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Intervention de Julien Marion

Réunion du jeudi 15 février 2024 à 9h00
Mission d'information de la conférence des présidents sur les capacités d'anticipation et d'adaptation de notre modèle de protection et de sécurité civiles

Julien Marion, directeur général de la sécurité civile et de la gestion des crises :

J'aimerais faire quelques rappels historiques en introduction de mon propos, dont la réponse à votre question, monsieur le rapporteur, sera la conclusion logique. Pour comprendre les évolutions à apporter à notre modèle de sécurité civile, il est bon d'en connaître les fondements, les racines historiques, ce que j'appelle son ADN. Pour deviner où l'on va, mieux vaut savoir d'où l'on vient.

La sécurité civile est à la fois très bien identifiée par nos concitoyens – tout le monde connaît et aime les pompiers – et fort mal connue. Cela m'a frappé, tant dans l'exercice de mes responsabilités actuelles que dans mes fonctions précédentes au sein de cette belle direction. Si nous demandions par sondage à nos concitoyens quelles en sont les composantes, leurs réponses nous surprendraient sans doute. Une telle méconnaissance implique pour vous, parlementaires, et pour nous, acteurs de la sécurité civile, un devoir de pédagogie. À cet égard, cette mission d'information me semble bienvenue. C'est aussi pour cela que j'aimerais rappeler les fondements historiques de la sécurité civile en France, ce qui en constitue en quelque sorte le code génétique.

Historiquement, tout part de la lutte contre l'incendie. Très tôt, la civilisation a été confrontée à des incendies – sous la Rome de Néron ou à Rennes en 1720, par exemple. Chaque incendie majeur a rendu sensible la nécessité de s'organiser contre le risque du feu. Les premières démarches en ce sens vinrent de la population : confrontée à un risque immédiat, elle s'est organisée elle-même, indépendamment de toute directive venant d'en haut. Si Charlemagne prenait, dès 803, une ordonnance pour structurer la veille de nuit, ce n'est que beaucoup plus tard que les citoyens s'organisèrent véritablement pour assurer ce service. En tout cas, il s'agit toujours d'une chaîne de réponses partant du plus près du terrain.

On peut faire remonter aux XVIIe et XVIIIe siècles les premières démarches de structuration par la puissance centrale d'un embryon de service de sécurité civile, et ce autour d'un outil dont la découverte constitua un tournant : la pompe à incendie. Dès 1716 naissent les gardes pompes, organisés en compagnies en 1722. Au-delà de l'organisation, certains principes sont posés dès le début XVIIIe siècle, et ne seront jamais remis en cause. Je pense en particulier au principe de la gratuité des secours.

La Révolution française confirme cette dynamique. La Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 avance d'ailleurs plusieurs principes qui valent toujours : la solidarité de la nation à l'égard des victimes d'accidents, de sinistres et de calamités ; la prise en charge des dépenses qu'occasionne l'organisation des secours par la collectivité, garante de leur gratuité.

La compagnie des sapeurs du génie de la garde impériale, qui deviendra la brigade des sapeurs-pompiers de Paris (BSPP), voit le jour en 1811, suivie une quinzaine d'années plus tard par les corps communaux de sapeurs-pompiers. On voit alors apparaître une dichotomie, ou plutôt une complémentarité, entre pompiers professionnels et volontaires, qui structure encore notre dispositif. Fait notable, seul le corps des sapeurs-pompiers volontaires survivra à la dissolution de la garde nationale dont il était issu, surmontant le soubresaut historique de 1871.

La suite découle assez logiquement des prémisses ainsi posées. Le XXe siècle est celui des guerres mondiales. L'État se dote d'une structure centralisée, dont l'organisation et la dénomination évolueront, mais qui reste chargée de la protection civile. Initialement rattachée au ministère de la guerre, elle rejoint rapidement le ministère de l'intérieur. La création de cette structure répond d'abord à la nécessité de protéger les populations contre les bombardements. C'est l'époque de la défense passive et de l'aménagement d'un réseau d'abris. Le XXe siècle voit ainsi la protection civile déborder de son cœur historique, la lutte contre l'incendie, pour assurer diverses missions de secours à personne et s'orienter vers la prévention.

