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Intervention de Huguette Tiegna

Réunion du mercredi 7 février 2024 à 10h00
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaHuguette Tiegna, rapporteure :

Mon intervention a pour objet de vous livrer les éléments essentiels à nos échanges.

Après notre réunion du 20 décembre dernier, j'ai procédé à des auditions, auxquelles ont participé plusieurs collègues et collaborateurs. Par respect pour le droit de pétition, le collectif La Voie est libre, premier signataire, a été auditionné en premier le 8 janvier dernier.

Le droit de pétition est un usage très ancien, qui remonte au Moyen-Âge et que la Révolution française a défini comme un droit imprescriptible. Même dans un système de démocratie représentative, il a toujours été nécessaire de disposer de canaux de dialogue direct entre élus et citoyens – et la pétition en est un. Cela ne retire rien à la légitimité des élus, nationaux ou locaux, qui provient du suffrage universel et dont le mandat s'exerce en permanence en écoutant nos concitoyens. Cela ne retire rien non plus à la liberté de décision des parlementaires, puisque l'article 27 de la Constitution prévoit que tout mandat impératif est nul.

Réciproquement, l'exercice du droit de pétition ne peut dispenser les citoyens de respecter le cadre institutionnel et les procédures qui conduisent les autorités publiques à prendre leurs décisions. Et dans le cas de l'autoroute A69, toutes les procédures légales ont été respectées, et les procédures judiciaires ont suivi leur cours.

J'aurais pu m'arrêter à la première audition dans le cadre de l'article 148 de notre règlement, mais j'ai souhaité la compléter pour mieux comprendre ce dossier.

Sur proposition du collectif, nous avons auditionné Mme Valérie Masson-Delmotte, climatologue, membre du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (Giec) et du Haut Conseil pour le climat, le collectif Lauragais sans bitume, ainsi que M. Jacques Thomas, expert en génie écologique, qui a fortement critiqué le dossier de la concession en ce qui concerne les zones humides touchées par le chantier.

J'ai également entendu la société Atosca, concessionnaire autoroutier, ainsi que des élus locaux, à savoir M. Jean-Luc Gibelin, vice-président de la région Occitanie, en charge des mobilités et des infrastructures de transports, M. Jean-Marc Balaran, maire de Sainte-Croix et président de l'association des maires du Tarn, ainsi que M. Jacques Oberti, maire d'Ayguesvives et président de l'association des maires de Haute-Garonne. Les présidents des conseils départementaux de Haute-Garonne et du Tarn, MM. Sébastien Vincini et Christophe Ramond, ont également été sollicités et ont rappelé par écrit leur position – connue dans les deux cas de longue date. Il en a été de même pour M. Michel Bossi, président de la chambre de commerce et d'industrie du Tarn et pour M. Maxime Lacoste, conseiller municipal de Saint-Sulpice-la-Pointe, au nom d'élus locaux opposés à l'autoroute.

J'ai enfin convié les quatre principaux syndicats agricoles et deux ont répondu à mon invitation – la Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles (FNSEA) et la Confédération paysanne.

L'A69 est un projet très ancien d'aménagement du territoire, puisqu'il remonte à 1994. L'objectif est de dynamiser le bassin de population et d'emploi de Castres et de Mazamet. L'idée d'origine était d'élargir à deux fois deux voies la route nationale 126 assurant la liaison entre Toulouse et Castres. Mais elle a été écartée en 2010 et il a été choisi de recourir à une autoroute concédée, privée et à péage. Il s'agit donc d'un projet conduit par l'État, qualifié de priorité nationale en mars 2019 par Mme Élisabeth Borne, alors ministre des transports.

Le dossier a franchi les différentes étapes de sa procédure. De la fin de 2016 à mars 2023, sont intervenus l'enquête préalable à la déclaration d'utilité publique, la procédure d'attribution de la concession autoroutière, l'avis favorable de l'Autorité de régulation des transports (ART) au contrat de concession, le décret approuvant le contrat de concession, l'enquête publique au titre de l'autorisation environnementale et la délivrance de celle-ci.

Les travaux ont commencé et ils emploient près de 400 personnes. La pétition porte donc sur un chantier en cours et non sur un projet. La moitié des ouvrages d'art, il convient de le rappeler, sont déjà réalisés et la mise en service de l'autoroute est programmée pour la fin de 2025.

Une première conclusion s'impose : la question de l'A69 n'est pas juridique, dans le sens où toutes les procédures ont été respectées et les recours judiciaires ont suivi leur cours. Elle est politique et porte sur l'utilité du projet.

J'en viens à la pétition et aux différentes positions que j'ai recueillies lors des auditions. Les pétitionnaires considèrent que l'A69 est un projet d'un autre âge, dommageable sur plusieurs points. En matière environnementale, l'A69 porterait une atteinte sérieuse aux équilibres écologiques en raison de l'artificialisation des sols et des conséquences sur les zones humides ainsi que sur le cycle de l'eau. Pour les pétitionnaires, le projet est en outre inutile au regard des prévisions de trafic à moyen et long terme et du faible gain de temps qu'il induit pour les usagers. Le coût prévisionnel des péages sera très élevé et hors de portée pour la majorité de nos concitoyens. Enfin, selon les pétitionnaires, ce projet d'autoroute repose sur une vision erronée et anachronique de ce que doivent être les politiques d'aménagement du territoire, d'infrastructures et de mobilité, compte tenu des enjeux de sobriété énergétique, de réduction des émissions de gaz à effet de serre, d'érosion de la biodiversité et de limitation de l'artificialisation des sols.

Cette position a été reprise par Mme Valérie Masson-Delmotte, qui a estimé que ce projet date d'une période où plusieurs des impératifs écologiques sur lesquels notre commission travaille n'avaient pas l'importance qu'ils ont désormais.

