Intervention de Sophie Martinoni-Lapierre

Réunion du jeudi 8 février 2024 à 14h00
Commission d'enquête sur la gestion des risques naturels majeurs dans les territoires d'outre-mer

Sophie Martinoni-Lapierre, directrice de la climatologie et des services climatiques à Météo France :

Merci d'accueillir Météo France.

Je rappellerai tout d'abord que Météo France est un établissement public sous tutelle du ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires. Nous avons des missions et des principes d'organisation qui sont fixés par le décret du 18 juin 1996 modifié en 2016.

Nous sommes 2 558 agents au sein de Météo France fin 2023, dont 290 dans les directions ultramarines. Notre budget général est de l'ordre de 210 millions d'euros, dont 37,3 millions d'euros sont directement gérés pour les directions ultramarines. Ce dernier montant n'inclut pas le support des directions centrales indirect vers ces directions.

Nous travaillons dans le cadre d'un contrat d'objectifs et de performance qui couvre la période 2022 à 2026.

Je rappelle également que France Stratégie avait produit un rapport en 2018 estimant les bénéfices sociaux et économiques annuels induits par la prévention météorologique entre 1,1 et 2,6 milliards d'euros annuels.

La présence ultramarine de Météo France est particulièrement importante. Quatre grandes directions couvrent Antilles Guyane, Océan indien, Polynésie française et Nouvelle-Calédonie Wallis-et-Futuna. Un service est présent à Saint-Pierre-et-Miquelon et nous participons aux missions dans les Terres australes et antarctiques françaises, à Kerguelen et en Terre Adélie. Cela représente 290 agents, soit un agent pour 10 000 habitants en outre-mer contre environ un agent pour 30 000 habitants dans l'Hexagone.

Par ailleurs, nous avons des accords spécifiques avec les territoires de Nouvelle-Calédonie et de Polynésie françaises qui ont été récemment renouvelés.

Nos missions régaliennes consistent avant tout à assurer la sécurité météorologique des personnes et des biens. À la sécurité liée aux aléas météorologiques, il convient d'ajouter un pan important en outre-mer qui est tout ce qui a trait à la météorologie marine et au fait que nous opérons également des modèles de dérive : dérive en cas de pollution mais aussi dérive de bateau ou d'homme à la mer.

Nous devons satisfaire les besoins météorologiques de la défense nationale et nous contribuons à la sécurité et la régularité du trafic aérien par notre assistance à la navigation aérienne.

Nous contribuons au développement des entreprises météo sensibles grâce à des services météo et climatiques. Nous devons aussi conserver la mémoire du climat dans les territoires ultramarins et à modéliser les évolutions passées et futures du climat, dans le but de proposer des services climatiques d'aide à la décision et de soutenir les politiques publiques d'adaptation.

Dans nos objectifs et en particulier dans le domaine de la recherche, nous devons toujours mieux connaître et modéliser l'environnement atmosphérique.

Enfin, nous formons des experts météorologues pour les besoins propres à Météo France et pour nos partenaires.

En outre-mer, nous pouvons assurer des missions complémentaires. Ainsi au sein du service de la Réunion, nous assurons la fonction de centre météorologique national spécialisé pour les cyclones tropicaux dans le bassin du sud-ouest de l'océan Indien. Nous avons pour le compte de l'Organisation météorologique mondiale une responsabilité pour produire les trajectoires de référence et les bulletins cycloniques pour 15 pays du bassin. Nous contribuons également au renforcement de leurs compétences.

Météo France assure diverses assistances spécialisées, qui peuvent être des assistances feux de forêt ou de manière plus spécifique la prévision d'échouage de bancs de sargasses aux Antilles. Nous assurons aussi l'appui aux cellules de veille hydrologique.

Dans les directions d'outre-mer, notre réseau de surveillance du temps est directement piloté par les directions territoriales locales. Elles surveillent en particulier les phénomènes tels que les pluies, les vents violents, les orages, les vagues-submersion, les cyclones, et la neige et le verglas pour Saint-Pierre-et-Miquelon.

La carte de vigilance représente le principal moyen de diffusion de l'information sur les aléas météorologiques. C'est un outil phare de Météo France déployé en outre-mer qui fait l'objet d'évolutions concernées avec la Sécurité civile et les ministères compétents. C'est un dispositif qui s'homogénéise le plus possible pour pouvoir être immédiatement reconnu et compris par les citoyens.

La carte de vigilance est un système particulièrement simple. Il représente les aléas et le niveau de vigilance à avoir sous forme de carte et de code quatre couleurs. Il y a eu beaucoup d'évolutions dans les outre-mer récemment, dont la principale est l'homogénéisation vers un code quatre couleurs et l'introduction d'une vigilance à la côte. Cette dernière, dite vigilance vagues-submersion, est plus précise que les vigilances antérieures.

La communication de la carte de vigilance à la population s'effectue via nos sites internet, les réseaux sociaux, mais également via les médias qui relaient ces cartes et nous permettent de toucher largement le grand public.

