. Si notre sécurité n'est pas garantie par une politique de défense soutenue par une BITD souveraine, si nous ne dissuadons pas nos adversaires de nous attaquer, il ne pourra y avoir ni développement durable, ni même de politique de logement social.
Sur ce dernier point, je tiens à rassurer ceux qui s'inquiètent de ce que cette proposition de loi détournerait les fonds du livret A et du LDDS, le livret de développement durable et solidaire. Elle ne touche absolument pas au logement social. Le logement social est en effet financé par la Caisse des dépôts et consignations au moyen des fonds centralisés et isolés, lesquels représentent 60 % des 564 milliards d'euros d'encours des livrets. Cette proposition de loi ne concerne que les fonds non centralisés, soit les 40 % qui restent à la main des banques.
Dans ces fonds non centralisés, cette proposition ne touche pas non plus à la transition écologique ou à l'économie sociale et solidaire (ESS). Les fonds non centralisés sont déjà fléchés : 10 % sont dédiés à la transition écologique, 5 % à l'économie sociale et solidaire (ESS) et 5 % sont laissés à la pleine et entière disposition des banques. La proposition concerne donc les 80 % restant, qui sont fléchés vers les PME et dont le choix est laissé à la discrétion des banques : elles peuvent ainsi financer des PME étrangères et de n'importe quel secteur – y compris la malbouffe et les activités polluantes.
L'objectif de cette proposition de loi est de garantir qu'une partie de cet argent bénéficie aux PME de l'industrie française de défense. C'est la raison pour laquelle je donnerai un avis favorable aux amendements qui iront dans ce sens, en ciblant la taille des entreprises ou leur situation géographique.
L'encours du livret A et celui du LDDS ont par ailleurs considérablement augmenté ces quinze dernières années. Ils ont gagné, rien qu'en 2023, 55 milliards d'euros. Nous n'enlèverons rien à ce qui est déjà utilisé, mais orienterons les surplus de collecte.
Enfin, cette proposition de loi aura pour effet d'envoyer un message fort aux investisseurs : oui, la France soutient son industrie de souveraineté. Nous ne laisserons pas tomber les établissements qui font face à des pressions extérieures visant à nous déstabiliser. L'Europe et le modèle démocratique sont à la croisée des chemins. Il est nécessaire d'assurer notre défense et cela passe par des mesures tant financières que symboliques.