La pénurie de médicaments empoisonne la vie des Français et les inquiète, surtout les plus fragiles d'entre eux. Vouloir légiférer pour instaurer des stocks minimaux de médicaments tombe sous le sens, tant au plan sanitaire qu'au plan économique. Nous allons donc devoir trouver un consensus acceptable qui pallie les multiples paramètres affectant le parcours des médicaments – car le dernier kilomètre, celui qui conduit les médicaments dans les pharmacies de ville ou d'hôpitaux, est précédé d'un long parcours ubuesque où se déclinent tous les travers des marchés économiques. Grande est la faute des gouvernements successifs, de droite comme de gauche, qui, sous la pression des règles du marché européen, ont démantelé la chaîne de valeur qui nous plaçait en leaders mondiaux ! Des prix toujours à la baisse ou des dispositifs intéressants mais non évalués – comme les versions génériques des médicaments matures – ont conduit les producteurs à délocaliser tout ou partie de leurs activités.
Les matières premières utilisées pour la fabrication des principes actifs pharmaceutiques (API) sont produites à 84 % en Asie, parfois dans des pays monopolistiques. Se déroule ensuite la longue chaîne de fabrication, qui représente 55 % des causes de pénurie, chaque étape – pesée, respect de la pureté et de la teneur des mélanges, compression, séchage, encapsulation – exigeant une qualité parfaite. De nombreux produits, du valsartan à la ranitidine, ont ainsi disparu. Puis interviennent les conditionnements primaires et secondaires et les contrôles y afférant, le tout dans un contexte de réglementations lourdes et parfois contradictoires d'un pays à l'autre, et au sein d'un marché mondial ou européen toujours friand de contournements.
Associés aux octrois d'AMM, les appels d'offres, les retraits décidés pour absence de rentabilité et la baisse continue des marges représentent quant à eux 30 % des causes de pénurie mondiale et européenne. Bien sûr, le covid a joué un rôle d'accélérateur. Enfin, une fois livré en France, le médicament est l'objet d'un processus très opaque où chacun, essayant de dégager des marges et de trouver un peu de visibilité dans l'incertitude, travaille à flux tendu.
Au bout du compte – cela ressort bien des auditions –, la gestion sécurisée des stocks est désormais quasiment impossible parce que, malgré les textes européens auxquels nous avons largement contribué dans l'intérêt des Français et qui prévoient la désignation par chaque État d'un interlocuteur unique chargé de la gestion des stocks, la coordination à l'échelle européenne se révèle difficile. L'ANSM manque en outre cruellement de moyens.
Les producteurs connaissent l'état de leurs stocks, socle de notre richesse pharmaceutique, mais lorsqu'ils signalent une rupture, il est impossible de savoir si elle est temporaire ou définitive. De plus, pour des raisons de rentabilité, ils travaillent trop souvent à flux tendu, transformant facilement la pénurie en sur-pénurie. Chez les répartiteurs, qui exercent des fonctions indispensables, les stocks ne sont pas connus et le marché parallèle, c'est-à-dire la vente directe de médicaments hors de France ou même hors d'Europe représente plus de 6 milliards à l'échelle européenne, ce qui est un véritable problème. Quant aux officines, les stocks n'y sont connus qu'imparfaitement. Il semble que de grosses pharmacies aient pu stocker plus que de raison des produits très peu chers, comme l'amoxicilline, menaçant de pénurie les petites pharmacies. Enfin, les stocks accumulés chez les patients sont inconnus.
Dès lors, fixer un stock minimal global connu de l'ANSM est une nécessité. Cette obligation doit concerner avant tout les fameux MITM. Le seuil de quatre mois de réserve que nous avions déjà proposé il y a deux ans est fondé sur la durée moyenne des récentes pénuries. Mais les prérogatives de l'ANSM doivent aussi lui permettre de moduler tant les quantités que les délais de stockage de certains produits – ceux qui font l'objet de très fortes tensions, ceux pour lesquels aucune solution alternative n'existe, et ceux qui sont fabriqués en petite quantité, comme les médicaments pédiatriques.
Le groupe Rassemblement national soutiendra ce texte, tout en considérant qu'il est avant tout un appel à la sanctuarisation d'un organisme unique, centralisateur de données d'amont et d'aval, et doté de moyens à la hauteur des enjeux. Nous demandons la fin de l'opacité sur les marges et sur les déclarations de stocks ainsi que la fin du contournement des marchés. Il est nécessaire de reconstruire en urgence la totalité de la chaîne de valeur en Europe et si possible en France, de signaler les risques de pénurie le plus en amont possible, de stocker tous les produits de santé sur le territoire national, d'établir durablement des prix dignes afin d'éviter que le marché des produits matures ne ressemble bientôt aux marchés agricoles, et de responsabiliser tous les acteurs, y compris les consommateurs. La tâche est colossale. Il revient au plus haut niveau de l'État de définir une véritable politique sanitaire qui manque aujourd'hui cruellement.