La question des frais appliqués par les banques au moment des successions n'est pas nouvelle, mais elle reste d'actualité.
Hier encore, l'association de consommateurs UFC-Que choisir, que nous avons auditionnée dans le cadre des travaux préparatoires de cette proposition de loi, a publié une actualisation de son étude de 2021. Son constat est sans appel. À la fin de 2021, les frais bancaires atteignaient en moyenne 233 euros par dossier, soit deux à trois fois plus que chez nos voisins européens comparables. Fin 2023, cette moyenne était passée à 303,70 euros, soit une hausse de 30 % en deux ans, après une hausse de 28 % entre 2012 et 2021, bien supérieure à l'inflation. Par ailleurs, les tarifs pratiqués par les établissements bancaires restent très hétérogènes, sans que les services proposés permettent d'expliquer les écarts constatés.
Pour vous donner une idée, sur une succession de 20 000 euros, les frais bancaires oscillaient en 2023 entre 80 euros pour le Crédit Agricole d'Île-de-France et 640 euros pour LCL. Parallèlement, les études menées par le Comité consultatif du secteur financier (CCSF) montrent que le plafond en deçà duquel s'applique l'exonération des frais bancaires sur succession varie fortement d'une banque à l'autre : de 200 à 25 000 euros ! Comment expliquer un tel écart, sinon par l'absence de régulation et par le fait que ces frais sur succession, auxquels on est peu souvent confronté, ne font pas l'objet d'une réelle mise en concurrence ?
Cette situation est d'autant plus incompréhensible que des avancées ont été faites sur les autres types de frais bancaires. Depuis la loi du 26 juillet 2013, les frais pour dépassement de découvert sont plafonnés, ainsi que ceux pour rejet de chèque ou de prélèvement. La loi du 16 août 2022 portant mesures d'urgence pour la protection du pouvoir d'achat limite quant à elle les frais perçus au titre des incidents de paiement. Par ailleurs, depuis 2017, sous l'impulsion du ministère de l'économie, plusieurs mesures spécifiques ont été introduites par les banques pour les personnes en situation de fragilité financière. Il reste beaucoup à faire, mais les choses avancent. Dans ce contexte, l'absence d'un encadrement, même minimal, des frais bancaires sur succession apparaît comme une anomalie.
Du point de vue économique, ils ne représentent qu'une part très réduite des frais acquittés par les clients à leur banque chaque année : 150 millions en 2021 et environ 200 millions en 2023, sur un total dépassant 25 milliards, soit moins de 0,8 %. Ils revêtent toutefois une dimension particulière du fait de leur nature : ces frais interviennent dans un moment souvent douloureux, au moment d'un décès, et ne sont pas acquittés par le détenteur du compte mais par ses successibles, qui n'ont d'autre choix que de payer le prix demandé.
On se souvient avec émotion des frais de 138 euros demandés à des parents pour clôturer le livret A de leur enfant de 8 ans qui venait de décéder d'un cancer. C'était en mai 2021 en Gironde, à la Banque postale. L'émotion suscitée par cette pratique jugée immorale a mis en lumière le caractère imprévisible et difficilement compréhensible de ces frais – la clôture d'un compte étant, rappelons-le, une opération gratuite, quelles que soient les circonstances, au titre de l'article L. 312-1-7 du code monétaire et financier.
À la suite de la médiatisation de ce cas, de nombreuses initiatives ont été lancées pour appeler à la régulation et à l'encadrement de ces frais bancaires si particuliers : l'étude de l'UFC-Que choisir d'octobre 2021 ; des dizaines de questions écrites de parlementaires ; la proposition de loi sénatoriale de notre collègue Hervé Maurey du 4 janvier 2022, qui n'a jamais été inscrite à l'ordre du jour au Sénat ; des amendements sur divers textes en lien avec les frais bancaires, comme celui que j'avais déposé sur la proposition de loi de Charles de Courson portant lutte contre l'exclusion financière et plafonnement des frais bancaires, examinée en janvier 2022, ou celui d'Hervé Maurey adopté au Sénat en janvier 2023 sur la proposition de loi tendant à renforcer la protection des épargnants ; la proposition de loi de notre collègue député Richard Ramos, jamais inscrite ; la présente proposition de loi, enfin.
À chaque fois que nous avons eu à interroger le Gouvernement sur ce sujet, qui a le mérite de recueillir un large consensus sur nos bancs, nous avons été confrontés à la même réponse : un accord de principe, mais qui n'a pas été suivi d'effets.
En 2021, en réponse à une question écrite, le ministre de l'économie et des finances indique qu'il est « conscient des difficultés engendrées par les frais précités », qu'il a « demandé à la direction générale du Trésor, en consultation avec la communauté bancaire et toutes les parties prenantes intéressées, d'examiner des pistes de réforme en la matière », et il promet que « le Gouvernement demeure à ce titre déterminé à ce qu'une solution soit rapidement dégagée dans le cadre des instances de concertation de place ».
