Intervention de Frédéric Valletoux

Séance en hémicycle du jeudi 29 février 2024 à 21h30
Lutte contre les pénuries de médicaments — Présentation

Frédéric Valletoux, ministre délégué chargé de la santé et de la prévention :

Cette proposition de loi visant à lutter contre les pénuries de médicaments traite d'un thème qui fait l'objet d'une attention prioritaire du Gouvernement, et ce depuis la précédente législature. Je tiens à saluer l'engagement de la majorité, qui a été volontariste et a permis de grandes avancées pour nos concitoyens depuis 2017. La disponibilité des médicaments dans les pharmacies est un sujet de préoccupation majeur pour tous nos concitoyens et a des conséquences importantes sur leur vie quotidienne.

Le constat est là : les tensions d'approvisionnement de médicaments sont devenues courantes en France tout comme dans le reste du monde et ne cessent de s'aggraver depuis plusieurs années. Chacun ici a pu être confronté à des problèmes de pénurie et nous comprenons l'inquiétude de nos concitoyens. Les conséquences des ruptures de stock ne se limitent pas aux hôpitaux et aux officines, où les pharmaciens passent parfois des heures à trouver des solutions. Elles se font aussi, et surtout, ressentir pour chaque patient dont la santé dépend de traitements qui font l'objet de difficultés d'approvisionnement, ce qui nuit à l'accès équitable à des soins de qualité pour tous. Rien qu'en 2023, l'ANSM a enregistré une augmentation des signalements de ruptures de stock et de risques de rupture de plus de 30 % en un an. Ces chiffres ne sont pas anodins : ils témoignent des difficultés de nos concitoyens.

Toutes les classes de médicaments sont désormais concernées par les ruptures de stock ou les risques de rupture. Elles concernent en général les médicaments matures, c'est-à-dire les plus anciens, donc les moins rentables. Elles peuvent aussi toucher des médicaments d'intérêt thérapeutique majeur, comme des médicaments utilisés pour traiter des maladies cardiovasculaires ou des troubles du système nerveux, ou encore des anti-infectieux et anticancéreux, vitaux pour les patients qui les prennent chaque jour.

Nous le savons, les causes des tensions d'approvisionnement sont le résultat d'un faisceau de facteurs concordants. D'abord, elles sont la conséquence du croisement de plusieurs épidémies hivernales qui provoque une plus forte demande dans certaines spécialités, alors même qu'on constate déjà une augmentation globale du besoin en médicaments, dans un contexte de vieillissement de la population.

Ensuite, la configuration du marché du médicament, qui compte peu de producteurs mais beaucoup de consommateurs, renforce les risques de pénurie. Près de 40 % des médicaments génériques sont produits par deux laboratoires dans le monde et la France n'est qu'un pays demandeur parmi d'autres.

Enfin, les industriels font face à des tensions sur les matières premières, aggravées depuis la crise sanitaire, et ils n'ont pas la capacité d'accroître de manière illimitée et immédiate leur production. Lorsque s'y ajoutent différents problèmes dans les chaînes de fabrication ou de distribution, l'arrivée des molécules ou des produits peut être ralentie et augmenter la durée nécessaire à l'approvisionnement.

Face à ce constat et à la multiplication des pénuries, le Gouvernement n'est pas resté les bras croisés et a avancé avec méthode. Depuis 2019, nous nous sommes engagés pour préserver l'accès des Français aux médicaments dont ils ont besoin. La mise en œuvre de la feuille de route 2019-2022 a permis des avancées majeures, notamment la constitution de stocks de médicaments minimum pour les patients, l'interdiction des exportations par les grossistes ou encore des informations régulières aux prescripteurs. Des actions ont donc été lancées sur tous les maillons de la chaîne de production et de distribution des médicaments : les industriels, qui fabriquent les médicaments et alimentent le marché ; les grossistes répartiteurs, qui les distribuent aux pharmaciens ; les pharmaciens, qui sont le point de contact des patients ; enfin, les patients eux-mêmes, sensibilisés au bon usage du médicament.