Au début des années 1950 est créé un service national de la protection civile. Dans ces mêmes années, l'administration prend plusieurs initiatives et élabore notamment les plans d'organisation de la réponse de sécurité civile (Orsec). De cette période datent aussi les premières associations agréées de sécurité civile, qui restent des acteurs majeurs. Les événements dictent souvent l'organisation. En 1959, la tragédie du barrage de Malpasset conduit le général de Gaulle à créer les colonnes de renfort, un dispositif entré depuis dans les usages et toujours très utile. En 1964 naît le corps des démineurs, suivi, en 1974, par les premières formations militaires de sécurité civile (Formisc), ces formations répondant à des besoins spécifiques bien identifiés. Parallèlement à ce foisonnement d'initiatives étatiques, l'organisation et la dénomination de notre direction évoluent : de direction de la sécurité civile, elle devient direction de la défense et de la sécurité civile avant la création, en 2011, de la direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises (DGSCGC). La lente structuration des initiatives citoyennes depuis l'échelon local atteint quant à elle ses limites, ce dont prend acte la loi du 3 mai 1996 relative aux services d'incendie et de secours, qui en organise la départementalisation.

Vous me pardonnerez ces rappels un peu longs, mais les services dont nous sommes dépositaires ont des racines très profondes dans notre histoire ; elles manifestent une remarquable capacité à s'adapter en élargissant sans cesse leur sphère d'intervention. Il faut prendre la mesure de l'originalité de la sécurité civile par rapport à d'autres services de l'État : née d'initiatives citoyennes, issue des territoires, elle a un ADN particulier. Cette sorte de code génétique explique que les services départementaux d'incendie et de secours (SDIS) fassent l'objet d'une gouvernance partagée entre l'État et les collectivités locales. L'arrière-plan historique doit nous faire comprendre qu'il ne s'agit pas d'un compromis de circonstances passé en 1996, mais de l'aboutissement logique d'une évolution de longue durée. L'ADN citoyen explique quant à lui qu'à côté des professionnels, employés par les collectivités territoriales ou par l'État – je parle des Formisc, des services de déminage ou des moyens aériens –, notre système repose avant tout sur des volontaires et des bénévoles. Nous devons préserver ce code génétique de la sécurité civile française, le faire évoluer, certes, mais en conservant cette caractéristique forte. Elle fonde sa singularité, manifeste dès qu'on regarde la façon dont s'organisent ces services dans les pays voisins du nôtre. Cette originalité assure sa capacité à s'adapter en permanence, sa souplesse, son agilité.

Dans l'orbite d'un ministère, qu'imprègne un principe hiérarchique, pyramidal, et presque napoléonien, qui fait aussi sa force, la DGSCGC occupe une place à part. Ceux qui agissent sur le terrain ne sont pas statutairement ses employés. Le ministère de l'intérieur emploie les policiers et les gendarmes dont il dirige l'action ; il n'emploie pas les sapeurs-pompiers. Cela crée une tension, salutaire, qu'il faut assumer, si peu naturelle soit-elle dans l'écosystème du ministère de l'intérieur. C'est une richesse et je constate que tout cela fonctionne.

Je vous épargne une présentation de l'organisation interne de la DGSCGC pour répondre plus directement à la question de monsieur le rapporteur : quelles décisions ont été prises récemment pour permettre à notre direction de relever les défis qui l'attendent ? La loi du 24 janvier 2023 d'orientation et de programmation du ministère de l'intérieur (Lopmi) définit trois priorités. Elle reprend plusieurs mesures annoncées par le Président de la République en octobre 2022, après une saison de feux de forêt particulièrement intenses.