Début 2023, pas l'ombre d'un début d'accord de place et d'une régulation. Le ministre Jean-Noël Barrot, lors de l'examen de la proposition de loi tendant à renforcer la protection des épargnants, réitère cet engagement au Sénat : « Dans cet esprit, le Gouvernement réunira les banques au mois de février prochain afin de finaliser les travaux ». Il précise : « Nous espérons parvenir à un accord de place prévoyant que le plafonnement des frais soit inférieur à 1 % des sommes du compte, car cela pourrait très vite représenter des frais bien plus importants que ceux qui sont aujourd'hui pratiqués. »
Aujourd'hui, alors que ces tarifs n'ont cessé d'augmenter durant ces trois années, le ministère de l'économie et des finances et la Fédération bancaire française nous confirment qu'aucun accord de place ne pourra aboutir. Il est donc de notre devoir de législateur de faire avancer les choses et d'introduire enfin une régulation raisonnée de ces frais.
Je dis « raisonnée » car il ne s'agit pas de nier le travail effectué par les banques dans le cadre de certaines successions : nos auditions nous ont montré l'effectivité des coûts administratifs qu'elles supportent lors des démarches d'accompagnement des successibles – mais elles ont également confirmé l'existence d'opérations bancaires simples qui ne justifient pas de frais spécifiques. Ainsi, compte tenu des diligences à réaliser préalablement à la clôture du compte du défunt, j'ai fait le choix, dans les amendements que j'ai déposés, d'écarter l'option de la gratuité totale quel que soit le type de succession traitée, et de distinguer ce qui justifie facturation ou non. C'est une première étape, mais une étape significative, car elle permettra une première uniformisation des pratiques, au bénéfice de la transparence et de la juste tarification au moment des successions.
La proposition de loi que je vous propose a des objectifs clairs : encadrer les frais bancaires sur succession, s'agissant tant de leur montant que du seuil à partir duquel ils s'appliquent ; mieux objectiver ces frais afin qu'ils soient étroitement corrélés au service effectivement délivré par les banques ; et préserver les comptes aux encours les plus faibles.
Le texte prévoit d'abord la gratuité en dessous de 5 000 euros, afin d'uniformiser enfin des seuils qui, je le rappelle, vont de 200 à 25 000 euros. Cela correspond à une limite qui existe déjà, celle des successions pour lesquelles la seule attestation des héritiers suffit pour clôturer un compte ou obtenir le débit sur le compte du défunt de tout ou partie des actes conservatoires, sans l'intervention d'un notaire. Cette limite est inscrite à l'article L. 312-1-4 du code monétaire et financier et son montant a été fixé par un arrêté du ministère de l'économie et des finances de mai 2015, qui prévoit également son indexation sur l'inflation. Retenir ce seuil me paraît cohérent et serait d'ores et déjà une avancée majeure, puisqu'un grand nombre de banques sont en dessous. Quant aux autres, elles ne seront nullement empêchées d'aller au-delà, puisque c'est un minimum.
Le texte prévoit également une rationalisation des frais en rapport avec « les coûts réellement supportés par les établissements de crédit ». C'est une mesure de bon sens, visant à rétablir une proportionnalité entre le service délivré et le prix facturé. Néanmoins, dans le cadre de mes travaux préparatoires, qui se sont déroulés dans un climat de dialogue très constructif avec le ministère de l'économie et des finances et les services de la direction générale du Trésor, il s'est avéré que ce calcul au coût réel n'était pas opérant, parce qu'il est très difficile à déterminer et à contrôler au sein des banques.
C'est pourquoi j'ai déposé, en lien avec les services de Bercy, des amendements pour améliorer le dispositif sans aucunement en dénaturer l'objectif. L'élément nouveau est l'introduction d'une distinction entre les successions qui s'opèrent de manière simple, conformément à la procédure indiquée à l'article L. 312-1-4, et les successions plus complexes à gérer. Une succession simple, où le successible justifie de sa qualité auprès de la banque sans appui de celle-ci, se rapprocherait d'une clôture classique de compte ou d'un simple transfert. Dans cette situation, il serait difficile pour les établissements bancaires de justifier un prélèvement lors de la clôture.
Pour résumer, la gratuité s'appliquera systématiquement dans les cas suivants : pour les comptes – ou la somme des comptes – dont l'encours est inférieur à 5 000 euros ; pour les comptes, sans condition de montant, dont le détenteur était mineur au moment du décès ; pour les comptes dont l'encours est supérieur à 5 000 euros, mais qui ne nécessitent que des opérations bancaires simples, sans démarche particulière de la part des banques.
La tarification des frais bancaires sur succession ne sera donc effective et justifiée que dans le cas des opérations plus complexes, pour des encours supérieurs à 5 000 euros et avec un plafonnement. Cela peut être de nature à rassurer mes collègues qui souhaitent relever ce plafond : il n'y aura pas de frais à payer au-delà de 5 000 euros, dès lors que rien ne le justifie. Par ailleurs, la proposition de loi et les amendements prévoient un décret qui permettra de préciser ces modalités de plafonnement. Il serait opportun, lors de l'examen du texte en séance, de demander au ministère de l'économie et des finances que les parlementaires de tous les groupes soient associés à la rédaction de ce décret.