Les évolutions récentes de la carte de vigilance portent sur l'homogénéisation des aléas et de leur représentation. Il faut savoir que jusqu'en 2022, le système était différent pour la Réunion.

Elles concernent aussi le déploiement des vigilances vagues-submersion, qui s'accompagnent de travaux importants et d'améliorations importantes sur la prévision des vagues et des surcotes à la côte. Elles ont été mises en place aux Antilles, en Guyane, à la Réunion et à Mayotte ; elles sont en cours de mise en place en Polynésie française pour Tahiti et Moorea ; elles sont prévues pour la Nouvelle-Calédonie et Saint-Pierre-et-Miquelon.

Je précise que nous travaillons avec la direction générale de la santé et Santé publique France à l'émergence d'une vigilance canicule qui n'existe pas encore outre-mer, avec une priorité sur la zone Antilles Guyane et l'océan Indien.

En matière de gestion du risque, nous travaillons en coordination très étroite avec la Sécurité civile et les autorités préfectorales ou les centres opérationnels de zones de défense. Dans les grands événements et les crises météorologiques, le niveau national de Météo France s'implique également via une mission d'appui spécifique auprès du Cogic en cas de crise. Elle permet de relayer l'information et d'expliquer précisément les situations à chaque échelon.

Vous nous avez interrogés sur les retours d'expérience des aléas récents. Même si nous pourrions mieux faire, nous avons quand même un travail qui est globalement satisfaisant avec les autorités préfectorales et la Sécurité civile.

Si nous avons des améliorations en cours sur nos dispositifs, nous avons aussi des occasions de faire des retours d'expérience sur les épisodes ou de faire des exercices au cours desquels des améliorations peuvent être proposées.

Une amélioration est d'ailleurs en cours au sein de Météo France. Il s'agit de mettre en place des secours opérationnels des directions locales ultramarines entre elles. Ainsi, en cas de rupture de service complète d'une direction, la production régalienne continuera d'être assurée dans les meilleurs moyens.

Nous prenons évidemment en compte tous les retours d'expérience des exercices qui nous permettent des améliorations très locales et très concrètes.

Au-delà de Météo France, si nous devons travailler sur des pistes d'amélioration, nous voyons quand même que la gestion des événements successifs peut être difficile pour les équipes. Il est en effet possible de sortir d'un cyclone et de devoir gérer un nouvel aléa. C'est ce que nous avons connu très récemment après le cyclone Belal à la Réunion, qui a été suivi de phénomènes précipitants très intenses.

Nous devons aussi poursuivre collectivement la culture du risque. Le virage a été pris et peut être accentué avec des exercices de plus grande ampleur et l'implication des populations locales.

Il nous faut également chercher la meilleure articulation entre la vigilance et l'alerte cyclonique puisqu'en fonction des territoires, nous avons des dispositifs qui diffèrent. Par exemple, alors que dans certains territoires l'alerte cyclonique remplace la vigilance quand il y a un cyclone, la vigilance ne peut pas être éteinte en cas d'alerte cyclonique dans les plus grands territoires. Un aléa météorologique autre qu'un cyclone peut en effet concerner une zone éloignée de la zone cyclonique.

Concernant la prévision numérique, je voudrais insister sur les moyens assez exceptionnels dont dispose la France en matière de prévision numérique sur les zones tropicales. Il existe des modèles globaux mas aussi des modèles locaux qui sont quasiment au niveau de ce qui se pratique dans l'Hexagone. Il y a pour chaque zone un modèle haute résolution à l'échelle kilométrique à échéance 48 heures ainsi qu'une version ensembliste en service depuis l'année dernière et qui permet aux prévisionnistes de qualifier l'incertitude des phénomènes.

Ces deux systèmes permettent une meilleure représentation des phénomènes locaux (la haute résolution est particulièrement appréciable pour les îles avec un très fort relie) et des cyclones, associée à une meilleure qualification de l'incertitude des prévisions.

En matière de moyens d'observation, ceux-ci diffèrent selon les zones. Nous avons des systèmes radar d'observation des précipitations importantes aux Antilles Guyane (trois radars), à la Réunion (deux radars), en Nouvelle-Calédonie (trois radars). Un radar est prévu à Mayotte et un autre à Tahiti.

Les outre-mer sont aussi des zones d'observation particulièrement importantes pour l'observation en altitude par ballon-sonde, indispensable à l'initialisation des modèles de prévision numérique. Ce sont des sites de mesure essentiels puisqu'ils se trouvent dans des zones où nous n'avons que trop peu de mesures. Chaque mesure est donc particulièrement importante

L'observation en altitude en outre-mer fait donc l'objet d'un suivi particulier, avec des renouvellements réguliers.

