Intervention de Elie Califer

Séance en hémicycle du jeudi 29 février 2024 à 9h00
Responsabilité de l'État et indemnisation des victimes du chlordécone — Présentation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaElie Califer, rapporteur de la commission des affaires sociales :

…où il avait déclenché des tremblements, des difficultés respiratoires et des atteintes neurologiques et testiculaires chez les ouvriers de l'usine qui le produisait. Les États-Unis ont alors interdit ce pesticide et indemnisé les victimes.

Ce qui est plus préoccupant encore, c'est que le chlordécone est également toxique à faible dose. C'est un perturbateur endocrinien et une substance cancérogène. L'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) a identifié un lien avec le cancer de la prostate chez les hommes et, plus grave encore, avec les troubles du neurodéveloppement et du développement statuto-pondéral chez les enfants. La jeunesse antillaise est menacée ; ce sont les générations futures de Martiniquais et de Guadeloupéens qui, par la voie des modifications épigénétiques, sont condamnées à payer un lourd tribut.

Lors des auditions que nous avons menées, on nous a confirmé que le chlordécone, reprotoxique, pouvait provoquer de nombreuses maladies hormono-induites et que l'exposition des femmes enceintes était significativement corrélée à un risque accru de prématurité.

Nous sommes donc devant un scandale à grande échelle : un scandale sanitaire, mais aussi un scandale économique, car la contamination au chlordécone empêche désormais les Martiniquais et les Guadeloupéens de produire ce qu'ils veulent sur leurs terres. L'aquaculture a sombré, les pêcheurs doivent s'équiper pour pêcher au large ou cesser leur activité, car les littoraux sont contaminés ; les éleveurs sont censés mettre leurs animaux en quarantaine pendant des semaines, voire des mois, pour les décontaminer avant de les vendre ; l'eau de source est déclassée, et les traitements au charbon actif qui permettent de la rendre potable en augmentent le prix. Le manque à gagner est colossal pour ces territoires et leur population, et l'ONU parle même de terres sacrifiées.

Face à ces préjudices, la responsabilité de l'État ne fait pas débat – j'insiste sur ce point : elle a été reconnue par le Président de la République en 2018, ainsi que par la justice, qui a pointé les « négligences fautives » de l'État. Cette responsabilité a été longuement étayée dans le rapport de la commission d'enquête parlementaire sur l'utilisation du chlordécone et du paraquat conduite en 2019 par Serge Letchimy. Je me bornerai ici à rappeler quelques faits incontestables – et, à ma connaissance, incontestés.

En 1972, le ministère de l'agriculture a fait le choix de recourir à une procédure dérogatoire pour autoriser l'utilisation du chlordécone dans les Antilles, ce qui lui a permis d'en retarder l'homologation jusqu'en 1986. Je rappelle qu'à cette date, les États-Unis l'avaient déjà interdit depuis dix ans ! En 1990, il est interdit dans l'ensemble du territoire national, mais, tenez-vous bien, son utilisation s'est poursuivie jusqu'en décembre 1993 dans les Antilles, toujours grâce à des dérogations, au motif d'écouler les stocks – le tout au mépris de la décision de retrait du chlordécone formulée dès le 1er janvier 1990 par le comité d'homologation. Il faudra ensuite attendre 1999 pour que l'État se préoccupe de la présence de chlordécone dans les captages pour l'alimentation en eau potable, et ce n'est que neuf ans plus tard – neuf ans ! –, en 2008, que les premières mesures de protection de la population sont prises, avec la fermeture de certains captages. Ces faits sont incontestables, ils ont été établis dans de nombreux rapports.

La proposition de loi que je défends devant vous aujourd'hui vise donc à reconnaître officiellement la responsabilité de l'État dans les préjudices sanitaires, environnementaux et économiques liés à la mise sur le marché et à l'utilisation du chlordécone.

En 2018, le Président de la République a reconnu un « aveuglement collectif » et la nécessité « d'avancer sur le chemin de la réparation ». Il appartient aujourd'hui à la République de réparer ce scandale, cette injustice, car la République, c'est bien la rupture avec l'injustice et le combat pour l'égalité.

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