Le premier volet consiste à adapter les moyens opérationnels à l'évolution, très dynamique, des risques. Nos moyens aériens sont renouvelés : les hélicoptères actuels, les fameux dragons (Eurocoptère EC145), seront remplacés par les hélicoptères H145 produits par Airbus. La flotte passera de trente-six à quarante machines. Le contrat ayant été signé fin 2023, les premières livraisons interviendront dès la fin de l'année en cours ; nous aurons une flotte d'hélicoptères entièrement renouvelée pour 2028. Indépendamment de la Lopmi, nous avons également engagé le renouvellement de nos avions, en faisant l'acquisition de huit appareils Dash 8-Q400 MR, dont le dernier a été livré en juin 2023. Quatre Canadairs supplémentaires, financés par la Commission européenne, devraient s'y ajouter entre 2027 et 2028. Nous renforçons également les capacités des Formisc. Trois de ces régiments de l'armée de terre sont déjà à la disposition du ministère de l'intérieur, et nous allons en créer un quatrième. Installée à Libourne, cette unité commencera à monter en puissance à partir de cet été pour atteindre son effectif nominal en 2027. Cela portera le nombre d'agents des Formisc à plus 2 000, contre 1 400 à ce jour. Nous augmentons aussi nos moyens de faire face aux risques NRBC et aux menaces terroristes. Les Jeux olympiques et paralympiques nous servent à cet égard de catalyseur. Voilà pour les moyens nationaux.

Les pactes capacitaires liant l'État, les collectivités territoriales et les SDIS organisent le cofinancement et l'acquisition de matériels lourds, comme les 1 096 camions de lutte contre les feux de forêts acquis fin 2023. Ces matériels ne sont d'ailleurs pas exclusivement destinés aux départements du Sud.

Deuxième axe : la modernisation de nos systèmes d'information, pour anticiper les changements liés au développement des nouvelles technologies. J'enfonce une porte ouverte : la gestion de crise passe par celle des données. Il nous faut donc rendre possible un bond qualitatif dans ce domaine. Tel est l'objet du projet NexSIS 18-112, qui prendra son envol en 2024 et permettra d'équiper les services d'incendie et de secours et les services de l'État partenaires, à savoir l'État-major interministériel de zone (EMIZ) et le centre opérationnel de gestion interministériel de crises (COGIC), du même outil de gestion opérationnel. Cela permettra d'être bien plus efficace dans l'analyse et le pilotage des crises. Nous déployons également de nouveaux vecteurs d'alerte des populations : je pense en particulier au dispositif FR-Alert, qui fait l'objet d'un exercice commencé aujourd'hui et qui se poursuivra demain, sous le contrôle de la préfecture. Ce dispositif fonctionne ; nous l'avons vérifié à l'occasion d'une crise réelle, quand la tempête Ciarán a frappé le Finistère, les Côtes-d'Armor et la Manche. Les préfets des trois départements ont pu coordonner à temps la diffusion de messages d'alerte. Même si, par définition, les vies sauvées ne se voient pas, cela a permis à des dizaines de personnes d'avoir la vie sauve. Notre ambition est donc d'achever le déploiement de FR-Alert et notamment de l'étendre aux territoires ultramarins.

Il s'agit, troisièmement, de renforcer la position centrale du ministère de l'intérieur et des outre-mer dans la gestion des crises. Cet objectif procède d'un constat simple, que nous pouvons tous partager : presque toutes les crises ont une dimension interministérielle. Il revient donc au ministère de l'intérieur d'assurer la coordination entre les ministères concernés. Pour lui permettre d'assumer cette responsabilité, la Lopmi prévoit la création d'une structure permanente. Une préfète chargée de mission auprès de ma direction conduit la réflexion en cours sur les arbitrages à opérer. Nous envisageons d'activer cette nouvelle structure d'ici à la fin de 2024, une fois les Jeux olympiques terminés. La gestion de la donnée sera d'ailleurs une des tâches centrales de cette future structure.

À quels risques majeurs devons-nous nous préparer ? Premièrement, nous sommes confrontés aux conséquences du dérèglement climatique, qui sont déjà une réalité. Nous devons collectivement nous habituer à voir l'exception devenir la norme. Les indicateurs météorologiques que nous utilisons pour préparer la saison des feux de 2024 n'ont rien à envier à ceux de 2022. C'était déjà le cas l'année dernière, mais les épisodes de pluie survenus fin mai et début juin dans le Sud-Est ont heureusement permis d'échapper à une nouvelle catastrophe. Sans pluies significatives, notamment dans le pourtour méditerranéen, nous pourrons nourrir des craintes sérieuses. Les saisons des feux seront de plus en plus longues et concerneront un territoire de plus en plus large. En 2022, plus de la moitié des départs de feu sont survenus au nord de la Loire, et nous avons été confrontés à des situations graves dans des départements que l'on pensait à l'abri, en particulier le Finistère, les Vosges et le Maine-et-Loire. Nous devons nous adapter. Des décisions ont déjà été prises afin de rehausser nos moyens, et nous devons poursuivre les efforts engagés.

