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Intervention de Kévin Pfeffer

Réunion du mercredi 28 février 2024 à 11h00
Commission des affaires étrangères

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaKévin Pfeffer, rapporteur :

Mes chers collègues, même si le titre du projet de loi annonce la « création » d'une compagnie de gendarmerie fluviale franco-allemande, destinée à la surveillance de la navigation sur le Rhin, celle-ci existe déjà en pratique depuis 2011. L'accord qui nous est soumis vise donc plutôt à la pérenniser. L'existence de cette unité n'est en effet actuellement prévue que par un simple arrangement administratif. Il s'agit désormais de lui donner un fondement juridique solide et stable grâce à un accord intergouvernemental en bonne et due forme.

L'Allemagne et la France s'efforcent de longue date de renforcer leur coopération sur leur frontière rhénane, longue de 164 kilomètres. L'accord de Mondorf-les-Bains, conclu en 1997, a ainsi constitué une étape importante vers une forme d'intégration de leur coopération transfrontalière en matière policière et douanière, laquelle ne relevait auparavant que d'accords bilatéraux à la portée limitée et de textes locaux lacunaires et peu contraignants ; cet accord a notamment permis la mise en place de patrouilles mixtes et de centres de commandement communs.

Puis, par l'accord de Vittel conclu en 2000, les deux États ont prévu la possibilité, pour leurs autorités de police fluviale respectives, d'intervenir sur toute la largeur du secteur franco-allemand du Rhin et d'y exercer l'ensemble des missions de police de la navigation et de police judiciaire.

En 2007, la gendarmerie de la région d'Alsace et la police du Land de Bade-Wurtemberg ont formulé des propositions tendant à développer des formes de coopération encore plus intégrées sur le Rhin, pouvant aller jusqu'à une mutualisation de leurs unités fluviales. S'inspirant de ces propositions, l'agenda franco-allemand 2020, adopté en 2010, a fixé pour objectif à la France et à l'Allemagne d'approfondir et de systématiser leur coopération policière en zone frontalière, y compris par la création d'une unité fluviale commune.

Cet objectif a été atteint par la conclusion, le 19 avril 2011, d'un arrangement administratif entre le commandant de la région de gendarmerie d'Alsace et le ministre de l'intérieur du Land de Bade-Wurtemberg. Cet accord interservices a permis la mise en place d'une compagnie fluviale commune, chargée de la police de la navigation et de la sécurité publique tant sur le Rhin lui-même que dans les espaces attenants, tels que les affluents, les lacs et les ports, et bénéficiant de moyens humains et matériels mutualisés, dont trois vedettes.

En douze ans d'existence, cette compagnie a fait la preuve de son efficacité. Ses principales missions concernent la surveillance et le contrôle de la navigation fluviale, la réalisation de patrouilles communes terrestres, la poursuite des infractions, la constatation des accidents, la réalisation de recherches subaquatiques et, plus ponctuellement, certaines missions de police fluviale à l'occasion d'événements particuliers. La compagnie est constituée de deux contingents nationaux, chacun placé sous l'autorité d'un chef de détachement. Les décisions sont prises d'un commun accord. L'allemand et le français constituent les deux langues de travail.

La coopération entre les deux détachements est jugée excellente par les deux parties, tant au niveau du commandement que sur le terrain. La compagne fluviale franco-allemande s'est vue confier des missions variées dont on pourrait donner de multiples exemples. Des patrouilles communes permettent ainsi de contrôler les ressortissants français qui traversent le Rhin pour profiter d'une réglementation allemande plus souple en matière de revente de déchets, en particulier de métaux. Les contrôles effectués par l'unité permettent aussi de révéler des infractions au droit de l'environnement et des fraudes à la sécurité sociale. Par ailleurs, les contrôles effectués à la fin de chaque année donnent lieu à la saisie de quantités importantes de feux d'artifice importés illégalement d'Allemagne. La compagnie est également sollicitée lors de visites officielles au Parlement européen de Strasbourg en vue de surveiller et de sécuriser les abords de l'édifice, construit, comme vous le savez, au bord d'un canal et d'un plan d'eau.

