Je tiens tout d'abord à vous remercier d'avoir inscrit à votre ordre du jour ce débat fondamental sur l'impact de la loi immigration sur les droits de l'enfant et sur les enfants confiés à l'aide sociale à l'enfance – l'ASE.
Unicef France a proposé, en amont de l'examen du projet de loi, et durant celui-ci, une analyse des impacts du texte sur les droits de l'enfant en général. Il apparaît que l'impact sur les enfants confiés à l'aide sociale à l'enfance est très similaire à ce que nous avions relevé.
Tout d'abord, si nous sommes évidemment satisfaits de l'interdiction du placement en centre de rétention administrative – une mesure qu'Unicef France préconisait depuis plusieurs années car un tel placement constituait une violation de la Convention internationale des droits de l'enfant –, nous regrettons cependant qu'elle ne s'applique à Mayotte, de façon dérogatoire, qu'en 2027, sans garantie d'ici là.
Je rappelle en effet que des violations particulières des droits de l'enfant sont commises à Mayotte. D'une part, l'archipel concentre 98 % des enfermements administratifs de France. D'autre part, les mineurs non accompagnés – MNA –, qui relèvent de la protection de l'enfance, peuvent faire l'objet de rattachements arbitraires à des tiers ou voir leur date de naissance modifiée de façon unilatérale, ce qui favorise leur placement en centre de rétention et leur expulsion. Ces mineurs ne bénéficient d'aucune garantie, comme le dénoncent la Défenseure des droits et la Cour européenne des droits de l'homme.
Ensuite, nous regrettons que la loi du 26 janvier 2024 n'ait pas interdit le placement des mineurs en zones d'attente, y compris s'agissant des mineurs non accompagnés – ces derniers relevant, je le répète, de la protection de l'enfance –, alors que les conditions de maintien dans ces zones sont similaires à celles d'un enfermement en centre de rétention administrative. Je rappelle qu'il s'agit d'une recommandation du Comité des droits de l'enfant des Nations unies, à l'occasion de l'examen périodique universel de la France.
Par ailleurs, certaines dispositions ne prennent pas en considération l'intérêt supérieur de l'enfant. Par exemple, nous considérons qu'il était inutile de créer un fichier MNA délinquants qui mémorisera les empreintes et photographies des mineurs « à l'encontre desquels il existe des indices graves ou concordants rendant vraisemblable qu'ils aient pu participer à des infractions ». En effet, les fichiers existants, comme le fichier traitement d'antécédents judiciaires (TAJ) ou le fichier automatisé des empreintes digitales, étaient déjà largement suffisants pour traiter les données. À nos yeux, ce nouvel outil stigmatise les mineurs non accompagnés et constitue une rupture d'égalité entre eux et les autres mineurs en conflit avec la loi.
L'interdiction, pour les jeunes visés par une obligation de quitter le territoire français (OQTF), d'accéder à la protection qu'offre le contrat jeune majeur est également préoccupante. À l'Unicef, nous recommandons que les mineurs non accompagnés bénéficient de plein droit d'un accès au titre de séjour lorsqu'ils ont été pris en charge par l'aide sociale à l'enfance : il faut éviter qu'une fois devenus majeurs ils soient confrontés à des risques de rupture et à des situations de précarité. Il est important d'assurer un suivi éducatif de ces jeunes jusqu'à 21 ans, comme pour les autres enfants confiés à l'ASE, d'autant que cette dernière les prend souvent en charge tardivement.
En outre, de nouvelles mesures du texte facilitent les expulsions et l'éloignement des étrangers dits protégés. Désormais, les parents d'enfants français pourront ainsi être expulsés en cas de menace grave à l'ordre public, ce qui pose problème, notamment pour la protection de l'enfance puisque le travail avec les parents en constitue un des pans et qu'il ne sera évidemment plus possible de le mener s'ils sont expulsés. Et ce n'est pas forcément non plus dans l'intérêt de l'enfant que son parent doive quitter le territoire.
Par ailleurs, beaucoup de dispositions manifestement contraires aux droits de l'enfant ont été censurées par le Conseil constitutionnel, mais on craint leur retour. Je pense aux restrictions relatives à l'accès au logement, à l'hébergement ou aux prestations sociales, alors que nous savons que la contribution au niveau de vie constitue un premier élément de prévention en matière de protection de l'enfance. Les restrictions d'accès à la nationalité vont très certainement revenir, en particulier dans le cadre du futur projet de loi concernant Mayotte, alors qu'on recommande à l'Unicef, notamment en vertu de la Convention internationale des droits de l'enfant qui s'applique sur tout le territoire, qu'il n'y ait pas de dérogation qui puisse porter atteinte aux droits de l'enfant.
Je me tiens évidemment à votre disposition, mesdames, messieurs les députés, pour répondre à vos questions sur ces différents sujets.