Je vous remercie de m'accueillir en ce moment particulier, deux mois après une audition au cours de laquelle avaient été évoqués plusieurs sujets sur lesquels il nous faut désormais avancer.
La mobilisation des agriculteurs est à la fois française et européenne. Cela doit nous amener à nous interroger sur les politiques européennes et sur le rapport que nous entretenons avec elles.
Sous l'autorité du Premier ministre, j'ai travaillé étroitement avec Christophe Béchu et Bruno Le Maire. Parmi les mesures que nous avons annoncées, certaines relèvent du domaine législatif, d'autres du domaine réglementaire, l'Assemblée étant alors saisie dans le cadre de sa mission de contrôle et d'évaluation. Pour commencer, je voudrais vous faire part de premières avancées concrètes sur plusieurs points.
S'agissant de la trésorerie, un décret permettra aux agriculteurs de percevoir dès le mois de février une avance correspondant à 50 % du remboursement partiel de l'accise sur les produits énergétiques. Cela concerne le gazole non routier (GNR), pour lequel nous avons également décidé d'annuler la hausse de la fiscalité – autrement dit, la baisse de la défiscalisation. Ce sont ainsi 230 millions d'euros environ qui seront injectés dans la trésorerie des exploitations agricoles.
En outre, à partir du 1er juillet, la déduction sur la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE) sera appliquée directement sur la facture. Cette mesure de simplification assurera aux agriculteurs une trésorerie continue, leur évitant de souscrire des prêts dans l'attente du remboursement, sachant que près de 20 % des agriculteurs ne se lançaient même pas dans les démarches leur permettant d'être remboursés tant celles-ci étaient lourdes.
Pour les éleveurs bovins confrontés à la maladie hémorragique épizootique (MHE) – dont il est fort probable que nous connaîtrons une résurgence au printemps –, l'État prendra en charge les frais vétérinaires et ceux consécutifs à la mortalité des animaux à hauteur de 90 %. Le dispositif, qui a été élaboré avec les professionnels, est opérationnel depuis le début de la semaine afin que les premiers dossiers puissent être traités dès la fin du mois de février. Il est question de près de 4 000 dossiers, contre 1 500 pour la grippe aviaire. C'est donc une charge administrative très lourde. Je profite de l'occasion pour rendre hommage aux agents du ministère de l'agriculture et des autres ministères qui travaillent avec le monde agricole et pour leur apporter mon total soutien face aux attaques injustes dont ils ont parfois été victimes. Je regrette profondément certains propos qui ont été tenus à leur égard. Ils ne sont pas responsables des incohérences législatives ou réglementaires.
En ce qui concerne l'indemnisation des aléas climatiques, le processus déjà engagé se poursuit, avec les montants prévus initialement. En complément des dispositifs d'assurance climatique et du régime des catastrophes naturelles, lequel s'adresse plutôt aux sinistrés du Pas-de-Calais, nous doublons le montant du fonds de soutien exceptionnel à destination de la Bretagne et la Normandie, au profit des exploitations touchées par la tempête Ciarán. Des aides à l'investissement seront également déployées.
Pour ce qui est du vaste chantier de la simplification, le décret sur le curage des cours d'eau, qui couvre l'ensemble du territoire national et pas seulement le Pas-de-Calais, a paru. Il s'agit d'une mesure de bon sens qui était très attendue.
Dans le domaine réglementaire, nous avons commencé un travail visant, d'une part, à mettre fin au régime d'exception en matière de délais de recours contre les projets agricoles afin d'aligner leur durée sur le droit commun (soit deux mois) et, d'autre part, à accélérer le traitement des contentieux liés aux projets de stockage de l'eau ou aux bâtiments agricoles. Nous avons également assoupli l'obligation de mise aux normes d'accessibilité pour les bâtiments agricoles.