Plus récemment, la France s'est dotée de nouveaux outils réalistes et efficaces, coconstruits avec les acteurs du secteur.

Je le disais, le premier facteur de pénurie est l'augmentation de la consommation, donc les épidémies croisées, ce qui rend la période hivernale particulièrement sensible. Pour prévenir une crise hivernale et agir sur les différentes causes des ruptures de long terme, nous avons pris de nombreuses mesures visant à garantir des stocks plus importants pour limiter les tensions d'approvisionnement.

Ainsi, en 2023, de nouvelles étapes ont été franchies. Grâce à la loi de financement de la sécurité sociale pour 2024, notre cadre juridique, l'un des plus protecteurs à l'échelle européenne, a été complété afin d'accroître la capacité d'action des autorités sanitaires pour lutter contre les tensions d'approvisionnement. Je pense notamment au renforcement des pouvoirs de police sanitaire et de sanction de l'ANSM, mais également à la dispensation d'antibiotiques à l'unité, à la production de certaines spécialités par le service public ou encore à la possibilité pour l'ANSM de requalifier un médicament pour le considérer comme présentant un intérêt thérapeutique majeur. Rappelons par ailleurs que depuis les tensions connues l'an dernier, nous avons élaboré une liste de 450 médicaments essentiels pour la santé de nos concitoyens, sur la base de recommandations des représentants de prescripteurs. Ces médicaments font l'objet d'un suivi et d'actions renforcées.

Au-delà du cadre juridique, il faut également responsabiliser tous les acteurs de la chaîne du médicament. C'est pour cette raison qu'à la demande du Gouvernement, une charte d'engagement des acteurs de la chaîne du médicament a été signée en novembre 2023, à l'initiative du ministre Aurélien Rousseau. Elle comporte neuf engagements visant à mieux contrôler et réguler, favoriser la transparence de l'information, et responsabiliser chacun dans l'intérêt premier du patient. Cette charte a permis de fluidifier les relations entre les différents partenaires, en engageant dans un cercle vertueux les différents acteurs du secteur, pour pallier notamment le phénomène du surstockage. Elle a ainsi contribué à lutter contre la répartition très hétérogène des médicaments entre les territoires et entre les officines d'un même bassin de vie, en réinstaurant de la confiance entre les différents maillons de la chaîne.

Enfin, nous devons continuer à promouvoir cette ambition au niveau européen, pour réduire collectivement les tensions d'approvisionnement et renforcer notre capacité de production. En France, sous l'impulsion du Président de la République et dans le cadre du plan France 2030, la production de vingt-cinq médicaments stratégiques sera relocalisée pour les rendre plus facilement disponibles sur les marchés français et européen. J'en suis convaincu, la réponse passe par le renforcement de notre souveraineté industrielle.

À l'échelle européenne, notre engagement porte déjà ses fruits. Sous l'égide de la France et de la Belgique, la Commission européenne a annoncé la création d'une alliance pour les médicaments critiques, qui sera opérationnelle dès cette année. Elle sera complétée par un mécanisme européen de solidarité volontaire en matière de médicaments. Le plan européen prévoit aussi l'autorisation de dérogations réglementaires à compter de cette année, comme la prolongation de la durée de conservation de certaines molécules ou l'acquisition de stocks conjoints entre États membres.

Toutes ces réponses contribuent déjà à faire bouger les lignes, mais il convient d'aller plus loin et d'agir plus efficacement pour anticiper davantage les risques et mieux réagir en cas de tensions. À cette fin, les ministres Catherine Vautrin, Roland Lescure et moi-même avons lancé le 21 février dernier un plan d'action volontariste pour les trois prochaines années. Cette feuille de route, fruit de travaux concertés avec l'ensemble des acteurs, constitue une étape cruciale dans notre engagement collectif à améliorer l'accès des Français aux médicaments. Elle doit nous permettre de relever le défi des pénuries avec méthode, détermination et réalisme.

