Intervention de Hendrik Davi

Séance en hémicycle du jeudi 29 février 2024 à 21h30
Lutte contre les pénuries de médicaments — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaHendrik Davi :

Nous sommes au XXIe siècle – cela ne vous aura pas échappé – en France, septième puissance économique mondiale et grand pays de recherche pharmaceutique. Pourtant, il n'est plus possible de trouver de l'amoxicilline dans certaines pharmacies. Je sais bien que « les antibiotiques, c'est pas automatique » – chacun connaît le slogan –, mais je vous rappelle que, pour certaines infections bactériennes, et même pour des angines, les antibiotiques sont nécessaires et parfois vitaux.

Comment en sommes-nous arrivés à subir des pénuries de médicaments qui nous empêchent de soigner correctement des angines ou de prévenir les bronchiolites, notamment celles qui touchent les nourrissons ? Certains chiffres parlent d'eux-mêmes. En 2017, l'ANSM recensait 530 médicaments d'intérêt thérapeutique majeur en rupture de stock ou sur le point de l'être. En 2020, on comptait 2 500 signalements ; en 2023, on en dénombre près de 5 000.

Derrière ces chiffres, il y a l'épuisement de patients qui errent en vain de pharmacie en pharmacie, en quête de médicaments parfois vitaux – nous en rencontrons, les uns et les autres, dans nos circonscriptions. Il y a l'impuissance de parents qui ne parviennent pas à soigner leurs enfants alors que des traitements existent. Il y a le désespoir de personnes âgées réduites à prendre leur mal en patience. Il y a des soignants, souvent déjà en burn-out, qui se démènent pour pallier les pénuries avec les moyens du bord, y compris à l'hôpital.

Les médicaments cardiovasculaires, anti-infectieux et anticancéreux, dont dépend la vie de millions de citoyens, sont fortement touchés par ces ruptures d'approvisionnement. Trois quarts des médecins estiment que ces pénuries entraînent une perte de chance pour les patients. Vous le savez : soigner plus tard, c'est soigner trop tard. Plus on attend avant de recevoir un traitement, plus la guérison peut se révéler compliquée.

Je signale que ces pénuries de médicaments s'ajoutent à une pénurie de médecins – le nombre de médecins généralistes installés en France a baissé de 8 % entre 2010 et 2023 – et interviennent alors que le service public hospitalier est au bord de l'effondrement. Pour prendre un exemple dans ma circonscription, à Marseille, au début de l'année, on manquait de manipulateurs radio, une information qui n'a pas fait la une des journaux mais qui a eu des conséquences concrètes : des suppressions de scanners programmés et une restriction de l'activité d'urgence. Ainsi, lorsqu'on regarde la situation dans sa globalité, on constate avec effarement que le meilleur système de soins du monde a été saboté.

Comment en est-on arrivé là ? Les députés du groupe La France insoumise y voient le résultat de décennies de marchandisation de la santé et de cadeaux faits à des multinationales du médicament dont le seul objectif est de verser plus de dividendes à leurs actionnaires. C'est aussi le résultat – je suis désolé de le dire – d'un quinquennat d'inaction. Sept ministres de la santé se sont succédé sans jamais inverser la tendance : au gré de feuilles de route et de coups de communication, la situation n'a cessé d'empirer.

Faut-il réellement s'étonner de ces pénuries ? En vérité, et contrairement à ce que vous laissez croire, la pénurie n'est pas une défaillance du marché mais une arme des industriels. En effet, en diminuant leur production et en faisant du chantage à l'arrêt de la commercialisation de certains produits, ils cherchent à obtenir des prix plus élevés pour leurs médicaments, comme le montre le rapport de la commission d'enquête sénatoriale paru en juillet 2023.

La proposition de loi du groupe Socialistes va donc évidemment dans le bon sens. Résumons-la. Les laboratoires pharmaceutiques ont déjà l'obligation d'assurer un approvisionnement pérenne pour les médicaments qu'ils commercialisent. Au vu de l'explosion du nombre de pénuries, il est cependant évident que ces obligations sont insuffisantes. Le texte prévoit donc de fixer un seuil minimal de réserves que devront constituer les industriels pour anticiper les périodes de forte demande. Encore faudrait-il, pour les médicaments d'intérêt thérapeutique majeur, que ce seuil corresponde à quatre mois de consommation, et non à deux comme c'est le cas dans la version adoptée par la commission des affaires sociales.

Ce texte a aussi le mérite d'alourdir les sanctions encourues par les laboratoires qui ne respectent pas leurs obligations. Notre groupe proposera d'ailleurs d'instaurer une sanction plancher et d'accroître le montant de l'astreinte journalière infligée aux laboratoires qui persistent dans l'illégalité.

Il est louable, enfin, d'octroyer à l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé une prérogative de contrôle sur pièces et sur place. Encore faudrait-il toutefois que cette agence dispose des moyens nécessaires pour mener à bien ses missions de contrôle – problème qui se pose d'ailleurs pour bien d'autres services publics. Depuis 2018, l'ANSM n'a prononcé que huit sanctions contre des laboratoires hors-la-loi, en exigeant des montants dérisoires au regard des profits de ces entreprises. En outre, sur ces huit sanctions, aucune ne concerne une obligation de constitution de stocks.

Vous l'aurez compris, nous voterons pour cette proposition de loi. Toutefois, elle n'est pas suffisante, car il n'est pas tolérable que des actionnaires spéculent sur la vie des gens. Il faut prendre le problème à la racine. Le manque de stocks n'est pas la seule raison des pénuries – le ministre l'a d'ailleurs reconnu tout à l'heure. Il faut lancer un grand plan d'urgence pour sécuriser l'approvisionnement en médicaments.

Cela passe tout d'abord par le conditionnement des aides aux multinationales du médicament, notamment du crédit d'impôt recherche (CIR) – c'est d'ailleurs l'objet d'un amendement que nous avons déposé. Comment l'entreprise Sanofi a-t-elle pu supprimer 400 postes en 2021 alors qu'elle a bénéficié en dix ans de plus de 1 milliard d'exonération d'impôt au titre du CIR ? C'est une vraie question, qu'il faudra poser. Cela passe aussi par la création d'un véritable service public du médicament, ayant vocation à assurer l'approvisionnement, notamment en médicaments stratégiques.

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