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Intervention de Marie Guévenoux

Séance en hémicycle du jeudi 29 février 2024 à 9h00
Responsabilité de l'État et indemnisation des victimes du chlordécone — Présentation

Marie Guévenoux, ministre déléguée chargée des outre-mer :

Pour pouvoir se projeter dans l'avenir avec confiance, encore faut-il savoir regarder le passé avec lucidité. C'est l'honneur d'une nation et, en tant que responsables politiques, c'est ce que nous devons à nos concitoyens. Les hasards du calendrier auront voulu que ma première expression devant la représentation nationale depuis ma nomination comme ministre déléguée chargée des outre-mer porte sur le chlordécone, un drame qui touche directement ou indirectement tous les Guadeloupéens et les Martiniquais.

J'en mesure évidemment la gravité. Comme chacun ici, j'ai conscience des attentes légitimes et des vives émotions que soulève le chlordécone. La lutte contre ses effets constitue un enjeu environnemental, sanitaire, agricole, économique et social pour les Antilles. Je peux vous assurer que le Gouvernement, que je représente avec mon collègue Frédéric Valletoux, ministre délégué chargé de la santé et de la prévention – qui nous rejoindra ultérieurement –, est pleinement mobilisé pour lutter contre cette pollution ; il le fait sous l'impulsion du Président de la République, qui est le premier à avoir reconnu la part de responsabilité de l'État lors de son discours au Morne-Rouge en septembre 2018 et à avoir dénoncé, comme vous, monsieur le rapporteur, ce scandale sanitaire.

Je veux remercier le rapporteur, M. Elie Califer, dont la proposition de loi porte devant la représentation nationale un sujet si important et me permet de rappeler les engagements du Président de la République ainsi que les actions menées par le Gouvernement.

Nous avons un credo, la réparation par l'action, et un objectif : nous rapprocher chaque jour un peu plus du zéro chlordécone. Trois impératifs animent notre action : informer, protéger et réparer les préjudices liés à la contamination, grâce à une quarantaine d'actions dans tous les secteurs. Pour cela, notre méthode est claire – je m'y tiendrai : l'écoute, la concertation, la prise en compte des travaux scientifiques, la collaboration avec tous les acteurs locaux, partenaires essentiels pour accompagner les personnes concernées et faire changer les comportements.

Sur cette base, le Gouvernement a pris ses responsabilités en renforçant son action en juin 2023, après avoir entendu les attentes des élus, des acteurs économiques et des associations, et pris en compte les avancées scientifiques. Le budget mobilisé pour le plan Chlordécone IV sur la période 2021-2027 est sans précédent : initialement fixé à 92 millions, il atteint aujourd'hui 130 millions d'euros. Ce budget est supérieur à la somme des budgets des trois plans précédents réunis. En outre, la stratégie du Gouvernement s'appuie sur la mobilisation de plusieurs acteurs : neuf ministères – dont ceux chargés de la santé, de la prévention, de l'agriculture, de la pêche, du travail, de l'écologie, des finances –, les préfets, les agences régionales de santé (ARS) des Antilles, ainsi que plus de 150 référents et partenaires.

La lutte contre le risque chlordécone est pleinement engagée, mais elle prendra du temps. Les mesures concrètes déployées par l'État avec ses partenaires concernent tous les publics touchés par cette pollution. Permettez-moi de vous en donner quelques illustrations.

Sur le plan sanitaire, des solutions existent pour toutes les populations potentiellement exposées à ce pesticide en Guadeloupe et en Martinique. Pour mesurer le taux de chlordécone dans le sang et son évolution, des dosages gratuits sont à la disposition des habitants. Ce dosage, appelé chlordéconémie, est un outil essentiel pour prendre en charge sa santé. Il est accessible à tous et permet à chacun d'agir pour réduire son exposition, en modifiant son alimentation. Avec mon collègue Frédéric Valletoux, nous tenons à souligner le travail remarquable des agences régionales de santé, qui sont en première ligne et ont déployé ce dispositif très rapidement.

