Depuis le début du débat budgétaire, nous avons beaucoup parlé des collectivités territoriales, en particulier des départements et des communes. Certes, nombre d'entre nous ont été élus locaux. Mais si nous défendons aussi ardemment ces collectivités, ce n'est pas dans une logique corporatiste ; c'est parce que nous savons que, pour beaucoup, elles sont le premier maillon de la République. Crèches, écoles, sport, médiathèques, centres de loisirs, portage des repas… : autant de services publics de proximité auxquels accèdent quotidiennement tous nos concitoyens.
Pourtant, nombre de nos collectivités sont exsangues. Non pas parce qu'elles sont mal gérées, comme vous le laissez penser en défendant une logique de contractualisation, mais bien parce que, depuis près de dix ans, elles sont malmenées, d'une crise à l'autre.
Aujourd'hui, la situation est critique.
Après avoir surmonté la baisse drastique de 11,2 milliards d'euros de la dotation globale de fonctionnement entre 2013 et 2017, après avoir réussi à se réorganiser à la suite de la suppression de la taxe d'habitation, après avoir tenu leur rang durant la crise du covid-19 alors que leurs recettes s'effondraient, beaucoup ne passeront pas cette nouvelle épreuve.
L'inflation, en particulier l'explosion des coûts de l'énergie, et l'augmentation du point d'indice des agents publics – ô combien méritée, mais si mal compensée – font peser sur leurs budgets des surcoûts gigantesques, chiffrés au total à 5 milliards d'euros. Les élus de tous bords, de communes pauvres ou un peu moins pauvres, sonnent l'alarme.
Mais vous semblez rester sourds à ces alertes, vous murant derrière des arguties techniques, des chiffres globaux pas si catastrophiques – comme pour la baisse de l'épargne – et quelques coups de pouce, à l'instar du filet de sécurité de 320 millions d'euros, qui représente à peine 1,25 % de la DGF.
Or, les collectivités sont diverses et les réalités ne peuvent apparaître dans des moyennes. Prenons l'exemple des vigies du quotidien que sont les communes. Leur rôle est central dans la mise en œuvre des services publics du quotidien cités précédemment. Pourtant, certaines ne peuvent faire face.
Parce qu'il faut être concret, je citerai un exemple. Une commune de 26 000 habitants qui consacrait, en 2021, 850 000 euros à ses dépenses en fluides et énergies, a vu ces dernières s'élever à 1,3 million d'euros en 2022 ; elles devraient exploser en 2023 et atteindre 1,6 million d'euros. Dans le même temps, les achats de denrées alimentaires sont passés de 600 000 à 700 000 euros et ses dépenses de personnel croîtraient, uniquement du fait de la petite revalorisation du point d'indice, de 800 000 euros. Au total, il faudrait, pour compenser ces hausses, augmenter la taxe foncière de 15 à 20 points. C'est impossible dans les villes populaires, où nos concitoyens subissent, eux aussi, l'inflation.
C'est encore plus inaccessible dans les outre-mer, qui sont déjà particulièrement affectés, structurellement, du fait de l'éloignement de l'Hexagone, de l'explosion des coûts du fret, de la vie chère.
Pourtant, il faut bien continuer à nourrir nos marmailles à la cantine ! Aussi l'association des maires de La Réunion réclame-t-elle un bouclier qualité-prix pour les collectivités, sur le modèle de celui dont bénéficient les particuliers dans le territoire. Sa demande est restée sans réponse jusqu'à présent. On se lance alors dans un concours Lépine des petites économies : baisse du niveau d'eau des piscines de 2 centimètres ; fermeture de la médiathèque 15 minutes plus tôt ; baisse de la température, de 19 degrés à 17 degrés, dans les locaux municipaux, et même dans les écoles ; suppression de l'une des deux classes vertes…
Et je ne parle pas des investissements, eux aussi annulés puisque les capacités d'autofinancement ont plongé. Investissements qui faisaient bosser les boîtes du coin et qui représentent 75 % de l'investissement public. Et ce n'est pas le fonds vert, doté de 1,9 milliard d'euros et composé pour moitié de fonds déjà existants, ou la DSIL, bloquée à 577 millions d'euros, qui y changeront quelque chose.
Loin d'avoir pris conscience de l'importance des collectivités en ces temps troublés et des difficultés auxquelles elles font face, vous enfoncez le clou. Le projet de loi de programmation des finances publiques, que nous avons heureusement repoussé, prévoyait de leur ponctionner encore 10 milliards d'euros au cours des années 2023-2025. Et, à l'article 5 du projet de loi de finances, c'est la CVAE, dernier impôt économique local, qui abonde les budgets des départements et du bloc communal, que vous voulez supprimer.
Il faut, dès à présent, cesser la casse et stopper ces réformes nocives. Mesurez le risque encouru et prenez les dispositions nécessaires pour protéger les collectivités. L'indexation de la DGF et les mesures de péréquation en font partie. Ouvrez en grand le chantier des collectivités locales pour leur redonner les marges de manœuvre dont elles ont besoin et que leur offre une fiscalité propre, comme c'était le cas avant la suppression de la taxe professionnelle.
Protégeons nos collectivités, redonnons-leur une véritable autonomie pour leur permettre de relever les grands défis qui sont devant nous. Le temps presse !