Concernant l'observation de surface nous avons un grand chantier en cours sur la modernisation des stations des observateurs bénévoles. Nous déployons des stations automatiques qui viennent s'ajouter à notre réseau de surveillance et permettent le suivi climatique et la surveillance météorologique en temps réel. C'est important pour les prévisionnistes et le suivi des précipitations intenses.

En matière de changement climatique, nous constatons des réchauffements importants sur cinquante à soixante ans dans les outre-mer (y compris Saint-Pierre-et-Miquelon), de l'ordre de 0,2 à 0,3 °C par décennie.

Il faut rappeler que les continents se réchauffent plus vite que les océans, et que les pôles se réchauffent plus vite que les autres zones du globe. Cela explique que des zones comme Saint-Pierre-et-Miquelon soient les plus impactées par le réchauffement climatique, mais tous nos territoires d'outre-mer se réchauffent.

En matière de précipitations, nous ne constatons pas pour les territoires d'outre-mer tropicaux de tendance significative pour l'évolution des pluies extrêmes. Des territoires sont directement concernés par des phénomènes de pluies intenses, qui ne montrent pas de changement de caractéristiques sur la profondeur des données à notre disposition.

De même pour beaucoup de territoires, aucun signal n'est observé concernant le cumul annuel. Cependant, une tendance à la baisse de l'ordre de -30 % du cumul en saison sèche est observée à Mayotte. Une tendance baissière de -30 % du cumul annuel est également observée dans la région sud-ouest de la Réunion. Hors zone tropicale, Saint-Pierre-et-Miquelon affiche une tendance à la hausse.

Alors, quel avenir climatique pour les territoires d'outre-mer ?

En matière de température, il faut s'attendre à une poursuite du réchauffement de l'air et de l'océan. Il faut également s'attendre à une augmentation en sévérité, en fréquence, et en intensité des vagues de chaleur. Le nombre de jours de forte chaleur devrait augmenter drastiquement.

Pour les précipitations, les projections climatiques nous orientent vers une baisse des cumuls annuels en fin de siècle pour les outre-mer tropicaux. L'incertitude est néanmoins importante car nous ne disposons pas encore de données suffisantes au niveau local pour confirmer cette tendance. Les modèles prévoient également une augmentation des contrastes saisonniers en Nouvelle-Calédonie, à la Réunion et à Mayotte.

À Saint-Pierre-et-Miquelon, les cumuls annuels sont attendus en hausse en fin de siècle.

L'élévation du niveau de la mer conduira à des submersions marines plus fréquentes. Il faut aussi s'attendre à un aléa renforcé en matière de feux de forêt.

J'en viens maintenant aux cyclones. Contrairement à certains a priori, aucune évolution significative du nombre de cyclones dans nos territoires d'outre-mer n'est observée. Les scientifiques considèrent néanmoins qu'il est probable que l'intensité des cyclones majeurs ainsi que la fréquence des intensifications rapides ait augmenté globalement au cours des quarante dernières années.

En matière de projections, les modèles qui permettent de représenter directement les cyclones s'accordent sur une augmentation de la proportion des cyclones intenses ainsi que sur l'augmentation d'intensité des cyclones les plus intenses. Là aussi, l'incertitude est forte. Ces conclusions doivent être confirmées par de prochaines simulations.

Enfin, il y a une haute confiance dans le fait que l'élévation du niveau de la mer conduira à une augmentation de la probabilité d'avoir des événements extrêmes de hauteur d'eaux côtières. Nous avons aussi des informations qui nous amènent à prévoir une augmentation des précipitations associées aux cyclones.

Nous avons des systèmes de prévision numérique qui sont au niveau de ceux de l'Hexagone mais par contre, concernant les projections climatiques, il manque des simulations climatiques à échelle fine particulièrement importantes pour les petites îles volcaniques. Il y a un retard dans ce domaine mais il faut savoir que Météo France a obtenu dans le cadre de son schéma d'emplois 2024 et avec le soutien de son ministère de tutelle, 12 postes supplémentaires pour permettre la production et l'exploitation de ces simulations.

Le premier objectif sera de fournir des simulations climatiques régionalisées haute résolution d'ici fin 2025 sur les outre-mer tropicaux. Tout cela doit permettre la fourniture de services climatiques similaire à ceux développés dans l'Hexagone et d'apporter de l'aide à la décision à nos élus et à nos citoyens.

Concernant le BRGM (Bureau de recherches géologiques et minières), nous avons plusieurs actions de collaboration qui peuvent différer en fonction des territoires.

Dans l'océan Indien, nous avons des travaux communs sur l'hydrologie et la modification du trait de côte à Mayotte. Nous travaillons aussi sur les glissements de terrain à la Réunion.

Dans le Pacifique, Météo France collabore avec le BRGM en Nouvelle-Calédonie dans le cadre de l'Observatoire du littoral sur l'évolution du risque côtier.

Nous n'avons pas de collaboration en cours en Polynésie française.

Dans l'océan Atlantique, Météo France et le BRGM ont des relations étroites en matière de modélisation des phénomènes de submersion marine.

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