Intervention de Philippe Juvin

Séance en hémicycle du jeudi 29 février 2024 à 21h30
Lutte contre les pénuries de médicaments — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPhilippe Juvin :

Les pénuries de médicaments sont la conséquence d'une série de phénomènes cumulatifs, qui renvoient à des problèmes de production, de prix, de bureaucratie et de paupérisation.

Il y a vingt ans, la France était le premier producteur de médicaments en Europe ; aujourd'hui, nous sommes sixièmes. On nous promet de créer des usines en France ; le 13 juin 2023, le Président de la République a parlé de relocaliser en France la production de cinquante médicaments essentiels. Non seulement nous n'y sommes pas encore mais, surtout, demandons-nous si ce sont les bons médicaments qu'on fabrique en France. Est-il normal de choisir d'y produire de vieux médicaments plutôt que des médicaments innovants ?

Le deuxième problème c'est le prix, dont la limitation engendre la pénurie. En ce sens, le PLFSS menace l'accès aux médicaments en faisant de ceux-ci la variable d'ajustement du budget. Avec des prix de vente faibles et une fiscalité élevée, on est certain de créer un manque. Il faut donner aux producteurs une visibilité sur plusieurs années et leur garantir des commandes ; sans cela, les pénuries sont assurées.

La bureaucratie est le troisième sujet. En France, les délais d'accès au marché des médicaments sont très longs : 500 jours, à comparer aux 120 jours observés en Allemagne. C'est un des problèmes que nous devons résoudre si nous voulons juguler la pénurie.

Enfin, la paupérisation empêche la France d'avoir accès à certains nouveaux médicaments. Un chiffre fait froid dans le dos : en 2018, 92 % des anticancéreux autorisés en Europe étaient disponibles en France ; l'année dernière, seulement 53 % d'entre eux l'étaient. C'est une difficulté majeure qui ne fera que s'amplifier avec l'arrivée de nouveaux médicaments innovants, qui coûtent très cher. Prenez l'exemple du traitement de l'hémophilie sévère, qui touche 2 000 malades en France : une seule injection, pour un seul patient, coûte 2 millions d'euros. Si nous ne réfléchissons pas aux modes de financement, la pénurie de ces médicaments de pointe perdurera.

L'une des réponses aux pénuries de médicaments consiste à imposer aux industriels des stocks de sécurité. Mme Rist a raison de souligner que l'augmentation des stocks n'est pas un remède miracle, mais c'est une solution partielle et je remercie la rapporteure d'avoir inscrit cette proposition de loi à l'ordre du jour, d'autant plus que cette question ne fait pas partie de la stratégie gouvernementale de lutte contre la pénurie, présentée opportunément la semaine dernière.

Le travail de coconstruction que nous avons entamé en commission va dans le bon sens. Ainsi, augmenter les pouvoirs d'investigation de l'ANSM est une bonne chose car le contrôle est essentiel. Dans ce domaine, il n'y a pas de quoi être fiers : nous souffrons tous des pénuries de médicaments, la question est sans cesse soulevée, mais, comme l'a souligné notre collègue du groupe Socialistes, l'ANSM n'a pris que huit décisions de sanctions financières entre 2018 et 2022 – huit décisions dans un océan de pénuries qui inondent le monde de la santé !

Par ailleurs, nous ne sommes pas allés assez loin dans le ciblage des médicaments essentiels à la souveraineté de la France. Avec 6 000 items, la catégorie des MITM est trop vaste : quand on a 6 000 priorités, on n'en a aucune ! Il faut imaginer des listes plus courtes. En juin 2023, le Gouvernement a promis de publier une liste de 500 médicaments indispensables, mais la qualité de cette liste, qui a été très critiquée par les professionnels, laisse à désirer : y figurait par exemple le Previscan, un anticoagulant qu'on prescrivait du temps où je faisais les études de médecine, c'est-à-dire il y a très longtemps, et qu'on ne délivre désormais plus qu'en renouvellement.

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