De nombreuses mesures ont déjà été annoncées. Elles visent en premier lieu à agir sur la répartition territoriale des stocks par la diminution de la vente directe et le recours aux grossistes répartiteurs, qui alimentent souvent les petites pharmacies. En second lieu, il s'agit de mieux faire coïncider les quantités prescrites avec les conditionnements dans les boîtes pour éviter le gaspillage et limiter la surconsommation de médicaments. Enfin, nous entendons améliorer la visibilité sur les stocks disponibles, de manière à anticiper les ruptures de stock dès les premiers signaux et à renforcer l'information des prescripteurs et des patients. Les grandes orientations proposées dans cette feuille de route, qui aura vocation à être actualisée régulièrement, constituent ainsi un éventail de solutions de nature à lutter contre les pénuries, combat qui nécessite la pleine mobilisation de tous les acteurs de la chaîne.

Si la conjonction de toutes ces mesures et initiatives volontaristes donne déjà des résultats encourageants, elle ne doit pas nous faire oublier les difficultés qui persistent. En 2023, seuls 40 % des signalements de rupture ont débouché sur des mesures spécifiques de contingentement ou de substitution pour garantir la couverture des besoins des patients. Une dizaine de laboratoires ont été sanctionnés par l'ANSM, à hauteur de 500 000 euros, pour avoir déclaré trop tardivement des risques de tensions ou pour n'avoir pas respecté leurs obligations.

J'ai conscience que la situation reste compliquée, notamment dans certains territoires ou pour certaines spécialités, et qu'il nous faut amplifier nos efforts. En ce sens, la proposition de loi inscrite à l'ordre du jour de la séance de ce soir par les députés du groupe Socialistes et apparentés a pour ambition de compléter les moyens d'ores et déjà déployés pour lutter contre les pénuries de médicaments. Si les intentions qui le sous-tendent sont louables, le texte ne permettra pas de répondre complètement à nos préoccupations. En effet, le problème des pénuries est protéiforme et ses causes sont multiples : en la matière, une solution simpliste et unique n'est pas la panacée.

L'article 1er de la proposition de loi introduit une notion de stock minimal de sécurité pour tous les médicaments. Pour mémoire, la constitution de stocks de sécurité, entrée en application en 2021, est une mesure récente et efficace, qu'il ne faut en aucun cas remettre en cause. L'amélioration de la situation observée pour certains médicaments montre que c'est en optant pour une position d'équilibre, proportionnée et négociée avec les parties prenantes, que nous pourrons avancer. Or la commission des affaires sociales a adopté un amendement de réécriture globale déposé par la rapporteure Valérie Rabault et sous-amendé par la rapporteure générale Stéphanie Rist, en vue d'inscrire dans la loi que le stock de sécurité minimal doit être compris entre deux et quatre mois.

Augmenter les stocks de médicaments, ou même les rendre obligatoires, ne sauraient pourtant constituer l'alpha et l'oméga de la gestion des pénuries. D'une part, il est inimaginable que chaque industriel ou exploitant conserve deux mois de stock pour chaque référence de médicament, en particulier pour les plus courants d'entre eux, dont les volumes de vente sont très importants. D'autre part, le ressenti de pénuries persistantes pour certaines molécules est en réalité le reflet de disparités territoriales entre pharmacies, parfois au sein même d'un bassin de vie, d'une ville ou d'un quartier. Comme le souligne la directrice de l'ANSM, l'enjeu réside dans la gestion et la visibilité des stocks tout au long de la chaîne de production et dans leur répartition sur le territoire national.