J'ai annoncé vendredi dernier un plan de soutien massif à la viticulture. Il comprend des mesures d'urgence, à hauteur de 80 millions d'euros, pour soulager la trésorerie des exploitations qui sont confrontées soit à la baisse des prix, soit à des aléas divers, notamment climatiques ; ainsi que des mesures plus structurelles, à hauteur de 150 millions d'euros, pour mener à bien une restructuration du vignoble dans un double souci : mettre un terme à la surproduction, qui n'affecte pas seulement la France, et développer davantage les cépages qui sont consommés aujourd'hui. Ces moyens viendront s'ajouter à 250 millions d'euros issus de l'organisation commune de marché (OCM) vitivinicole.
Il a également été décidé d'allouer à la filière bio – je sais que cela fait débat – 50 millions d'euros en sus des 100 millions déjà versés en 2023. Une réunion est prévue cette semaine pour examiner les besoins et les priorités de la filière.
S'agissant des lois Egalim, le comité de suivi des négociations commerciales s'est tenu en présence de Bruno Le Maire. Plusieurs participants ont relevé que si la loi avait été plutôt respectée, dans son esprit et sa lettre, sur la période 2022-2023, certains cherchaient, depuis l'ouverture des négociations en novembre, à la contourner par divers moyens : le recours à des centrales d'achat européennes, le non-respect pour les produits vendus sous marque de distributeur (MDD) de la non-négociabilité de la matière agricole – qui était l'un des sujets de la loi Descrozaille. Nous souhaitons donc renforcer les contrôles – le ministre de l'économie et des finances a été très clair sur sa détermination à prononcer les sanctions qui s'imposent. Ensuite, avant de procéder à d'éventuels ajustements, nous attendrons de connaître les conclusions des rapports en cours et de pouvoir tirer les leçons du cycle de négociations. Sur 1 000 contrôles effectués, 120 contrats ont révélé des anomalies qui donneront lieu à des procédures judiciaires.
Enfin, sur le plan européen, la dérogation que demandait la France à l'obligation de laisser 4 % des terres en jachère a été acceptée. C'est une première réponse, il y en aura d'autres. Nous devons y travailler avec la Commission en ayant à l'esprit l'impératif de souveraineté alimentaire alors que l'Union européenne a importé, en 2023, 40 millions de tonnes de céréales.
La France a également obtenu l'instauration de clauses de sauvegarde dans le cadre commercial adopté en soutien à l'Ukraine, lesquelles concernent pour l'instant la volaille, les œufs et le sucre. Nous défendons désormais leur extension aux céréales ainsi qu'une évolution de l'année de référence.
J'en viens aux mesures de moyen terme. Le Parlement examinera au premier semestre 2024 un projet de loi d'orientation agricole, l'objectif étant de réunir une commission mixte paritaire d'ici au mois de juin. Le texte est en train d'être enrichi de certaines dispositions qui avaient été proposées dans le pacte d'orientation et d'avenir agricoles – l'inscription du principe de souveraineté alimentaire dans la loi, l'accélération des contentieux liés aux projets de stockage de l'eau ou aux bâtiments d'élevage par l'application d'une présomption d'urgence, etc. Nous souhaitons transmettre le texte au Conseil d'État d'ici à la fin du mois de février.
Certains d'entre vous avaient regretté le manque d'ambition du projet de loi. La nécessité de le compléter avait d'ailleurs fait débat également en interministériel. Saisissons l'occasion qui nous est donnée de renforcer la souveraineté mais aussi de clarifier les règles et d'accélérer les procédures – je pense notamment aux haies. Nous pouvons nous appuyer sur les échanges qui ont déjà eu lieu avec certains d'entre vous dans le cadre de la préparation du projet de loi et du pacte et les poursuivre.