La compagnie est, d'autre part, intervenue sur des affaires assez dramatiques. Elle a ainsi réalisé, en septembre 2023, des investigations subaquatiques dans le cadre de l'affaire de la disparition de la jeune Lina.

Les chiffres sont parlants : en 2023, le nombre de patrouilles communes s'est élevé à 672, contre 632 en 2022. Le détachement français a constaté 1 124 infractions (contre 829 en 2018), dont 48 délits et 93 contraventions de 5e catégorie. L'expérimentation conduite ainsi sur plus d'une décennie a démontré la pertinence du modèle de cette compagnie fluviale franco-allemande. C'est pourquoi il est désormais temps d'inscrire son existence dans un véritable accord international.

En effet, comme je l'ai dit, son existence ne repose aujourd'hui que sur un arrangement purement administratif, conclu entre deux services. Un accord intergouvernemental apportera une stabilité et une sécurité juridique accrues. Les actes accomplis par les agents de la compagnie s'en trouveront ainsi sécurisés, qu'il s'agisse par exemple de leur présence respective sur le territoire de l'autre État, de la conduite de véhicules ou de l'usage de leurs armes sur ce même territoire.

Par rapport à l'arrangement administratif de 2011, l'accord du 6 juillet 2022 souligne plus fortement le caractère paritaire du fonctionnement de la compagnie et en décrit avec davantage de précision les missions. Le périmètre géographique de ses interventions est à la fois légèrement élargi, du fait de l'inclusion de certains plans d'eau ou de zones terrestres, et décrit plus en détail grâce à une annexe jointe à l'accord. Des précisions sont apportées quant aux compétences des agents intervenant sur le territoire de l'autre État. Enfin des clarifications sont apportées, s'agissant de la répartition de la prise en charge des coûts entre les parties et des modalités de réparation des dommages susceptibles d'être causés aux tiers.

Les articles de l'accord ont été soigneusement négociés, non pas que des difficultés particulières se soient élevées lors des échanges mais en raison de la complexité juridique d'un certain nombre de points et du caractère inédit de cet accord en Europe. Ainsi, après réflexion, il n'a pas été jugé nécessaire de donner à la compagnie une personnalité juridique propre. Il n'a pas non plus été jugé pertinent de créer un fichier opérationnel commun contenant des données à caractère personnel ; les agents de chaque partie conservent l'accès à leurs propres systèmes de traitement automatisé de données à caractère personnel, conformément à leur législation nationale. Vous noterez que l'accord a été conclu non pas avec la République fédérale mais avec le gouvernement d'un Land, comme cela est permis par la Loi fondamentale de 1949 pour ce qui relève des compétences des Länder. Du côté français, par ailleurs, la conclusion d'accords internationaux avec les entités fédérées d'États étrangers est permise dès lors que celles-ci sont habilitées par leur droit interne à conclure de tels accords.

Enfin, de manière remarquable, ce projet a été imaginé et lancé par les acteurs de terrain eux-mêmes, ce qui explique sans doute son succès. C'est à partir de leurs retours d'expérience, s'étalant sur plus de dix années, que cet accord a pu être validé et adapté.

Compte tenu de tous ces éléments, l'approbation de cet accord me paraît particulièrement bienvenue. C'est un nouvel exemple de la coopération entre nos deux pays en matière de sécurité à nos frontières, dont je suis régulièrement témoin dans ma propre circonscription, frontalière avec le Land de Sarre. Ici, cette coopération intervient sur la voie exceptionnelle d'échanges que constitue le Rhin, par lequel transitent chaque année non seulement des millions de tonnes de marchandises exportées ou importées mais également des milliers de bateaux privés ou de plaisance, sans compter les trois bacs transfrontaliers franco-allemands gérés par la collectivité européenne d'Alsace. C'est dire tout l'enjeu pour les États riverains d'assurer une surveillance et un contrôle adéquats du fleuve et de ses abords, en vue de garantir la liberté et la sécurité de ce transit.

Voilà pourquoi je vous invite à adopter le projet de loi qui autorise cet accord.

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