Lors de leur audition, les pétitionnaires ont mis en avant d'autres volets de ce projet, comme les difficultés des agriculteurs à être indemnisés et l'absence de dialogue avec les pouvoirs publics. Ils ont souhaité que la population soit consultée par référendum.

Sur ce dernier point, je précise que le deuxième alinéa de l'article 72-1 de la Constitution ne peut s'appliquer à l'A69, qui est un projet d'État. Une collectivité territoriale peut recourir au référendum local, mais uniquement sur une affaire relevant de sa compétence, comme l'a rappelé le Conseil d'État dans un arrêt de 1994.

L'avis des pétitionnaires du collectif La Voie est libre a été complété par celui d'un autre collectif, Lauragais sans bitume, qui a attiré notre attention sur les enjeux globaux de santé publique liés au chantier, à la présence de deux centrales a enrobé, au trafic routier et au report de trafic.

J'en viens à l'avis des présidents d'associations d'élus locaux. Ils se sont prononcés à la marge sur la pétition, car ils estimaient ne pas avoir de mandat de leur association pour le faire. En revanche, ils ont donné leur avis sur le projet d'autoroute et il m'apparaît qu'une majorité claire d'élus est en faveur de celui-ci. Mais majorité ne signifie pas unanimité. Plusieurs élus sont réservés ou opposés à ce projet. Cette situation n'a rien de surprenant : je connais peu de projets publics d'aménagement qui suscitent l'unanimité.

Comme nous l'a indiqué M. Jean-Luc Gibelin, vice-président en charge des mobilités et des infrastructures, la présidente de la région Occitanie a fait état à plusieurs reprises de son accord avec le projet, afin de rééquilibrer le territoire régional.

Il m'a semblé que la position de la région correspondait à un choix de raison, car aucune alternative n'apparaît envisageable. Le coût de la modernisation et du doublement de la ligne ferroviaire entre Toulouse et Castres est évalué à 1,1 milliard, et l'État n'est pas disposé à dégager une telle dotation.

Le président de l'association des maires du Tarn nous a rappelé que 1 000 élus, maires ou conseillers municipaux – sur les 4 000 que compte le département – avaient signé une motion en faveur de l'autoroute, ce que l'on peut considérer comme significatif.

Dans sa contribution écrite, le président du conseil départemental du Tarn considère que l'autoroute est attendue par une majorité d'habitants et par les acteurs économiques, et qu'elle constitue « une absolue nécessité ».

L'avis du président du conseil départemental de Haute-Garonne est différent. S'il ne souhaite pas remettre en cause les engagements de son prédécesseur, il indique que la Haute-Garonne, partenaire financier minoritaire du projet avec 0,08 % du total, n'y consacrera pas un centime de plus. Surtout, il appelle l'État à écouter les scientifiques et à s'interroger de nouveau sur la pertinence d'un projet conçu il y a trente ans. Il considère que l'on peut se poser cette question pour ce type d'infrastructure au vu du défi climatique.

Enfin, dans sa contribution écrite, la chambre de commerce et d'industrie du Tarn nous a fait part de son soutien constant et très ferme à ce projet.

Telles sont en résumé les positions des élus locaux et consulaires. Nos collègues de Haute-Garonne et du Tarn présents dans cette commission ont naturellement toute liberté d'infirmer mes propos, mais je ne pense pas avoir trahi l'esprit des auditions ou la lettre des contributions écrites.

Je n'oublie pas les agriculteurs. Les compensations pour inclusion d'emprise ne sont pas encore réglées, faute de constitution par anticipation de réserves foncières suffisantes – point que la chambre d'agriculture avait mis en avant en 2021. Le règlement des dossiers pourrait encore prendre plusieurs années, même si le nombre de contentieux est très réduit. L'A69 concerne 158 exploitations en séparant en deux des terrains ou en reconfigurant leurs limites, et certaines situations sont difficiles à vivre.

J'ai essayé de résumer en quelques minutes plus de onze heures d'auditions, ce qui m'a conduit à simplifier à l'extrême leur teneur, parfois très technique – comme en matière d'hydrologie ou de terrains agricoles.

Deux éléments centraux se dégagent pour notre débat. Tout d'abord, la pétition vise à créer un rapport de force politique contre un équipement qui a franchi toutes les étapes juridiques. Débattre de la pétition conduit en fait à débattre de l'utilité de l'A69. On ne peut en revanche remettre en cause les procédures, qui se sont régulièrement déroulées.

Le second élément concerne le fonctionnement de la démocratie représentative. L'État a fait un choix ; les procédures administratives et judiciaires ont été respectées ; une majorité d'élus locaux se prononcent en faveur du chantier et avancent comme motivation première leur fort attachement à une décision prise démocratiquement. À défaut, toute contestation ou pétition peut remettre en cause un projet et rendre inopérant le rôle des élus. Cela n'empêche pas ces derniers de s'interroger sur l'adaptation au monde actuel des procédures d'enquête publique et de consultation des citoyens. C'est un point sur lequel le président de l'association des maires de Haute-Garonne a beaucoup insisté et il s'agit sans doute d'un objet de réflexion pour notre commission.

Le sujet de l'A69 n'est pas clos à l'Assemblée nationale puisqu'une commission d'enquête sur le montage juridique et financier du projet va prochainement commencer ses travaux.

J'ai conscience que notre débat va frustrer les pétitionnaires puisqu'il ne sera procédé à aucun vote, ni sur la pétition, ni sur l'A69. Une pétition a pour rôle essentiel d'attirer l'attention mais, telles que sont conçues nos institutions, c'est bien aux élus que revient la décision.

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