S'agissant de la remise d'un rapport sur l'opportunité de créer une catégorie plus restreinte de molécules indispensables aux patients, prévue à l'article 1er bis, je rappelle que des travaux sont en cours depuis un an pour établir une liste de médicaments essentiels et que cette initiative est reproduite au niveau européen, selon une méthodologie proche de celle déployée en France. Une telle demande semble donc prématurée.

L'article 2 de la proposition de loi vise à renforcer les contrôles ainsi que les sanctions encourues par les industriels en cas de non-respect d'un certain nombre d'obligations. Or le fait d'alourdir fortement les sanctions comporterait un risque de perte d'attractivité du marché français face à une concurrence mondiale aiguë et, à terme, de non-commercialisation, voire de dé-commercialisation de certains produits. Cet outil doit donc être manié avec précaution. L'ANSM doit exploiter davantage le pouvoir de sanction dont elle dispose – ce qu'elle a commencé à faire, d'après les données récentes – avant de le renforcer s'il se révélait insuffisant.

Vous l'aurez compris, le Gouvernement, constatant que le phénomène prend de l'ampleur depuis quelques années et que beaucoup reste à faire, partage la volonté d'agir pour éviter les ruptures d'approvisionnement, qui constituent un enjeu majeur pour nos concitoyens. La stratégie récemment annoncée – qui s'inscrit dans la continuité des nombreuses mesures déjà prises – vise à atteindre des objectifs ambitieux pour répondre efficacement et définitivement aux difficultés constatées partout en France.

En revanche, malgré les bonnes intentions qui animent ses auteurs, le texte présenté ce soir ne répond pas complètement à l'enjeu. Si de nombreux leviers sont pertinents pour lutter contre les pénuries de médicaments, la constitution d'un stock minimum obligatoire et généralisé – indépendamment de la nature du médicament, de sa visée thérapeutique ou du volume de consommation – n'est pas une solution adaptée ou proportionnée.

D'autres mesures utiles existent pour compléter le plan que nous avons présenté la semaine dernière en vue de lutter contre les tensions d'approvisionnement persistantes. Je pense notamment à l'allongement de la durée de publication, sur le site de l'ANSM, du nom des entreprises sanctionnées pour manquement à leurs obligations en matière de lutte contre les pénuries ou à la limitation de la publicité pour certains médicaments en rupture, proposées par Mme la rapporteure. Je songe également, parmi les mesures défendues par les députés de la majorité – notamment par Stéphanie Rist, Cyrille Isaac-Sibille et Paul Christophe, dont je salue l'engagement –, aux amendements visant à imposer aux industriels de renseigner la cause d'une rupture lors de leur déclaration à l'ANSM ou encore à rendre obligatoire la déclaration des stocks par le pharmacien d'officine.

Le Gouvernement suivra donc les débats avec attention et examinera les mesures qui figureront in fine dans la proposition de loi. Je le répète, il continue et continuera de s'engager pour lutter contre les pénuries de médicaments. Nous porterons un soin tout particulier à l'application de la stratégie récemment présentée. J'y veillerai notamment en poursuivant le travail réalisé avec tous les acteurs impliqués, et, en premier lieu avec les industriels, les pharmaciens et les représentants des patients. Cette feuille de route doit trouver rapidement une traduction concrète sur le terrain pour assurer la disponibilité des médicaments pour tous et partout. Cette stratégie, qui s'inscrit dans le prolongement des mesures déjà adoptées, n'est pas une fin : elle doit être complétée par toutes les nouvelles mesures utiles que les acteurs identifieront.

Dans un monde en profonde mutation, l'adaptabilité est en effet plus que nécessaire. C'est un enjeu de santé publique, mais aussi un enjeu stratégique pour notre pays, car il fonde en grande partie la souveraineté sanitaire de la France et la confiance des Français vis-à-vis de notre système de santé. En continuant à travailler ensemble, nous pourrons élaborer des solutions pratiques pour assurer un approvisionnement stable en médicaments. Catherine Vautrin, Roland Lescure et moi-même y veillerons.

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