Quant au plan Écophyto 2030, la pause annoncée, qui suscite de vives réactions, signifie, comme son nom l'indique, qu'il faut prendre le temps de la réflexion. Reconnaissons que, jusqu'à présent, le plan Écophyto, qui date de 2009, n'a pas atteint les objectifs qui lui étaient assignés. La réflexion, qui s'inscrit dans une logique de non-surtransposition, porte d'abord sur les indicateurs : nous devons nous doter d'indicateurs partagés au niveau européen pour éviter les incohérences dans les comparaisons et revoir l'indicateur assis sur le nombre de doses unité (Nodu), qui présente l'inconvénient, souvent souligné, de ne pas prendre suffisamment en considération la toxicité du produit – malgré l'usage d'un produit moins toxique, l'indicateur peut être plus mauvais dès lors que le nouveau produit doit être utilisé plus fréquemment. Nous devons aussi travailler sur des mesures de simplification. Un comité d'orientation stratégique et de suivi (Coss) Écophyto aura lieu la semaine prochaine en présence de Sylvie Retailleau et de Christophe Béchu.
Le dernier chantier à moyen terme concerne les relations avec l'administration. Il s'agit d'améliorer le déroulement des contrôles et leur perception, en écho au rapport présenté par Anne-Laure Blin et Éric Martineau dans le cadre du groupe de travail sur les contrôles opérés dans les exploitations agricoles. Là aussi, notre objectif est de présenter de premières propositions au salon de l'agriculture.
Je ne peux pas ne pas mentionner le chantier européen. Le succès sur la jachère – la dérogation aux bonnes conditions agricoles et environnementales 8 (BCAE 8) dont le respect ouvre droit aux aides de la politique agricole commune (PAC) – a ouvert une brèche. Je note avec intérêt et satisfaction les déclarations de la présidente de la Commission européenne en faveur de simplifications immédiates et d'une réflexion globale sur la PAC. La France a été sollicitée pour faire des propositions. Je suis convenu avec plusieurs de mes homologues à Bruxelles, mercredi dernier, que nous présenterions des mesures communes de simplification de la PAC – certaines pourront être mises en œuvre sans changer le cadre réglementaire, d'autres nécessiteront des modifications législatives. Pour obtenir gain de cause, il faut réunir des coalitions, comme nous avons su le faire pour la BCAE 8 – une vingtaine de pays étaient mobilisés aux côtés de la France pour l'occasion.
J'ai déjà évoqué l'Ukraine. De manière plus générale, il reste à trouver comment mieux conjuguer Green Deal et souveraineté. C'est le principal motif de préoccupation du monde agricole, français mais aussi européen.
Le revenu demeure un sujet central. En ce qui concerne les retraites, le rapport prévu par la loi visant à calculer la retraite de base des non-salariés agricoles en fonction des vingt-cinq années d'assurance les plus avantageuses, adoptée à l'imitative de Julien Dive, montre des effets de bord qu'il nous appartient désormais de corriger. Dans ce travail, qui demandera plusieurs semaines, nous entendons être fidèles à l'esprit des lois Chassaigne 1 et 2.
Dans la perspective d'un Egalim européen, indispensable pour contrecarrer les pratiques de la grande distribution, j'ai rencontré le commissaire au marché intérieur, Thierry Breton, sur lequel je compte pour m'aider dans cette tâche. Je rappelle qu'Egalim est le fruit d'une surtransposition française au bon sens du terme : toute surtransposition n'est donc pas condamnable en soi !
Nous devons aussi défendre un autre outil européen, les clauses miroirs dans les accords de libre-échange. La France, par la voix du Président de la République, s'est opposée à la signature de l'accord entre l'Union européenne et le Marché commun du Sud (Mercosur) – je le répète, il ne peut y avoir d'accord en l'état. Nous avons besoin d'accords commerciaux, à condition que la réciprocité s'y applique.
Dans l'espace européen, il nous faut trouver un modèle qui conjugue souveraineté et transition car nous devons mener cette dernière. Dans l'espace extra-européen, les accords commerciaux doivent garantir une concurrence moins déloyale. Dans ce même esprit, il est indispensable de disposer d'une force européenne de contrôle sanitaire et agricole pour vérifier que les normes européennes sont respectées, notamment par les produits agricoles importés.