Le dérèglement climatique entraîne également des inondations. Nous avons tous en tête celles qui ont touché le Pas-de-Calais en novembre et en janvier. Je me suis rendu sur place à plusieurs reprises avec le Président de la République et le ministre de l'intérieur et des outre-mer pour constater l'étendue de la crise. En novembre, nous assurions aux populations que l'État ne les abandonnait pas dans cette terrible situation. De fait, nous avons déployé des moyens considérables. Nous ajoutions qu'il s'agissait d'un épisode hors norme, que de telles inondations étaient décennales, voire centennales. Deux mois après, nous y retournions dans les mêmes conditions. Pour illustrer mon propos, j'ajoute que les moyens cumulés que la sécurité civile a déployés dans le Pas-de-Calais à l'occasion de ces deux épisodes d'inondations massives, notamment pour assurer le pompage, sont équivalents à ceux requis lors d'une saison de feux de forêts de moyenne intensité.

Je pourrais également évoquer le risque d'origine naturelle dans les territoires ultramarins. Nous nous sommes rendus il y a peu à La Réunion, après le passage du cyclone Belal, qui a heureusement dévié sa trajectoire, évitant d'atteindre l'île elle-même. À Mayotte, nous gérons une crise de l'eau qui est la conséquence directe du bouleversement climatique. Je suis fier de le souligner, la sécurité civile a élaboré une logistique de distribution d'eau potable dans toute l'île, qui fonctionne depuis le mois de novembre, parce que les réserves n'étaient plus suffisantes.

Un indicateur permet de mesurer objectivement la réalité du changement climatique : la projection des moyens de la sécurité civile hors des frontières hexagonales, donc en outre-mer et à l'étranger. Entre 2015 et 2020, nous avons engagé sept à huit détachements par an en moyenne, représentant environ 3 000 hommes-jour. En 2021 et 2022, nous avons engagé dix-huit détachements, soit environ 10 000 hommes-jour. En 2023, vingt détachements l'ont été, représentant au total l'équivalent de 46 000 hommes-jour. Je précise que l'unité hommes-jour inclut tous les moyens déployés – sapeurs-pompiers civils et formations militaires.

L'accélération des crises d'origine climatique constitue le premier risque auquel nous sommes confrontés, mais ce n'est pas le seul. J'appelle votre attention sur le secours à personne, qui représente entre 80 et 85 % de l'activité des sapeurs-pompiers – seules 5 à 7 % de leurs interventions concernent la lutte contre l'incendie. Il s'agit d'une tendance profonde depuis plusieurs années. En effet, des défis s'imposent au monde médical et la sécurité civile est confrontée aux conséquences, car les pompiers, et de plus en plus les bénévoles des associations agréées, accomplissent des missions de soutien au monde de la santé. Cela amène d'ailleurs à s'interroger sur ce qu'on attend de la sécurité civile. La crise liée au covid-19 était exceptionnelle, mais je vous parle ici de la réalité quotidienne des services d'incendie et de secours. Je ne porte pas de jugement, je me borne à constater la situation. Les acteurs concernés, respectueux de leurs valeurs, assument leurs missions sans se dérober. Toutefois, le système est sous tension : il devient nécessaire d'encadrer davantage les rôles des différents acteurs, notamment ceux de la sécurité civile, dans les secours pré-hospitaliers. Des difficultés existent déjà pour répondre aux besoins ; il faut accompagner leur amplification.

Cette évolution est moins spectaculaire que les crises climatiques, mais il est tout aussi essentiel de s'en préoccuper. Tous nos concitoyens perçoivent ce risque. Tout le monde, je l'espère, ne sera pas confronté à une crise climatique ; en revanche, tout le monde peut être victime d'une chute ou d'un malaise cardiaque. Il s'agit d'un chantier majeur pour l'avenir de la sécurité civile. Au niveau central, nous dialoguons avec nos partenaires du ministère du travail, de la santé et de la solidarité.

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