Cet engagement porte ses fruits : le nombre d'analyses augmente nettement chaque année depuis 2021. Ce sont 30 000 dosages de chlordéconémie qui ont été réalisés depuis la création du dispositif. En complément, un programme spécifique dédié à toutes les femmes enceintes a été lancé en Guadeloupe : ce bilan est proposé en même temps que le bilan sanguin de grossesse. Les personnes surexposées bénéficient gratuitement d'une visite à domicile réalisée par un professionnel de santé pour identifier les sources de leur exposition : plus de 2 000 personnes ont déjà été accompagnées individuellement. Chacun d'entre nous a un rôle à jouer. Le mien est d'appeler les Antillais à faire ce test simple et à suivre les préconisations recommandées. Tout est pris en charge par le plan Chlordécone. Je le redis : des solutions sont possibles et il faut se saisir de tous les outils offerts aux habitants potentiellement exposés.

Nous agissons également par une meilleure information et formation des professionnels de santé dans les territoires concernés. Les médecins, sages-femmes et gynécologues volontaires ont été formés par les agences régionales de santé entre 2021 et 2023. D'autres formations sont prévues dans les mois à venir. Cette action répond à trois impératifs : sensibiliser, former et informer.

Enfin, un fonds d'indemnisation des victimes de pesticides est actif, destiné aux personnes exposées à titre professionnel à tous les pesticides, notamment le chlordécone. À ce jour, 150 dossiers ont été reçus, 107 d'entre eux ont donné lieu à un accord et d'autres réponses sont en cours d'instruction. Une soixantaine d'indemnisations ont déjà été versées.

Pour les exploitants agricoles, des analyses de sol gratuites et des recommandations de pratiques culturales sont proposées selon le degré de contamination des sols. Depuis 2021, environ 4 500 analyses de sol ont été effectuées. Pour les éleveurs de bovins touchés par la pollution, une aide financière de 160 à 200 euros par animal est disponible, afin de sécuriser la qualité de la viande bovine, éviter tout risque chlordécone et prendre en charge les surcoûts. Nous comptons à ce jour plus de 300 éleveurs accompagnés et quarante dossiers de demande d'aide en cours d'instruction. Pour les pêcheurs concernés par les zones d'interdiction de pêche partielle ou totale, une aide financière pour compenser la contribution sociale généralisée (CSG) et la contribution pour le remboursement de la dette sociale (CRDS) vient d'être simplifiée et prolongée jusqu'en 2027 ; 400 pêcheurs en ont bénéficié depuis 2022. Pour les chercheurs, les crédits de recherche seront doublés à l'horizon 2030 ; ils passeront de 26 millions à 52 millions d'euros. De nombreux travaux scientifiques ont été engagés ou sont en cours de renforcement, relatifs à la dépollution des sols, à la santé des femmes, aux liens entre le chlordécone et le cancer, notamment de la prostate, au suivi d'une cohorte de plus de 12 000 travailleurs en bananeraies et d'une cohorte mère-enfant, ou encore aux transferts de la pollution dans les milieux. Le volet recherche occupe une place importante : il n'y a pas de sujet tabou. Faire la lumière sur ces sujets est une condition de réussite du plan Chlordécone.

Le Gouvernement reconnaît qu'il est possible de promouvoir les dispositifs existants et d'accompagner davantage les citoyens concernés, et il sera attentif à toutes les propositions en ce sens. Il demeure pleinement engagé pour déployer les quarante mesures du plan Chlordécone IV, dans un dialogue actif et continu avec l'ensemble des acteurs : élus, associations, organisations professionnelles, professionnels de santé, scientifiques, communauté éducative. Ensemble, continuons d'avancer avec énergie, transparence et en bonne intelligence. Comme vous, monsieur le rapporteur, comme les parlementaires présents en commission – je pense en particulier à Charlotte Parmentier-Lecocq et à Maud Petit –, je veux croire que nous trouverons une solution qui fasse consensus pour que les Antillais puissent obtenir justice et que toutes les responsabilités soient établies.

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